Il était une fois, dans une chambre sombre, un petit démon qui refusait de se lever. Il était pourtant tard, les cours étaient déjà bien entamés. Mais il ne voulait pas. Dormir était le seul mot poli de son vocabulaire, et la seule chose qu'il souhaitait. D'ailleurs, il aurait pu, si un satané chat n'avait pas décidé de lui gratter la tête. Pourquoi ? Pourquoi ne pouvait-il pas pioncer en paix ?!

Itsuki Kakushi, fier fils de sa mère inconnue, fier maître de son Cat Sith adoré, envoya ce dernier saluer le mur le plus proche, avant de s'enfoncer le visage dans l'oreiller, espérant pouvoir se reposer ne serait-ce qu'une heure. Mauvaise idée. Ledit oreiller sentait... L'herbe à chat ?! Réflexions profondes... Oh non. Misères, son colocataire contre-attaquait. Evidemment, il n'avait pas apprécié le coup de l'extincteur rempli de chantilly. Très bien, autant se lever alors.

A cet instant, le démon bénit l'inventeur des cages à chats. Cage où il fourra rageusement Kuro, qui ronronnait et tentait de lui labourer le crâne, autant avec ses griffes que ses dents. *Greg Ogramann, tu ne perds rien pour attendre.* Sa vengeance serait... Spectaculaire, même s'il ne savait pas encore quoi faire. Jetant un oeil à sa montre, il sourit, et sortit, se dirigeant d'un pas nonchalant vers... La sortie. Après tout, pourquoi s'ennuyer en cours alors que l'on avait la possibilité de s'en aller vers d'autres endroits bien plus intéressants ?

Forêt. Vert, grand. Joli. Mais surtout, paisible. Itsuki retira sa veste, sa chemise et sa cravate, et fit craquer ses membres. Au lieu de passer le reste de la journée à écrire, il allait s'entraîner. Même si la présence de Kuro était préférable, il s'en passerait. Ce n'était pas la première fois, et, avoir un félin accroché à ses cheveux n'enchantait guère notre petit démon. Petit démon qui hésitait entre femme et homme.

Femme augmentait a souplesse et la rapidité, homme la force et, bizarrement, la confiance. Peut-être était-ce bien psychologique, de changer ainsi. Optant finalement pour sa forme "originelle", le démon s'échauffa en faisant brûler quelques brindilles, puis en exécutant des sauts, retombant sur ses pieds en abattant un bout de bois en guise de sabre. Non seulement il s'améliorait, mais en plus, ça l'amusait. Frapper de la sorte des objets invisibles était plutôt divertissant. Puis il augmenta le niveau et tenta de brûler un arbre en particulier, sans toucher les autres. Evidemment, éteindre les flammes était plus dur, mais pas impossible.

Au bout d'un nombre considérable d'essais, il parvint à éteindre le léger feu qu'il avait créé et lâcha un cri de victoire. C'est là qu'il vit que... Il faisait nuit. ... Déjà ?! Bon Dieu ! Enfilant sa chemise et sa veste en gardant sa cravate dans ses mains, il courut vers le lycée. Phoque de bordel de shmoute. Si Kuro avait passé la journée dans sa cage, et que Greg lui avait ouvert par pitié... Se mordant la lèvre inférieure, le démon hésita longuement. Soit il rentrait, au risque de se faire explosé par Monsieur Chocolat, soit il passait la nuit dans les couloirs à méditer. Sans attendre une seconde de plus, il tourna les talons et partit dans la nuit sombre. Les murs lui donnait envie de les décorer avec de longues traînées de flamme, laissant une marque indélébile, faire flamber jusqu'à ce que son plaisir atteigne son paroxysme.

Alors qu'il déambulait dans les couloirs, uniquement éclairé par la lumière de la lune, astre lunaire si beau... Il percuta quelqu'un, et son instinct lui dit qu'il risquait beaucoup. Personne ne devrait se trouver dans cet endroit à cette heure, hormis... Les surveillants, et autres dérivés du conseiller principal d'éducation. Fuque.

