Runes...

Kikyo était aujourd'hui d'assez bonne humeur. Elle ne savait pas exactement pourquoi, peut être le soleil, le chant des oiseaux, la plante dans sa chambre qui commençait à fleurir... Ou bien le fait qu'elle ai une grande après midi de libre, du fait de l'absence momentanée de son professeur d'histoire qui coïncidait avec la journée de stage des deuxième année, où son professeur d'anglais devait se rendre.

Après avoir longuement réfléchit à ce qu'elle pouvait faire en cette après midi, elle opta, comme par hasard, pour quatre longues heures de silence dans un coin de la bibliothèque, son carnet et son crayon en main. Après avoir prit un long bain et agrémenté son uniforme d'une paire de bas en dentelle et d'un serre tête du même acabit, elle se dirigea donc vers l'endroit sus-nommé. Elle prit un livre de formules magiques sur une étagère, et s'assit dans un coin de la pièce, d'où elle pouvait voir tout le monde, et dessiner tout le monde.

Elle sortit son carnet noir à dessin, son long crayon noir, et se mit à mâchonner l’extrémité du crayon en cherchant un modèle, distraitement.

Pendant cette recherche, elle pensa à sa famille. Elle appelait régulièrement sa mère et ses rares amis, et envoyait parfois des dessins par lettres. Sa maison lui manquait énormément, sa petite vie tranquille, son style gothique qu'elle avait du abandonner pour l'uniforme, sa chambre... Tout lui manquait.

Elle ne se sentait pas plus à l'aise dans ce lycée que dans son collège humain. Elle avait espérer qu'elle pourrait utiliser ses pouvoirs au grand jour, être enfin fière de qui elle était... Mais il n'en était rien. Les monstres n'aimaient pas les sorcières. Et elle devait le cacher. Moins sans doute que quand elle était parmi les humains, mais tout de même...

Elle soupira, puis revint à ses dessins. Ce n'était certainement pas le moment de penser à ça.

Kyô était de permanence à la bibliothèque et cela l'agaçait prodigieusement. Son seul jour de disponible était le jeudi, qu'il utilisait pour faire des recherches sur de nouveaux filtres ou de nouveaux ingrédients. C'était le jour où il se permettait de se lever plus tard que d'habitude, reposant son corps après l'expérience du mercredi soir. Le jour où il décidait celle qu'il allait tenter le mercredi suivant, mais aussi le jour où il rédigeait ses cours pour la semaine entière, choisissait qui allait venir en colle avec lui, et de qui il dévorerait les rêves. Clairement, le jeudi était son jour préféré, parce qu'il ne voyait aucun élève.

Ou du moins, il n'était sensé voir aucun élève.

Mais le cuisinier avait servi des rognons au sésame la veille. Des rognons particulièrement ragoûtants qui avait ameutés une foule d'élèves avides de viande corsée au goût de noix. Une foule d'élèves affamés, qui s'étaient marché les uns sur les autres, avaient bousculé le commis, et sa marmite d'huile bouillante. Cette huile qui aurait dû servir aux frites réservées aux enseignants, qui au lieu de ça eurent droit à des pâtes au jambon. Et comme la bibliothécaire était allergique au jambon, ou plutôt, aux herbes présentes dans le jambon, elle était tombée malade. Hors le jeudi, beaucoup d'élèves n'avaient pas cours de tout l'après-midi. Alors on avait cherché à laisser la bibliothèque ouverte.

Et le seul enseignant qu'ils aient trouvé, c'était lui.

L'assistant du professeur de mathématiques était venu le trouver en se faisant tout petit, pour lui demander de bien vouloir ouvrir les portes pour des exposés. Pendant une heure Kyô avait eu droit à une bande de marmots brailleurs, froissant les pages des livres, lançant des boulettes de papier, et raclant le sol de leurs chaises. Il avait montré un masque d'une étonnante neutralité. Et puis, il en avait eu assez.

L'un après l'autre, il avait touché ces enfants. Les plus calmes l'avaient regardé avec crainte. Ceux qui le connaissaient s'étaient tu sitôt qu'il s'était levé. Les plus bruyants s'étaient ratatinés. Les plus maladroits figés dans leur élan, les plus dissipés tus. Et enfin, il put aller se rasseoir, ouvrir son livre dans un silence religieux, et continuer à lire les aventures de la pauvre petite Sophie.

Dans l'enceinte de la bibliothèque comme dans ses cours, on n'avait plus entendu que le feutré des pages qui se tournent avec respect, et le doux gazouillis des murmures polis. Petit à petit, les gens avaient bougé, étaient entrés, sortis, lui offrant un signe poli de la tête. A l'exception d'une personne. Une petite présence, haute comme une enfant, assise au fond du temple de la lecture. Entre deux bibliothèques, penchée sur son travail, on aurait dit une de ses poupées personnifiées. Intrigué par ce qu'elle pouvait bien faire, la phobie se rapprocha, et se plaça dans son dos, en silence.

Il pencha la tête de côté, et s'abaissa à sa hauteur.

Kyô : Belle ressemblance. Mais cet élève là-bas a un menton légèrement plus... carré.

Sa voix n'avait été qu'un murmure. Il se redressa, satisfait, et continua d'observer l'artiste.

Étrangement, lorsque Kikyo dessine, il est très difficile qu'elle remarque quoi que ce soit qui ne la concerne pas directement. Aussi, elle remarqua à peine que les élèves semblaient effrayés, et arrêtait de discuter. Elle avait juste relevé des expressions inquiètes sur les visages qu'elle dessinait, mais n'en avait cure. Après tout, tant que la peur ne l'atteignait pas, pourquoi s'en soucier ?

Elle n'entendit par la phobie arriver. Elle nota simplement du coin de l’œil un mouvement, mais ne s'y intéressait pas. Elle était concentrée sur cet élève, là, qu'elle dessinait. Elle l'observait depuis longtemps, et souhaitait parvenir à fixer sur le papier l'aura assez intimidante qu'il dégageait autour de lui. Lorsqu'elle leva les yeux une dernière fois vers son modèle, le mouvement avait disparut. En revanche, dans son dos...

