Ahlala... et une journée de plus qui semblait ennuyante pour Shygana. Mais de quoi se plaignait-il, lui qui aime avoir une vie plutôt paisible. Assis derrière le bureau de l'infirmerie, il se balançait légèrement dans son siège, fixant le plafond en chantonnant, les mains soutenant sa nuque. Il rêvassait à tout et à rien, aux élèves déjà rencontrés, aux histoires qui se tramaient, à une certaine bibliothécaire aussi.
Il s'étira les bras vers l'arrière, bâillant ouvertement sans mettre sa main devant (ne faites pas ça chez vous °°), lorsque quelqu'un frappa à la porte, ce qui manqua de faire perdre l'équilibre à l'infirmier qui se redressa immédiatement et partit en direction de la porte qui s'ouvrit, laissant voir une jeune fille aux cheveux noirs, yeux bleus, assez charmante il fallait l'avouer. L'élève le fixait étrangement, d'ailleurs lui aussi la fixait, passant sa main dans sa chevelure blonde dont une mèche couvrait un oeil...

"...'Ana?
_ Presque, c'est Shygana"

Il semblerait que le démon ne l'avait pas reconnu en fait... Décidément il était vraiment tête-en-l'air et inutile. Il regarda un instant l'ensemble du corps de sa patiente, non pas pour la reluquer mais plutôt pour trouver ce qui l'a menait jusqu'à lui. Il fit un rapide signe de la main pour lui dire de s'asseoir sur un tabouret près d'une table pendant qu'il prenait de quoi soigner tout ça. Revenant avec cotons, pansements et de quoi nettoyer tout ça, il s'assit en face d'elle, sur un autre tabouret à roulette.

Peu d'élèves viennent ici pour une simple égratignure... Ce qui est idiot d'ailleurs. Attention ça peut faire mal

Sans prévenir il appliqua un coton imbibé d'alcool sur l'un des coudes et frotta le plus délicatement possible, puis regarda s'il n'y avait pas de cailloux coincés dedans, ce qui n'était pas le cas. Il passa à l'autre coude, toujours en silence, regardant parfois le visage de la jeune fille, mettant à découvert des yeux qu'il n'aimait pas à cause de son changement de couleur dans certaines circonstances. Les iris de cette fille avaient d'ailleurs la même couleur bleue, un bleu plutôt rare à trouver il faut l'avouer. Mais Shygana n'arrivait pas à reconnaître. Une fois les petits soins fini, il se releva, jeta ce qui était à jeter et se redirigea vers son bureau.

Rien de bien méchant, évite juste à traîner tes coudes n'importe où et ça devrait aller...

Conseil assez stupide en soi, ce n'est pas comme si c'était un bébé qui jouait sans arrêt dans un bac à sable. Une fois assis, il sortit un dossier et commença à écrire.

... Ton nom je te prie?

« J’ai tant changé que ça ? Je sais que j’ai grandit mais quand même… Il y a des signes qui ne trompent pas. Tala… Tala Fuutayga, baka... Y'en a d'autre qui t'appellent 'Ana, mis à part moi ? »

Le tatouage ne trompait pas, c'était bien la soeur de Shygana, sans compter ce surnom. [sérieux on aurait pas pu trouver mieux?] Shygana restait étonnement calme... enfin pas si étonnement, il faut dire que personne ne l'avait vu se laisser dominer par ses émotions, un véritable mur de glace, à croire qu'il n'avait aucun sentiment. Pourtant il n'était pas aussi froid avec les élèves. Mais là, le démon n'avait pas l'air surpris, on dirait presque qu'il s'en fichait, comme si Tala venait lui annoncer le menu de la cantine. Elle referma sa robe avant de prendre son frère dans les bras, commençant à s'excuser.

« Pour commencer… Désolé d’avoir fugué… Si tu savais comme je m’en suis voulu, et comme je m’en veux toujours… Quand je suis revenue sur l’île et que j’ai vu… Le massacre… Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Comment tu y as échappé ? Et tu étais où tout ce temps ? Tu sais que j’ai fait je ne sais pas combien de villes, de pays, pour te retrouver ? »

Ca faisait beaucoup de questions d'un coup, surtout que tout ceci remonte à très très longtemps, Shygana se considérait encore comme étant jeune à cette époque. Mais il n'avait pas envie de parler de ça maintenant, il venait de retrouver Tala, sa soeur qu'il croyait avoir perdu pour toujours. Bien sûr il la savait en vie, mais avait abandonné tout espoir de la retrouver. Il faut croire que c'est elle qui cherchait mieux surtout.
Shygana se leva, soupirant légèrement en fermant les yeux, et posa sa main sur la tête de Tala. Elle avait grandi, il y avait de quoi être choqué. D'une douce petite voix, il dit un mot, un seul.