Aller. Dernier service de nuit de la semaine et elle en aurait finit avec ce cauchemars qui consistait a faire des tours et des tours dans l'obscurité des couloirs déserts jusqu'au lever du soleil, le tout à côté d'élève tous plus dangereux les uns que les autres. Bien qu'elle commence quelque peu à se faire à l'idée qu'elle n'était plus humaine et surtout que tout les monstres n'en avaient pas après sa chair en cours de décomposition, elle avait tout de même du mal à accepter de cohabiter avec ce tas de... De... Dangerosité ?

Boh, et puis après tout, elle s'en moquait: il ne s'était jamais rien passé de vraiment flippant durant les nuits où elle avait été de garde, c'était pas maintenant que ça allait commencer. Coup de pot ? Oui, sans doute. Mais ne pas croire à la chance, c'est ruiner toutes vos possibilité d'en avoir, donc autant continuer à espérer.

Elle aborda donc sa soirée avec une fausse sérénité, fabriquée par une pionne qui en a marre de trembler devant les élèves qu'elle est censée réprimander. Elle était arrivée dans les bâtiments tous plus vides les uns que les autres à la tombé de la nuit et avait pris son poste, non loin de l'entrée. Café à la main (en train de refroidir) elle déambulait doucement dans le lieux, comme quelqu'un qui ne pense pas, ne respire pas, dont le cœur ne bat pas et qui quoi que vous fassiez vous semblera absent et mort. Ce qu'elle était, ceci dit. Mais ce soir là, ça se voyait plus que les autres soirs. Elle leva la tête.

L'astre des cieux sombre brillait d'un éclat sans pareil en cette calme obscurité. La surveillante marchait tête baissée dans les corridors qui semblait interminables, écoutant ses propres pas résonner. En jean, basket, veste large et cheveux camouflés dans la capuche, seule sa poitrine trahissait son sexe, ses hanches étant noyée dans un T-shirt manche longue, lâche et tombant. Les mains dans les poches, elle préservait le silence presque religieux qui s'était instauré entre les ombres et elle tout en restant à l’affût du moindre bruit qui pourrait lui indiquer une hypothétique présence.

En bref, bien que complètement distraite n'importe quel bruit aurait pu la tirer de sa profonde rêverie.

Ce qui ne manqua pas de se produire. Au départ, ce n'était qu'un bruit vague de pas confondu avec le vent dans les branches nues des arbres décharnés qui peuplaient la parc devant les constructions mais cela suffit à mettre la surveillante sur ses gardes. Elle s’arrêta pour écouter sans que son ouïe soit parasité par le son de sa propre démarche. Mais l'écho du couloir lui apportait la certitude que quelqu'un était en train de se marcher dans sa direction. Elle fit donc de même, comblant rapidement la distance qui la séparait de l'individu qui...

Ne la vit pas et lui rentra littéralement dedans. Elle recula instinctivement. Il était bien plus grand qu'elle, imposant jeune homme se mêlant aux ombres. Elle distinguait vaguement sa silhouette grâce au peu de clarté qui filtrait depuis la fenêtre mais pas assez pour identifier clairement. elle saisit donc sa lampe de poche et pointa le faisceau de lumière droit sur le visage du jeune homme.

Bon, ce qu'il y avait de sûr, c'est qu'il n'était pas humain... Oui, on est au lycée Yokai mais quand même. Lui, il semblait être incapable de prendre une apparence complètement humaine ce qui voulait donc dire, dans l'esprit de Gaëlle, qu'il était encore plus monstrueux que les autres.

Chevelure d'un bleu qui paraissait naturel, oreille pointues... Youpi ! La pionne allait s'amuser (à condition qu'elle ai pu parvenir à contenir le stress qui éclatait en elle). Toute les bonnes choses ont une fin, plus ou moins sympathique, et il semblait que celle de ses tours de gardes tranquille et sans embrouilles soit venue.