Elle sursauta quand elle entendit la voix. Elle se tourna, yeux grands ouverts, vers celui qui l'avait interrompu. Elle se rappelait vaguement avoir noté la forme de son visage à l'entrée. D'ailleurs, elle croyait se souvenir l'avoir dessiné quelques minutes plus tôt. Il n'était pas le bibliothécaire qu'elle connaissait... Mais s'il se tenait à sa place, autant rester prudente. Le visage de la petite sorcière exprimait de la surprise, mais aussi un peu de peur. Il était... Intimidant... Mais d'une autre façon. Elle sentait d'une manière confuse que l'inquiétude des élèves venait de lui.

Elle l'avait peut être inconsciemment noté... Ou alors s'était peut être pour ça qu'elle était tendue, Depuis quelque temps...

Au bout d'une petite seconde, elle se rendit compte qu'il lui avait dit quelque chose. Elle se tourna vers son dessin, leva les yeux. Elle fixa son modèle un moment, et grogna un peu, mécontente. Après autant de temps à travailler ses traits, elle se rendait compte avoir commis une erreur de débutant... Elle sortit une gomme de sa petite sacoche, et s'appliqua à refaire correctement la courbe du menton incriminé.

Lorsqu'elle au finit, elle contempla son œuvre, cherchant ce qu'elle aurait pu omettre d'autre... Mais ne vit rien de choquant. Elle se tourna à nouveau vers... La personne derrière elle... Et lui sourit timidement

- Merci... Monsieur...

Elle espérait de tout son coeur qu'il s'en aille. Oh oui par pitié qu'il s'en aille.

Les grands yeux carmins de la jeune fille lui rappelèrent un instant un tableau qu'il avait vu affiché dans l'aile Nord. Celui d'un coquelicot simple, pris en photo au bon moment pour être agréable à l'oeil, mais ne pas gâcher la scène champêtre générale. Le regard de cette petite était du même acabit. Agréablement enfantin, assez pur pour fasciner un être vivant, mais pas dévorant son regard. Elle était jeune, trop jeune pour qu'il s'intéresse à sa plastique, mais son petit menton pointu promettait un corps magnifique une fois la puberté passée.

Si toutefois elle survivait jusqu'à la puberté.

La phobie observa son manège avec l'air détaché d'un critique qui contemple une crotte de nez sur une toile de maître. Indubitablement elle était très douée, et se mettait en colère d'avoir fait une faute de débutante. Il comprenait ça, les erreurs de runes élémentaires l'agaçaient également prodigieusement lorsqu'il en faisait. De ses petites mains expertes, elle gribouilla sa feuille, redessina le menton avec expertise, et tira un hochement de tête impressionné au professeur.

Jeune élève : Merci... Monsieur...

Kyô : Je trouve ton talent intéressant, il était dommage de laisser une erreur aussi grossière au milieu d'une telle précision.

Avec une rigidité qui témoignait de son caractère monotâche et routinier, la phobie s'assit à côté de son élève et observa la manière dont elle avait rendu ses dessins. Les traits étaient sûrs, appuyés, précis. Elle n'avait pas ou peu fait de croquis, comme quelqu'un qui depuis très longtemps manie le pinceau. Quel était le besoin de faire un brouillon lorsqu'on touchait la perfection du premier coup ? Impressionné, il l'était. Il ressentait chez elle une aura de puissance sourde, de celle qu'il attribuait d'ordinaire aux sorcières.

Kyô : Cela m'intéresse toujours de connaître le ... talent de mes élèves. Puis-je voir tes autres esquisses ?

Même si sa phrase laissait entendre une question, son ton, froid et détaché, ne souffrait aucun refus. On ne refusait rien à Kyô Fushou.

Kikyo était assez fière d'elle. Après tout, impressionner un professeur par ses dessins... C'était très valorisant, de son avis. Elle considéra à nouveau le portrait, et décida qu'il était achevé. De plus, son modèle venait de se lever et de sortir dans un silence religieux de la bibliothèque. Elle tourna la page, plaçant le dessin avec ses autres portraits achevés, et réfléchit, mordillant l'extrémité du crayon.

Enfin, jusqu'à ce que la phobie vienne s'assoir à côté d'elle.

Immédiatement, et comme à chaque fois que quelqu'un l'approchait de trop près d'ailleurs, elle se tendit, mal à l'aise, et serra dans sa petite main le crayon. Elle ferma les yeux un instant, et respira lentement pour se calmer. Cette sensation de proximité était certainement ce que redoutait le plus la petite sorcière, surtout venant d'un professeur, certainement bien plus puissant et dangereux qu'elle ne l'était. Elle rouvrit les yeux.

Lorsque la demande, qui ressemblait bien plus à un ordre, retentit, Kikyo tourna son regard vers le professeur. Ses yeux exprimaient un mélange de fierté, de peur et de surprise.

- Hm... Oui, bien sûr...

Elle s'empressa de lui tendre son carnet, remplit de portraits en tout genre, d'élèves, de professeurs, même parfois de monstres dans leur véritable forme, que la petite sorcière, dans l'ombre de ses cachettes, apercevait parfois. Quelques dessins d'humains, également. Des amis, qu'elle avait laissé dans son monde d'origine. Un visage revenait plusieurs fois. Une femme, aux longs cheveux noirs, qui ressemblait beaucoup à Kikyo.

Sa mère. Sans doute la personne qui lui manquait le plus ici. Elle affichait toujours un petit sourire sur les dessins, et ses yeux semblaient pétiller de malice. Elle connaissait si bien le visage de sa mère qu'elle savait parfaitement rendre l'étincelle de magie scintillant dans ses pupilles.

