Bonjour

coloc !

Mickaël était, il faut l'avouer, surexcité. Depuis plusieurs heures il marchait à droite, à gauche, tournait en rond. Il avait trois fois refait son lit, vérifié la porte, il était sorti dans le couloir pendant dix minutes, par deux fois déjà. Il avait roulé sur son lit, essayé de faire une sieste, mais c'était inutile. Il ne parviendrait pas à dormir, pas avec la nouvelle qu'on lui avait apporté quelques minutes plutôt. Quelques minutes ? Quelques heures plutôt, il avait même l'impression que cela faisait des jours, des semaines qu'il attendait ça. Car oui, la citrouille ambulante, l'être le plus sociable de Yôkai allait avoir un nouveau colocataire.

Oh il aimait bien Korosu, mais dans le genre présent on faisait tout de même mieux. Cet élève, membre du conseil qui plus était, dormait si peu dans la chambre que son lit n'avait même pas été défait. Autrement dit, il avait un colocataire fantôme. Quand on lui avait dit le nom du nouvel élève, il avait failli sauter au cou du membre du Conseil, mais s'était abstenu, contenant une explosion de joie derrière un sourire poli. Sloven O'Connor. O'Connor, un nom Irlandais, donc. Enfin quelqu'un à qui il pourrait parler sa langue d'origine sans avoir à se sentir complètement attardé. Enfin quelqu'un avec qui il pourrait discuter de leur belle île , là-bas, en Europe. Et puis, il aimait bien ce nom.

Sloven O'Connor.

Quelqu'un avec un nom aussi agréable à entendre ne pouvait être qu'un beau garçon. Mickaël adorait les garçons. Il aimait les gens beaux. Et il aimait encore plus pouvoir passer du temps avec eux, il se sentait plus... à son aise. Dans son milieu. Libre, aussi. Même si plus le temps passait plus la date de sa rencontre avec Isaac Sandlord se rapprochait. Ah oui, exact. Il était aussi surexcité pour cette raison. Parce qu'une semaine avait déjà passé depuis leur entretien. Et qu'il n'en restait plus qu'une d'ici à ce qu'ils se revoient. Le rituel. Son petit jeu avec le professeur. Il avait vraiment, vraiment très hâte.

Il avait préparé la chambre pour faire le parfait bizutage, fermé les volets, avait mis un piège sur la poignée, pour que quand elle tourne, et ouvre la porte... sa supercherie se dévoile. Bon. Il espérait de tout son coeur que celui qui rentrerait ne serait pas Korosu parce qu'il s'apprêtait à enfreindre la loi numéro 1 de l'académie : ne pas révéler sa race. Mais un Irlandais ne pouvait pas être une mauvaise personne, si ?

Son masque d'humain à moitié enlevé, les yeux et la bouche luisante, il laissa son sourire de Jack'O'Lantern fendre son beau visage, et se cacha derrière le rideau de la fenêtre. Sloven ne devrait pas tarder à arriver maintenant... Et il serait là pour l'accueillir.

Il se demandait comment il serait. Roux ? La plupart des irlandais qu'il avait rencontrés était bruns, en fait. Un brun châtain, très clair, mais bruns. Oh il y avait bien Adam qui était roux. Et un autre dont il ne parvenait pas à se souvenir le nom. Isaac était très... blond. Mais Isaac était anglais. Sloven, Sloven. C'était un prénom nordique, ça. Est-ce qu'il allait tomber sur un simulacre de Viking ? Et si c'était un de ces amateurs de guitare électrique qui hochait de la tête en rythme ? Mince. Mieux valait qu'il ne joue pas trop avec ses nerfs alors.

Mah. C'était trop tard de toute façon. Il venait d'entendre la porte bouger. Signe que quelqu'un n'allait pas tarder à entrer.

Il alluma les petites flammes au bout de ses doigts, les passa sur les bougies et poussa sa tête en avant, derrière le rideau noir.

Mickaël : Qui pénètre en ma demeeeeeeeeeeure ?