"Yakiimo..." [à ceux qui lisent ça, ça veut dire "patate douce grillée]

La main posé sur les cheveux noirs se crispa légèrement, avant d'enfoncer le visage dans le bureau, de tel sorte que la tête passa à travers. Des retrouvailles très chaleureuses en effet. Bien sûr il savait que ça ne lui ferait rien, mais bon, si ça permettait à l'infirmier de se défouler un petit peu. Tout à coup, il se mit à l'engueuler, comme si tous ses siècles passé loin de l'autre n'avait jamais existé. On peut le dire, Shygana peut s'énerver en fin de compte.

... Ca va pas de fuguer comme ça? Il t'es passé quoi par la tête? Baka, on ne se faisait pas assez de soucis comme ça, et toi tu te casses.

Bien sûr il était content de la retrouver saine et sauve, mais ne voulait pas lui avouer. L'infirmier se laissa tomber dans son siège et soupira à nouveau, histoire de se calmer. Il posa les coudes sur son bureau et décida de répondre à ses questions, reprenant son air calme et tranquille.

Le même jour où tu avais quitté l'île, l'un d'entre nous s'est rebellé, il cherchait à être "le chef", chose que personne du clan pouvait accepté. Les bases même de notre existence reposent sur l'harmonie entre chacun. Cet homme et quelques de ses disciples ont détruits toute vie sur cette île. J'ai survécu parce que ce soir là je n'étais pas au village, j'étais parti chercher mon idiote de soeur dans la forêt. En revenant, j'ai vu les cadavres et... je suis parti

Il mentait sur le dernier point. Cette version de l'histoire suppose qu'il reste des survivants, hors ils n'étaient que 2 à avoir survécu. Alors que Shygana fixait devant lui, les souvenirs de son combat contre ceux qui se sont révoltés défilaient sans sa tête. Il ne pouvait oublier les visages de chacun d'entre eux, des choses horribles qu'ils avaient fait.

Puis j'ai utilisé un pouvoir qui était dans le temple pour faire couler l'île...

Ca par contre c'est vrai. Il ne voulait pas parler de ce qu'il avait fait non plus durant tout ce temps... Ni pourquoi il s'est retrouvé à travailler au lycée comme simple infirmier. Il soupira à nouveau, regardant à nouveau Tala, les sourcils froncés. Il était toujours un peu énervé contre elle à cause de sa stupide fugue.

Et toi, comment es-tu arrivé jusqu'ici?

« Tu es parti ? Mais… Ceux qui se sont rebellés sont toujours en vie alors ? »

Il fallait que Tala lui pose cette question. En même temps c'est normal de vouloir savoir ce qu'est devenu les assassins de tout un village, qui plus est le sien. Shygana réfléchit à une réponse logique sans qu'elle soit vraie. Il ne voulait pas lui avouer que c'était lui qui avait fait l'ultime massacre, surtout que notre infirmier s'est battu seul contre une vingtaine de personnes, il n'en est pas fier. Mais impossible de trouver un mensonge assez convaincant.

Et bien, en fait non... Je... je les ai tués."

Voilà, il l'avait dit. Un démon tuant d'autres démons, dans quel monde vivons-nous? Il évita le regard de sa petite soeur qui était revenu s'asseoir devant le bureau dont le bord avait été joliment détruit. Alors que Tala expliquait comment elle avait aussi traverser des continents entiers à sa recherche, des vagues de souvenirs continuaient de s'échouer dans l'esprit de Shygana. Un visage qu'il n'avait jamais revu surtout, un visage doux, amical, venant d'une femme sublime, femme qui avait perdu la vie dans ses bras. Ses yeux étaient sur le point de virer au même bleu que celui de Tala lorsqu'elle le fit revenir à la réalité.

... Et toi? infirmier hein?