La méfiance était la réaction la plus saine et normale qu'il ait constatée sur le visage de la fillette depuis son arrivée. Si elle ne s'était pas tendue à son approche, il aurait soupçonné qu'elle ait connaissance de son être profond, et pire, qu'elle soit apte à le comprendre et le contrer. Mais cette adorable tête d'ange au regard si jeune et expressif n'était qu'un petit agneau comme les autres, et elle le craignait comme les autres.

Le démon de la peur était distant, il se demandait ce qui pouvait pousser quelqu'un à se mettre à ce point dans la peinture. Pour lui ce n'était qu'une passion, un passe-temps qu'il comprenait utile aux esprits qui avaient besoin de distraction. Mais cette élève était plus appliquée, presque professionnelle. Cela devait sans doute avoir un lien avec son pouvoir, sinon pourquoi se donnerait-elle tant de mal ?

Kyô ouvrit le calepin qu'elle lui tendait, et parcourut les portraits avec un intérêt non feint. Elle avait saisit chaque trait de caractère dans ses dessins. Des élèves qui paraissaient presque vivants, aux expressions typiques. Des professeurs, même à travers l'air qu'ils se donnaient en classe, qui laissait voir leur être profond. Un visage fatigué, un regard louvoyant, une droiture d'esprit. Ces concepts abstraits qu'étaient l'amitié ou le besoin de reconnaissance transpiraient dans ses pages, au point qu'il dut reconnaître une chose. Peu importait son âge, cette petite avait du talent. Et si elle apprenait à manier la magie de l'image, elle serait très puissante une fois adulte.

Il revint quelques images en arrière, et s'arrêta sur son propre portrait. Derrière des airs concentrés, on lisait un regard profondément agacé. Bon sang. S'il parvenait à neutraliser les expressions de son beau visage, il ne parvenait jamais à cacher ce qui était au plus profond de son âme. Et sur le dessin de la petite dessinatrice ce n'était pas un air vide, absent qu'on lui connaissait. Elle était plus intelligente qu'il n'y paraissait.

Kyô se racla doucement la gorge et tapota le portait d'une belle belle, à l'air très vivant. Des cheveux sombres et coupés court, un visage fin, et une ossature qui laissait comprendre la fragilité de son être.

Kyô : Vous vous êtes appliquée à la dessiner à plusieurs reprises... et pourtant elle aborde toujours le même air.

Kyô revint quelques dessins plus loin, pour montrer la comparaison avec une autre personne dessinée deux fois, avec des visages totalement différents.

Kyô : Vous savez pourtant saisir d'autres regards et connaissez les nuances émotionnelles. Alors pourquoi ?

Il était sincèrement intrigué. Est-ce que ce modèle avait un masque, comme le sien, qui était constamment joyeux ?

Kikyo entendait le professeur tourner les pages. Elle était toujours tendue, peut être même encore plus que quelques secondes au part avant. La dernière fois qu'elle avait tendu un de ses dessin à quelqu'un, il l'avait brûlé. Elle se rappelait encore les débris rougeoyant du portrait dans lequel elle avait mis son temps et son énergie, peut être même plus que les autres. En effet, dessiner un incube...

C'était ardu, et elle était fière du résultat. Mais il l'avait détruit. Il l'avait consumé devant ses yeux, d'un air froid, distant et incroyablement indifférent à l'acte barbare qu'il commettait. Elle espérait de tout son coeur que plus jamais quelqu'un n'aurait l'idée horrible de détruire ou d'altérer un de ses portrait.

Pour Kikyo, un dessin, dans le quel l'artiste mettait son coeur, était bien plus que quelques traits sur une feuille de papier. Il représentait ce que l'artiste percevait, ce qu'il voyait, ce qu'il ressentait. Et Kora s'appliquait toujours à retranscrire exactement la manière dont elle voyait chacun de ses modèles, et très rarement de manière dépréciative. Pour elle, un dessin était en fait la personne telle qu'elle la voyait, et donc une part de son âme, une part de son être. Détruire ces dessins... C'était criminel...

Elle ne l'avait jamais fait. Et avait peur plus que tout d'un jour perdre ces dessins, de perdre tout ses souvenirs, ces personnes.

Elle entendait les pages se tourner, se retourner. Elle sentait presque le professeur penser tant sa tension était importante. Au final, elle jeta un coup d'oeil à la feuille qu'il observait. Aïe. Pendant un instant, son coeur s'arrêta de battre. Elle avait complètement oublié les dessins de sa mère. Elle se mordit la lèvre et détourna les yeux.

Quand Kyô posa la question fatidique, elle leva vers lui ses grands yeux et dit, avec une grande hésitation et une émotion palpable dans le voix

- C'est... Ma mère... Je ne l'ai pas vue... Depuis longtemps... Alors je garde l'image d'elle que j'ai en tête...

Elle avait légèrement rougit et elle tourna les yeux vers le dessin représentant sa mère. Elle l'avait toujours vu, le matin, comme ça, un petit sourire aux lèvres, en la voyant à peine réveillée, les cheveux en bataille. Elle la voyait encore, avec ce même sourire, l'attendre à la fin de ses cours... Elle la voyait encore, par la fenêtre du bus, lui adresser un signe de la main. Elle souriait toujours... Ou presque.

Mais Kikyo ne voulait plus jamais penser aux moments où elle avait arrêté de sourire. Elle serra le poing gauche, cachant la cicatrice de brûlure dans sa paume. Non, rien ne pourrait la forcer à repenser à se jour.

Ah, sa mère. C'était donc ça. Kyô ne pouvait pas compatir à la douleur qu'elle semblait ressentir, car il ne connaissait pas de parents. D'ailleurs, d'où venait-il ? Qui étaient ses créateurs? Il ne savait même pas s'il était capable d'enfanter, quelles capacités auraient ses enfants, et s'il lui était déjà arrivé d'enfanter d'ailleurs. Avant... Eugénie. Il n'avait quasiment eu aucun égarement. Pour ainsi dire les seules femmes qu'il avait fréquentées il ne les avait jamais revues. Il ne comprenait pas la volonté qu'avaient ces êtres vivants à vouloir se reproduire à tout prix, alors qu'ils étaient bien vivants, et pour de longues années.