Son sourire de citrouille, visible à travers le rideau, devait lui donner un air effrayant. Mickaël ne voyait rien. Il sortit d'un coup, poussant sur ses jambes, et se plaça, jambes écartées, genoux pliés, toisant le nouveau venu. De dos, il ne voyait pas grand chose avec la lumière derrière. Il pencha la tête sur le côté, et le regarda d'en dessous, avant de lâcher un rire crissant, grinçant, des boîtes de conserve qui s'entrechoquaient. Puis, il leva l'index, une petite flamme au bout.

Mickaël : Bienvenue Sloven O'Connor !

Be my guest

La réaction qu'il avait provoquée chez Sloven était... inattendue. Voire même carrément déplacée. Il savait que d'autres que lui se seraient vexés. Il fallait dire que la plupart des épouvantails, attifés d'un maître sorcier, se prenaient pour des personnes de haut rang social. Ou du moins des créatures qui avaient un peu plus de prestance qu'un "Jack O'Lantern". Mais lui qui avait la langue si bien pendue ne sut pas quoi dire quand le jeune homme blond se jeta sur lui, tirant ses joues pour les examiner. Il se sentit même... gêné. Et le Mickaël si tactile que tout le monde connaissait pour ses capacités à mettre à mal les inhibitions des autres fit un mouvement de recul. Il considéra la personne qui était son nouveau colocataire. Selon tous critères confondus, il était indéniablement mignon. Des cheveux blonds, épais et brillants, et surtout très longs. Un regard troublant et une... fourrure blanche ? L'épouvantail haussa un sourcil dubitatif. Et bien, ça c'était un élève qui avait pris la décision de sa vie en venant à Yôkai, s'il était tellement sujet à la métamorphose émotive.

L'épouvantail regagna son visage d'humain, accrocha ses cheveux en arrière et eut un sourire amical, éclatant de rire. Ce n'était pas pour se moquer, Sloven l'avait simplement désappointé. Devait-il le gronder, lui dire qu'un élève ne se montrait pas à l'autre alors que c'était exactement ce qu'il avait fait ? Nan. Il l'aimait bien, ce petit renard blanc. L'écho de son hilarité désagréable s'éteignit lorsqu'il prit son inspiration. Un instant, on aurait dit qu'une souffleuse gigantesque chatouillait les bris de verre au bord d'un paquebot. C'était là le seul défaut physique de Mickaël. Son rire était insupportable.

Mickaël : Quelle impulsivité ! La prochaine fois je ferai attention à ne pas te chatouiller ou je risque d'avoir des poils sur mon pantalon, hein ?

Il croisa les bras, moqueur, et lui offrit une révérence polie, pour se présenter.

Mickaël : Je suis Mickaël. Mickaël Salamander, et comme tu l'as deviné je suis un épouvantail, mon petit Kitsune. Normalement on dort avec Korosu Tsukushi mais autant t'avouer qu'à part pendant les entraînements je ne l'ai jamais vu. J'ai le lit à gauche de la fenêtre, lui le lit au dessus du mien. Les deux lits à droite sont libres, prends celui qui te plaira.

Il s'avança poliment et prit la valise du nouveau venu pour la porter à l'intérieur de la chambre. Puis il ouvrit la fenêtre pour faire entrer de la lumière, content de voir son nouveau colocataire plus aimable que l'ancien. Il fallait dire qu'en plus d'être particulièrement absent, Korosu n'était pas la personne la plus sympathique que connaissait Mickaël. Sloven lui semblait plus... abordable.

Mickaël : A l'étroit dans ton pantalon. Pendant un moment j'ai cru que j'étais tombé sur tentacule man. Ou un pervers exhibitioniste victime du syndrôme de tourette.

L'épouvantail marqua une pause, fronçant les sourcils. Ce qu'il venait de dire était la définition-même de la maladresse. Bah. Quelqu'un qui lui sautait dessus en le traitant de citrouille vivante ne devait pas être du genre à se vexer d'une plaisanterie aussi en dessous de la ceinture. Dans le pire des cas, il ferait pénitence en lui brûlant les fesses. Non mais.