Première colle de sa vie.

Youpi. Ca se fête. Non ?

D'un autre coté, ce n'est pas comme s'il avait eu le choix. Il lui fallait sortir de là. Il passait sa journée à cotoyer des gens en cours, des gens dans les couloirs, des gens au repas... Le seul endroit où il ne voyait personne, c'était sa chambre – pour l'instant, pensée qui le faisait grincer des dents - et y rester trop longtemps le rendait claustrophobe. Les toits ? Du monde. La cave ? Du peuple. Le cimetière ? Encore des vivants. Il avait TOUT tenté : aucun moyen d'avoir la paix en journée.

Alors il s'était rabattu sur la nuit. Sa chambre était au premier étage, sa fenêtre coulissait facilement, et le calme de la nuit l'appelait. Juste lui et le vent, dans la nuit, sans aucune voix extérieure pour le distraire, sans aucune personne à surveiller du coin de l'oeil. Juste lui et la solitude. Pas moyen d'y résister.

Une fois, le mur. Deux fois. Trois fois. Et puis, il s'était fait attraper lors d'une ronde impromptue. S'ensuivirent des réprimandes qu'il avait subies les yeux baissés, attendant que l'orage passe – il avait enfreint le réglement, oui, mais comment aurait-il pu faire autrement ? - et le verdict : colle. Avec le professeur Fushou, responsable des sciences occultes.
Là, le membre du Comité qui l'avait alpagué s'était rengorgé, comme s'il venait de le jeter dans le sixième cercle des enfers. Bah, s'il le disait. Greg n'avait encore jamais vu ce professeur et n'avait donc pas d'a priori à ce sujet. Et puis, une colle, ça ne pouvait pas être si terrible, non ?

C'est donc relativement serein qu'il arriva devant la porte de la salle qu'on lui avait désignée comme étant celle des Sciences occultes. Relativement, car il devait admettre ressentir une certaine appréhension : tous ceux qui avaient eu connaissance de sa punition et surtout, du professeur qui la superviserait, lui avait lancé un regard en coin plein de pitié. Celui qu'on lance à l'insconscient qui se propose de jongler avec six tronçonneuses allumées.

Il frappa trois coups espacés à la porte pour annoncer son arrivée et, sans attendre de réponse, poussa la porte. Et là, toute appréhension déserta son esprit. Ne restait que le choc. C'était quoi, ça ?

Il voyait une salle de classe sombre, en longueur, le genre de classe qui hantent les cauchemars des cancres du fond de la classe. D'austères bibliothèques pleines de vieux grimoires, un meuble recouvert de fioles visiblement créées par un souffleur de verre enrhumé, des pupitres de bois sombre, un bureau sur l'estrade... Ah, et des affiches qui n'auraient pas déparé dans une boutique ésotérique – ou une chambre d'ado fan de gothic-métal.

Mais ça c'était avant.

Maintenant, c'était une immonde porcherie. Au vu de l'odeur entêtante, une porcherie de cochons qui avaient décidé de recracher leur estomac. Les immondes gerbes recouvraient les pupitres jusqu'à retomber sur le sol, créant un tapis spongieux des plus horribles. Il y avait même des éclaboussures sur les murs, et un amas gluant au plafond. Incroyable, mais vrai : il voyait des... gouttes ... tomber au sol. L'odeur lui retournait l'estomac, la vision achevait de lui donner des haut-le-coeurs.

Mais il s'était passé quoi, dans cette salle ? Sérieusement ? Quelqu'un avait lancé un sort de gastro-entérite aigue ? Cette pensée lui rappela vaguement Harry Potter, et la salle de potions où officiait Rogue, tapi derrière son bureau, prêt à fondre sur le premier élève qui ajouterait une pincée d'éllebore en trop à sa potion. Finalement, il comprenait la paranoia de l'homme...

Derrière le bureau, un homme se releva. Greg ne l'avait même pas remarqué, occupé à évaluer les "dégats" dans la salle.
Il n'était pourtant pas facilement négligeable : son visage impassible mais délicat était encadré par de longs cheveux noirs dont l'essentiel était rassemblé en queue de cheval. Son regard froid était rivé sur lui, le faisant frissonner... Jusqu'à ce qu'il remarque le kimono noir ample qu'il portait, dont les pans lui rappelaient la cape du professeur Rogue. Et l'écharpe dépareillée qui lui couvrait le bas du visage, lui donnant un vague air de cow-boy.
Sorcier, cowboy,... Manquait plus que quelques plumes et une paire de menotte pour que l'intégrale des Village People soit évoquée. Idée ridicule, mais après le choc olfactif et visuel, la cocasserie de cette pensée lui donnait envie de se rouler par terre en lâchant des sanglots de rire.

Il se mordit fortement la lèvre inférieure, sachant pertinemment qu'il ne devait pas rire. Surtout pas. Mais ce que son cerveau savait, son corps avait décidé de l'ignorer. Il prit une grande inspiration pour se calmer... Mauvaise idée.
Il s'acouda à la porte, essayant de rester debout pendant que la vague de haut-le-coeurs et de rires entremêlés le submergeait. Mal à respirer, mal au coeur, et il risquait de recracher d'ici peu ses poumons. Ou de se dilater la rate, il ne savait pas, ne savait plus.

Il finit enfin par se calmer, tant bien que mal. Se redressant, il se entreprit de se présenter, entre deux reniflements : "Je suis Gregory Ogramann. On m'a envoyé ici pour effectuer ma colle."

La première colle de sa vie. Il ne risquait pas de l'oublier, celle-là.