Il vivait depuis un sacré bout de temps pour sa part, suffisamment longtemps pour ne pas avoir à se préoccuper de sa suite. Un jour peut-être il rencontrerai un quelconque gamin semi-démon qu'il avait mis au monde. Il avisa son élève. Est-ce que c'était ça qu'avait fait sa mère ? Enfanté, puis fui ? Elle n'aurait pas dépeint ses traits avec autant de joie ni de spontanéité. On avait plutôt tendance à détester ceux qui nous abandonnait.

Le démon de la peur remarqua un léger changement d'humeur chez la dessinatrice, de la mélancolie. Ce qui voulait dire que sa mère était sans doute très importante pour elle, et qu'elle regrettait... quoi ? Quelque chose avait dû se passer entre cette femme dessinée et le destin pour que la petite fille y tienne autant, et à la représenter souriante. Curieux désormais, Kyô décida d'attaquer sur un autre front pour en savoir plus.

Kyô : Je ne vous ai jamais croisée dans mon cours, vous ne pratiquez pas les sciences occultes ?

Changement de sujet radical, avec lequel il espérait détourner l'attention de... comment s'appelait-elle déjà ? Mince alors. Celle qui avait le potentiel de recopier des runes à la perfection.

Par dessus toutes les tortures qu'on puisse lui infliger, celle que Kikyo redoutait sans aucun doute le plus, c'était l'interrogatoire. Même quelque chose qui semblait innocent, n'avait pas l'air inquisiteur, lui donnait l'impression de se tenir sous une lumière aveuglante dans une pièce sombre et glauque en compagnie d'un policier fumant une cigarette. C'est à dire, pas la meilleure impression qu'il puisse exister.

De plus, ce n'était certainement pas la première fois qu'on lui posait ce genre de question. "Je ne t'ai jamais vu, ton visage ne m'est pas familier..."

Toutes ces questions qui débouchaient inévitablement sur "D'où viens tu ? Pourquoi es tu arrivée en milieu d'année ? Pourquoi tu reste toute seule ?" Elle détestait ce genre de questions. Elle ne voulait pas y répondre, elle voulait juste s'enfuir en courant. Mais là, elle ne le pourrait pas, pour plusieurs bonnes raisons : Tout d'abords, il était parfaitement inutile d'essayer de fuir un professeur, ensuite, elle n'allait certainement pas laisser son carnet entre des mains inconnues sans rester dans les deux mètres de distance.

Il est vrai qu'elle n'avait pas encore eu tout ses cours, étant arrivée mardi. Elle croyait se rappeler que les sciences occultes se tenaient le lundi après midi. Elle avait à peine eu le temps de poser ses affaires et de souffler un peu avant de commencer les cours.

Même avec l'aide de sa mère qui lui avait prodigué du mieux qu'elle l'avait put des notions élémentaires, elle avait beaucoup de mal à suivre le rythme. Sauf en Culture humaine et en Art plastique, où elle avait apparemment un bon niveau, voir même un très bon niveau en fait.

Soudainement, une pensée la glaça. C'était lui le professeur de sciences occultes ? Elle n'osait imaginer l'ambiance des cours, vu les dégâts qu'il pouvait faire dans une simple bibliothèque.

Quand elle eu réussit à se calmer quelque peu, elle répondit toujours aussi timidement

- Je... Je ne suis arrivée que mardi... En fait... Et mon cours de sciences occultes... C'est le lundi...

Elle serrait toujours son crayon dans sa petite menotte. Le contact du bois, la sensation de la magie pulsant à l'intérieur de la matière, tout ceci l'aidait à se calmer. Sa propre magie, mais aussi celle de son père. Feu son père.

Kyô venait de comprendre quelque chose : cette fille était à prendre avec des pincettes. Elle faisait partie de ces petites âmes récalcitrantes à s'exposer qu'il adorait tant visiter jadis. D'un côté cela ne le surprenait qu'à moitié. Cette petite était perdue, aussi perdue qu'une enfant qu'on avait vraiment mal fait d'abandonner de la sorte au milieu d'autres monstres bien plus gros et dangereux qu'elle. D'un autre côté, son don pour le dessin lui aurait immédiatement permis de s'intégrer si elle s'était donné la peine de s'adresser aux bonnes personnes. Il ne comprenait parfois pas ces enfants qui attendaient que le malheur et la solitude leur tombe sur le coin du nez pour reconnaître que les autres avaient une vie sociale plus palpitante que la leur.

Et puis, Kyô examina de plus près l'apparence de son élève. Sa peau pâle et fragile, son regard hyponitque et carmin, des cheveux fins et raides. Son apparence entière était la réplique d'une poupée, réellement. Le démon déploya ses sens pour sonder ses énergies. Elle était bien réelle. Il pouvait fort bien se trouver à côté d'un fantôme qui serait venu pour... une raison quelconque. Mais non, cette élève était bien réelle, seulement un peu transparente.

Jeune élève : Je... Je ne suis arrivée que mardi... En fait... Et mon cours de sciences occultes... C'est le lundi...

Ah.

Il se disait aussi qu'il n'aurait pas pu ignorer une élève, qui qu'elle soit - même si celle-ci était particulièrement transparente - et surtout pas avec ce don pour les runes. Quoique. Pour l'instant il avait fait peu d'exercices qui nécessitait l'utilisation de ses dix doigts, il en était resté cantonné à l'appel d'énergie et les sorts mineurs. Pour sa défense, ceux qui ne savaient pas lancer un sort pouvaient difficilement s'en protéger. Attirer le malheur était une bonne manière de savoir s'en isoler, c'était sa maxime. Mais cette petite, avec ce trait aussi fin et cette délicatesse propre aux femmes était plus que prometteuse. Le regard du vaudou se fit intéressé tandis qu'il fouillait dans sa poche pour en sortir un stylo et une feuille bristol où il notait ses horaires. Tant pis pour la rigueur.