Voilà encore une question ch*ante... Pourquoi il était infirmier dans un simple lycée pour monstre? Parce qu'on l'a pris au piège, et qu'il ne peut remettre son nez dans le monde des humains sans risquer de se faire prendre, sans cesse pourchassé, obligé de fuir sans relâche. C'est pas une vie.

Le directeur est un ami, je le dépanne si l'on veut. Il paraîtrait que j'ai un pouvoir assez spécial fait pour

Il disait ça ironiquement, bien sûr que son pouvoir est spécial, si quelqu'un est blessé il peut le guérir, tout en projetant la blessure sur son propre corps avant de se guérir lui-même, et tant qu'il possède assez d'énergie, il peut se régénérer à fond (ou presque). Et vu qu'il a réussi à garder son pouvoir d’absorption toujours activé sans conséquences, l'énergie de risque pas de lui manquer. D'ailleurs vu qu'il y pensait, il avait bien vu que Tala avait activé ce même pouvoir, ça lui donnait une raison de changer de sujet.

A ton âge je pouvais déjà gardé activé constamment ce pouvoir. Ca t'arrivais de t'entraîner à les utiliser? Ou bien t'es toujours aussi têtue pour ne pas faire ce qu'on te disait avant?

Plus têtue qu'une mule, un caractère familial, bien que chez Tala être borné est presque devenu un art. Mais pour une fois depuis qu'elle était entrée, Shygana sourit tendrement, avant d'ébouriffer les cheveux de la petite démone.

Ca me fait plaisir de te revoir, et de voir tous les efforts que tu as pu faire pour me retrouver. C'est vrai que je ne suis pas du genre à laisser beaucoup de traces.

"Pas du genre à laisser beaucoup de traces" ? Des meurtres inexplicables ça à de quoi laisser des... attendez, non on ne rêve pas, Shygana a fait une petite minute sentimentale! En même temps c'est sa seule famille en vie qui est face à lui, que serait un grand frère sans un petit peu d'amour pour sa petite soeur?

Décidément celle-là... toujours autant de répondant. Même si Shygana pouvait être très patient, entraîner Tala ne serait pas pour lui une partie de plaisir, d'autant plus qu'il n'aimait pas utiliser ses pouvoirs pour certaines raisons. Le soleil qui passait par la fenêtre derrière le bureau de l'infirmier faisait étinceler les yeux de la petite démone.

« Bon alors, depuis toutes ces années, tu dois avoir plein de choses à me raconter ! Et fais pas style tu veux pas en parler, je te forcerai s’il le faut ! Raconte-moi tout ! Et vu ton grand âge, j’espère que tu vas m’annoncer que t’es marié ! »

Ce qui devait arriver arriva... un claque en pleine nuque. Elle avait beau être de sa famille, Shygana n'avait jamais parlé de ses aventures ou de ses histoires d'amour. Même celle qui se sont passé sur son île natale ont toujours été secrètes, ou presque du moins. Et il préférait éviter de se soucier des histoires de coeur, trop de problème, surtout avec les mortelles. En 3000 ans il ne pouvait considéré comme véritable amour que 3 femmes dans sa vie: son premier amour, morte dans ses bras sur l'île, une mortelle avec qui il avait fondé toute une vie, et une autre fille, rencontré il y a deux ans environ, et qui a disparu sans prévenir. Il lui répondit d'un air supérieur.

"Je ne te dirai rien, je suis célibataire et c'est tout. Et puis, es-tu certaine de vouloir t'entraîner? avec moi?"

Après tout Shygana a été entraîné à la très très vieille école... Bien sûr la partie théorie permettait de souffler un peu, mais tout n'est qu'une question de pratique. L'infirmier se craqua le dos, produisant un son assez horrible, sa colonne vertébrale avait craqué sur toute sa longueur, comme si elle était restée figée pendant des années. Il admirait à nouveau la gamine, ou plutôt la jeune femme à présent, qui se tenait devant lui, et au fur et à mesure que ses yeux restait sur elle, Shygana avait l'impression de vieillir... Tala, sa soeur si petite et inconsciente, si jeune et naïve, son attitude rebelle, tout ça s'était-il envolée? Il ne savait pas vraiment comment agir avec elle, en même temps, ça ne faisait même pas une heure qu'il l'avait retrouvé. Mais lui qui était si fier de son temps d'adaptation en combat, se relève impuissant pour parler à sa Yakiimo.