Kyô : Je retiendrai votre visage si je peux y coller un nom. Cependant je dois tout d'abord vous demander de faire quelque chose. Une sorte de... test.

Il dessina sur son bristol un cercle d'invocation compliqué, reproduisant à perfection les angles des différentes branches, écrivant dans un cercle parfait les runes hébraïques, en attachant une importance toute particulière à celle de protection. Son travail terminé il tapota la feuille, tendit son stylo à la fillette et lui ordonna :

Kyô : Pourriez-vous reproduire ce cercle à l'identique du premier coup, sans croquis, sans rature ?

De même que sa première question, celle-ci n'en était pas une.

Kikyo s'était attendu à tout. "Ah, et pourquoi es tu arrivée si tard ?"ou encore "Tu as déjà pratiqué les sciences occultes ?". Bref toutes les questions qu'aurait pu poser un professeur humain dans un lycée normal. Car, l'espace d'un instant, la petite sorcière avait réussi à oublier qu'elle se trouvait dans un lycée de monstres, devant un professeur à l'aura plus que glaçante. Elle fit donc un brutal retour sur terre quand il lui mit la feuille devant le nez. Elle prit le papier. Pas le stylo.

Elle leva les yeux vers le professeur, l'air un peu moins intimidée. Il lui demandait quelque chose dont elle se sentait capable, et elle était toujours plus rassurée quand elle dessinait.

- Je me nomme Kikyo Matsumoto Monsieur.

Elle tourna ensuite les yeux vers la feuille. C'était loin d'être son domaine... Mais tout pouvait être interprété. La petite scruta longuement chaque traits, courbe, forme. Elle voyait dans ce dessin extrêmement précis, extrêmement spécialisé, bien plus qu'un amas de lignes,ou même un symbole magique. Plus elle fixait le dessins, plus elle voyait ressortir une forme...

De visage... Elle tourna la feuille, de façon à mettre le menton de ce visage vers le bas, et le regarda plus globalement. Oui, une forme de visage. Comme ridé par le temps, et d'un autre côté d'une rondeur parfaite évoquant l'enfance. Un beau visage. Etrange et captivant, animé d'un magnétisme tout aussi surprenant et fascinant.

Le visage de la petite Kikyo s'éclaira. Elle pouvait le faire. Une ombre de sourire passa sur ses lèvres, pas un sourire moqueur, mais un sourire emplit de joie et de plaisir. Elle adorait avoir des modèles intéressants, et celui ci était sans aucun doute la plus belle épreuve qu'on lui ai présenté jusqu'à lors. Elle tourna les pages de son carnet pour en trouver une vierge, et leva son crayon. Elle fixait toujours le modèle, gravant dans son esprit les traits de cet irréel visage.

Elle posa la pointe de son crayon sur la feuille, et commença à tracer. Elle ne dessinait pas le cercle d'invocation comme le professeur. Elle ne traçait pas les éléments dans le même ordre, ne suivant aucune logique apparente, comme si les traits étaient indépendant les uns des autres. Toutefois, après quelques minutes de dessin entrecoupées parfois de petits regard sur le modèle, la réplique exacte du cercle d'invocation s'étalait sur la feuille.

Aucune rature. Aucune erreur. Elle tourna la feuille pour la mettre dans le sens originel du cercle d'invocation que lui avait tendu le professeur et détailla son travail d'un air à la fois satisfait et inquiet.

Tout au long du travail, elle n'avait même pas daigné expliqué pourquoi elle ne prenait pas le stylo. Pour elle, le crayon qu'elle serrait dans sa petite main était comme une partie de son corps, une extension de sa main, naturelle et indissociable. De plus, le fait que le trait ne soit effaçable que par la gomme qu'elle possédait dans son sac était un atout non négligeable. Elle eut une pensée fugace vers son père, qui avait enchanté les deux objets quand elle n'avait encore que quatre ans.

Puis tourna son regard vers le professeur, attendant une réaction.

Ainsi, elle se nommait Kikyo. Un prénom sympathique, harmonieux, de ceux qu'on donnait aux petites filles ordinaires et gentilles, vouées à être des mères douces et serviables. Le vaudou ne sut dire s'il s'agissait uniquement d'une impresion, mais le nom que lui dévoila la petite sorcière lui fit porter un autre regard sur elle. Elle était fragile comme une fleur de raiponce et aussi rétractile qu'un escargot agressé par le contact. Autrement dit, cette petite serait difficile à prendre en main. D'un côté il sentit une vague de découragement le gagner - il n'avait pas envie de se donner du mal pour la convaincre - de l'autre il augmenta son attention, créant une tension dans la bibliothèque. Les élèves savaient que lorsque la phobie s'intéressait à quelqu'un, il n'allait pas se passer uniquement des choses acceptables dans les heures suivantes.

La petite sorcière ne prit pas contact avec lui, évitant soigneusement de prendre son stylo pour se contenter de garder son précieux crayon. Le démon de la peur se demanda un moment le but de cette mascarade et comprit assez rapidement que plus qu'une habitude cela devait tenir de la magie. De la même manière qu'il buvait son infusion de mandragore et lavait sa peau au lait d'ânesse, Kikyo ne dessinait qu'avec son crayon. Il trouva cela fort fâcheux, surtout s'il voulait l'utiliser pour d'autres tâches plus dangereuses, mais la laissa faire. Après tout elle avait sa chance de lui montrer qu'elle n'était pas une incapable. Cette chance il la laissait à peu de personnes... et Kikyo l'utilisa de la manière qu'il fallait pour le convaincre.

Son regard était concentré tout entier sur sa tâche. Sa petite main volait presque au dessus de la feuille tandis qu'elle reproduisait, dans un ordre qui déconcerta le démon, les runes inscrites sur le croquis. Chaque angle, même à main levée, était respecté à la perfection. Chaque courbe à l'identique. Elle avait même conservé le léger empâtement de la fin des phrases de Kyô dans sa reproduction. L'espacement de ses caractères et sa ponctuation si particulière. Un instant, Kyô se sentit Hideki Monohara, samouraï de son époque découvrant qu'il existait un autre monde avec des capacités phénoménales. Celui d'après, il était la phobie tout au fond de son crâne, cherchant à exploiter cette jeune fille. Par les moustaches du Shogun, elle n'avait pas fait une rature, pas une seule ! Pas une bavure, ni une tache, rien qui ne remette en question la perfection de la réplique. Ce dessin et celui qu'il avait fait étaient de parfaites copies, de diamètre différent. Comme une photocopie automatique, mais faite du bout des doigts de cette petite fée.

L'idée saugrenue qu'elle pourrait lui être utile se fit plus compacte et présente à la fois dans sons esprit. kikyo était une sorcière, il le sentait. Son pouvoir était encore une petite flamme rougeoyante qui n'attendait qu'une seule chose : avoir quelqu'un qui souffle assez fort pour en lancer les braises. Cela tombait bien, il pouvait être de ceux-là. Le démon au fond du corps de Hideki se mit à rire, et Kyô dégluttit pour trouver les mots. Comment aborder le sujet ?

Kyô : Votre dessin est... parfait. Tout bonnement parfait. La réplique est fidèle, précise, fine, je n'aurais su le faire une seconde fois moi-même, mes félicitations.

Il croisa les mains, puis se saisit des deux feuilles pour les observer l'une et l'autre. Si elle parvenait à reproduire à l'identique des runes aussi compliquées, il avait absolument besoin d'elle. Absolument.

Kyô : J'aimerais vous proposer quelque chose. Si vous êtes arrivée en cours d'années, je suppose que vous avez quelques... lacunes. Je peux y remédier.

Son regard glacial se porta sur la petite, tandis qui tapotait son index sur la réplique qu'elle avait réalisée.

Kyô : D'ordinaire je ne prends aucun élève pour un rattrapage. Mais vous avez un don certain, et j'aurais tort de l'ignorer. Je vous propose donc la chose suivante.

Ses yeux se levèrent pour la sonder, il eut un contact direct pour accentuer la pression naturelle qu'il exerçait sur son petit cerveau. Bon sang, son âme d'enfant l'appelait en hurlant. Il devait se retenir ou il envahirait sa tête comme un barbare la maison d'une contrée vaincue. Il cilla, inspira calmement, et rompit le contact.

Kyô : Passez dans mon bureau quand vous en aurez l'envie. Je m'y trouve tous les soirs après vingt heures et jusque vingt-deux heures. Ne venez pas le mercredi vous trouverez porte close. Mais je vous apprendrai à développer ce trésor que vous n'utilisez pas assez. En échange de quoi tout ce que je vous demanderai, ce sera de temps en temps un coup de main pour dessiner un de ces cercles. Qu'en dites-vous ?

Une nouvelle fois il venait de poser une question qui ne souffrait aucun refus. Oh, bien sûr, il ne pouvait forcer Kikyo à lui obéir. Il aurait été très déçu de la voir refuser son offre, mais peu de personnes acceptaient de se mettre le professeur de sciences occultes à dos. Principalement car ses ennemis divorçaient, se retrouvaient avec un bras dans le plâtre ou tombaient gravement malade après leur altercation. Si cette petite n'était là que depuis deux jours, elle ne devait pas le savoir. Mais il espérait que le silence tendu des élèves alentour l'alerterait suffisamment pour lui permettre de faire le bon choix.

Car il aurait eu grand regret à torturer une si douce et talentueuse dessinatrice.

Parfait.

Le mot résonnait encore dans le jeune esprit de la petite. Ses félicitations ? Ses...
Elle n'y arrivait pas. Elle ne pouvait pas réaliser qu'il avait dit ça. Non, c'était parfaitement impossible, et étrangement, elle aurait souhaité plus que tout que son dessin soit raté.

Et oui. Ce mot, parfait, lui écorchait affreusement les oreilles. Elle sentait, au fond de son âme, comme une certitude sourde, que ce mot n'était pas de bonne augure. D'un part parce que par la suite, la moindre erreur serait sanctionné plus sévèrement, et d'autre part, parce que ce professeur lui donnait le sentiment qu'elle n'aurait jamais du lui donner son carnet. La tension devenait palpable. Cette fois, elle sentait bel et bien les autres élèves se tendre et lui jeter de discrets regard inquiets.

Elle même aurait préféré être à leur place. Elle ne savait tout simplement pas quoi dire. Pas quoi répondre.

Il lui proposait... Quoi ? Attendez, attendez. Combler ses lacunes ? Il parlait de l'aider ? Son esprit s'éclaira brusquement. Le soutien d'un professeur pouvait se montrer extrêmement utile. Surtout d'une personne capable d'effrayer les élèves à ce point. En même temps, est ce que s'associer à un professeur pareil était réellement une bonne idée ? Elle s'était juré de ne pas se faire remarquer, de ne pas faire de vague, et elle venait juste d'attirer l'attention d'un professeur.

Et pas de n'importe lequel. Et pas de n'importe quelle façon. Une fois encore, sa voix glaciale venait de signifier clairement que la proposition avait une dimension purement rhétorique.

Et soudainement, elle commit une erreur. Son regard croisa les iris du professeur.

Ces pupilles étaient tout simplement la chose à la fois la plus captivante, et la plus angoissante qu'elle ai jamais regardé... Elle ne pouvait tourner le regard. Elle souhaitait de tout son coeur et de toute son âme pouvoir s'enfuir loin, jusque dans les bras de sa mère pour y pleurer toutes les larmes de son corps. Mais rien dans se regard ne laissait entrevoir une possibilité d'échappatoire.

Elle sentit une peur irrépressible s’emparer de son esprit, l'espace d'un seconde peut être, mais rien ne lui avait jamais semblé aussi menaçant.

Puis il tourna les yeux. Kikyo fit de même le plus vite qu'elle le put. Sa respiration s'était légèrement accéléré, et, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, elle avait pâlit. Sa peau couleur de porcelaine déjà quasiment translucide lui donnait à présent l'air d'avoir été passé à la javel puis au Karsher. Ses yeux carmins écarquillés étaient fixés dans le vide, comme si elle avait vu un fantôme. Rien ne lui avait déjà donné une telle impression d'impuissance et de mal être.

Et le pire dans tout ça, c'est qu'elle avait clairement remarqué qu'il se retenait.

Elle entendit à peine ce qu'il dit ensuite. Elle comprit soudainement qu'elle ne pourrait pas refuser. Elle n'avait pas le choix. Elle devait accepter. Elle sentait au plus profond de son être la peur s'agiter. Elle n'avait encore rien vu de ce dont il était capable. Et il n'hésiterais pas à lui montrer. Elle inspira profondément, sans le regarder, les mains légèrement tremblantes.

- Je... Je veux dire, oui... Je... Je viendrais... Merci... Monsieur...

Sa voix déjà fluette s'éteignit à la fin de la phrase. Elle savait pertinemment qu'elle venait de faire une erreur. En fait, entrer dans cette bibliothèque avait été une erreur. Venir dans ce lycée de malade mentaux avait été la plus grande erreur de sa vie !

Elle sentit un regard se poser sur elle. Elle leva les yeux et aperçut un élève assit à une table non loin, qui la fixait d'un air moqueur, un sourire insolent sur le visage. Kikyo se sentit insultée. Mue par une impulsion, elle plongea une main dans sa poche et en sortit une bille de plomb. Elle raffermit sa prise sur son crayon et se concentra sur l'élève incriminé.

D'un discret mouvement de la main, elle bougea la pointe du crayon. La bille s'envola, et flotta un instant dans les air avant de foncer à grande vitesse vers l'élève avant de lui frapper violemment le front, y laissant un bleu de deux centimètres de diamètre. L'élève fronça les sourcils et se frotta le front avant de se lever, l'air de vouloir répliquer d'une façon ou d'une autre.

Parfait, elle avait accepté. Il s'y attendait à vrai dire, il n'était pas habitué à ce qu'on lui refuse quoi que ce soit. Kikyo semblait toujours intimidée par sa personne, mais au moins le regard terrorisé qu'elle lui avait servi pendant quelques secondes était parti. Il faudrait qu'il fasse attention à l'avenir, s'il se montrait trop dur avec elle elle risquait de se refermer et de ne plus rien apprendre. Cela passait encore, mais qu'elle ne produise plus rien était plus embêtant. Vraiment. Poliment, il se leva donc de sa chaise et repartit en direction de son bureau de bibliothécaire, dans le silence de la bibliothèque. Il avait de grands projets pour cette sorcière. D'abord quelques cercles mineurs, des conjurations simples. Puis du vaudou plus poussé, avec runes protectrices. Oui, elle lui permettrait de mener ses expériences les plus noires sans faire aucun sacrifice. Il lui suffirait de se faire marquer les protections à-même la peau. La seule chose dont il avait été incapable jusqu'à présent, protéger son corps. Pas par un tatouage ou un marquage sombre, une simple inscription au feutre suffirait. Mais s'écrire dans le dos était impossible, même pour lui.

Kyô se rassit sur sa chaise et chassa le regard d'éventuels curieux d'un coup d'oeil bien placé, et très appuyé, pensant rester tranquille. C'était sans compter sur la stupidité des adolescents. Une onde magique, infime, traversa la pièce. Elle avait un goût acide et une répercution précise, exactement le type de marque qu'il aurait attribuée à Kikyo. En voyant un élève se lever brusquement, un bleu au milieu du front, le démon de la peur comprit qu'il avait vu juste. Bien entendu. Ces abrutis de curieux ne pouvaient se contenter de laisser trainer leurs oreilles non.

Il fallait aussi qu'ils lynchent ceux qu'ils avaient détestablement espionnés.

Devant ses yeux, le garçon d'une quinzaine d'années se leva, et fit un geste étrange avec ses doigts. De petites impulsions magiques partirent, comme des balles de pistolet invisibles. Le démon de la peur sentit un poids s'insinuer dans son estomac et parcourut les quelques pas en trombe, se plaçant dans une volée de cheveux violine entre les projetctiles et sa nouvelle associée. La première explosion le cueillit à l'omoplate, la seconde juste en dessous des muscles pectoraux droit. Il émit un gémissement de protestation et vérifia l'étendue des dégats. Deux hématomes d'un bleu violacé envahirent sa poitrine. Il sentit quelque chose d'incroyablement fort s'emparer de son esprit, et son aura s'étendre à la pièce toute entière.

A cet instant, il comprit qu'il était véritablement en colère.

Sa peau diaphane, si fine, qu'il entretenait chaque jour était contusionnée. Son corps qu'il sculptait et entretenait avec autant de soin que ceux apportés à un nourrisson était abîmé. Il avait survécu plus de mille ans avec un corps d'emprunt toujours respectueusement entretenu et ce... fils de chienne, cet incapable à la gueule en coin osait le toucher ? Son regard polaire infiltra celui du garçon qui resta pétrifié de terreur pendant une bonne vingtaine de secondes. Juste ce qu'il lui fallut pour se forcer un passage à travers ses barrières mentales. Elles n'étaient pas bien épaisses, soit ce gosse n'était pas sorcier mais d'une autre race, soit il avait de sérieuses tares le long de son arbre généalogique.

L'esprit du démon de la peur partit tout droit au plus profond des terreurs du gosse. Elles étaient si nombreuses qu'il ne savait par laquelle commencer. Il n'avait pas le temps ni l'envie de s'attarder à le punir. Alors il en prit une au hasard, et s'empressa de la tourner dans tous les sens. Il sentait la souffrance mentale de l'élève mêlée à la sienne propre et corporelle augmenter au fur et à mesure. A l'intérieur, Kyofushou jubilait, les lambeaux de sa carcasse grandissant avec sa nourriture. Puis, une fois qu'il fut sûr de ne plus rien avoir à tirer de cette frayeur, il l'avala tout rond. Elle passa longuement, comme une pastille pour la gorge gobée trop tôt.

Kyô revint brusquement dans son corps propre et fixa l'élève au regard vide, qui était maintenant pâle comme un linge. Il s'était trompé sur son compte. A part transpirer à grosses gouttes et devenir aussi transparent qu'un rouleau de printemps, il ne marquait pas grand signe de perturbation. Il n'avait même pas crié. Kyô se pencha à sa hauteur, et parla d'une voix lente et menaçante, main sur son torse.

Kyô : Avisez-vous de lever encore une fois la main sur l'un de mes élèves et les pratiques d'interrogatoires du comité ressembleront à un doux rêve à côté de la retenue que je vous infligerai.

Sûr d'être suffisamment clair, il se releva et pivota vers Kikyo, visiblement mécontent malgré la neutralité de son masque.

Kyô : Quant à vous, ne réagissez pas à la provocation. Les provocateurs sont des imbéciles, ceux qui leur répondent des faibles. J'en ai assez vu pour aujourd'hui. Il faut que j'aille soigner ces hématomes.

Le ton était clairement accusateur.

Kikyo avait sentit trop tard, bien trop tard l'aura de l'importun garçon. Un sorcier. Plus puissant qu'elle. Elle se tendit en le voyant se lever et souffrit presque d'avance quand elle sentit l'onde magique émaner de sa main.

Lorsqu'elle vit le professeur se placer entre elle et l'agresseur.

Elle arrêta de respirer quand les projectiles frappèrent. A vrai dire elle ne craignait pas pour son professeur, elle doutait qu'un simple élève puisse lui infliger quoi que ce soit de grave. Elle craignait à la fois pour elle même, car elle sentait qu'elle allait payer ce sauvetage, et pour le jeune garçon.

Le professeur se redressa. Et à se moment, Kikyo remercia mille fois le ciel de ne pas se trouver à la place de son agresseur. Elle sentit l'aura glaçante s'étendre. Elle se tétanisa brusquement et lâcha son crayon. Il tomba sur le sol avec un petit bruit sec, et un grand vide emplit l'âme de la petite sorcière. Elle resserra son poing autour du vide, cherchant avec une grande panique à y trouver son crayon. Elle ne put détacher ses yeux du visage de la victime, elle pouvait seulement contempler son expression se décomposer au fil des secondes qui s’égrainaient.

Elle le plaignait sincèrement.

Mais ça, s'était avant que le professeur se tourne vers elle. Lorsque son regard se planta dans ses iris, elle se planta les ongles dans la paume tant elle voulait récupérer son crayon.

Lorsque la voix retentit, elle l'entendit jusqu'au tréfonds de son âme. Elle s'était montrée faible. Jamais une accusation ne lui avait fait autant honte que celle ci. Elle avait déçu la première personne à considérer qu'elle pouvait être utile. Elle se sentait horriblement mal. Elle cligna des yeux, puis baissa la tête.

- Oui Monsieur.

Elle n'ajouta rien de plus, honteuse. Elle se contenta de ramasser son crayon d'un geste fluide et précis. Elle se sentit légèrement mieux au contact du bois enchanté.

Il était inutile de s'attarder, Kikyo avait sans doute assez honte comme ça. Son numéro avait fait monté d'un cran les bavardages dans la bibliothèque, et Kyô reporta son attention sur le fautif de sa maltraitance avec un air qui ne présageait rien de bon. Il repartit entre les rayons, ne lâchant du regard le garçon que lorsqu'il y eut un obstacle entre eux deux. Une manière de lui faire comprendre que si le moindre de ses agissements arrivait aux oreilles des autorités compétentes - il n'osait même pas imaginer ce dont Komatsu était capable pour lui faire passer l'envie de torturer ses élèves - ce serait lui qui en pâtirait.

Ses gestes étaient assurés, malgré la douleur qui irradiait de sa poitrine. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas blessé, et plus longtemps encore qu'il n'avait pas ressenti une telle colère. D'un geste maîtrisé, il claqua "les malheurs de Sophie" et rangea le roman à sa place. Il posa sa main sur l'élève le plus proche de lui et se pencha à sa hauteur pour que lui seul l'entende, devant les regards effarés de ses camarades de table.

Kyô : Je vous confie la garde de la bibliothèque jusqu'à sa fermeture. Il ne reste que quelques heures. Tout débordement sera de votre responsabilité.

Pétrifié, il hocha la tête vigoureusement. La phobie quitta aussitôt les lieux, refermant la porte avec soin derrière lui. Presque immédiatement, le brouhaha habituel des étudiants dissipés lui arriva aux oreilles.

Kyô adorait le jeudi. C'était le jour où il sélectionnait les sorts qu'il allait expérimenter le mercredi suivant. Le jour où il pouvait se lever tard et ne surveillait pas son réveil. Mais surtout, c'était le jour où il n'était sensé voir aucun élève, et il n'en avait vu aucun. Il avait gardé un troupeau de bovins bruyants et avides de lectures dissipées. Il avait trouvé une runiste de talent et s'était nourri plus de raison. Oui, Kyô adorait le jeudi, en théorie.

En réalité, à cet instant, il regretta de n'avoir plus d'injures dans son vocabulaire.

Putain de jeudi.

Hs : petite conclusion pour un grand rp =p