Elle rassembla son courage, empêchant brillamment sa voix de tressauter.

- Qu'est ce que tu fais ici, jeune homme ? Faut-il que je te rappelle le règlement intérieur ?

Spoiler:

Oui, il était bel et bien dans une merde noire. Déjà qu'il se faisait engueulé tout le temps sous prétexte qu'il brûlait très légèrement les murs du lycée, si en plus il était collé pour s'être glissé dans les couloirs en pleine nuit... caca quoi.

Mais restons calme. Avec de la chance -et une pionne sympatoche-, il s'en sortirait avec un simple avertissement. Pionne qui lui envoya la putain de lumière de sa putain de lampe dans la tronche, le faisant plisser les yeux et lâcher un grognement. *Mais baisse ton foutu machin ! Ah qu'est-ce que j'donnerais pas pour te faire flamber ! Comme une vulgaire saucisse !*

A l'intérieur, il avait tué tellement de fois cette femme que sa carcasse n'était plus qu'un reste calciné. Mais à l'extérieur, que dalle. Eh ouais, monsieur était un maître dans l'art de cacher ce qu'il pensait. Ce qui était très utile, surtout dans le moment présent. Se faire coller pour avoir eu envie d'étriper cette foutue pionne n'était pas dans les projets du démon.

Démon qui avait enlevé les mains de ses poches pour se protéger de ce putain de faisceau blanc, dans l'espoir de protéger ses yeux fragiles de ce jet de lumière aveuglante. Parce qu'elle était puissante sa putain de lampe, ça oui ! De quoi rendre aveugle n'importe qui. Mais à quoi ça servait sérieusement, de foutre ça dans la gueule des gens en face de soi ? A part être chiant ? A rien, voilà.

Mademoiselle Aveuglante, en bonne pionne, se décida à l'ouvrir, pour poser une question, non, deux questions, dont les réponses étaient évidentes.

- Qu'est ce que tu fais ici, jeune homme ? Faut-il que je te rappelle le règlement intérieur ?

*Ce que je fais ici ? Je chasse des papillons, ça se voit pas ? Et ton règlement intérieur de mes fesses, tu peux te le garder, merci bien.*

-Je n'arrivais pas à trouver le sommeil. C'est inutile, je me sais en faute ~

Des pensées et des paroles différentes. Narmol, non ? Vous connaissez beaucoup de personnes qui diront exactement ce qu'elles pensent ? Y en a, évidemment. Mais pas des masses. Sans être faux-cul, plutôt... Gentil, même, puisqu'il épargnait ses interlocuteurs de ses pensées peu agréables. Dans la tête du démon, se foutre de la gueule des autres, c'était naturel. Les débilités sortaient toutes seules.

Un sourire poli scotché au visage, le jeune homme aux cheveux bleus fourra ses mains dans ses poches, et dut baisser les yeux, la lumière vive l'empêchant de regarder celle qui, apparemment, allait lui "faire sa fête".

-Excusez-moi, mais votre lampe m'aveugle... Vous pourriez pas la baisser ?

Le tout lâché sur un ton neutre, pour ne pas s'attirer les foudres de la demoiselle. Du Itsuki tout craché, j'vous dis.

Bon. Déjà, elle avait bien baissé sa putain de lumière. Une bonne action. Maintenant, restait à voir si Itsuki allait se prendre une bonne punition, ou si la pionne allait être sympa et laisser couler ce fâcheux incident. Et puis, c'était pas comme s'il avait brûler les murs. Oui, il l'avait déjà fait, mais, pour une fois, ce n'était pas le cas. Il glandait juste dans les couloirs, y avait pas de mal ! Même s'il faisait nuit, et qu'il savait qu'il devrait être au pieu à cette heure.

-Bien sûr. Excuses-moi, je n'avais pas fait attention. Je ne t'ai pas trop incommodé j'espère?

Ouah. Super sympa la fille. Dans sa tête, le démon envisageait déjà de pouvoir s'en aller sans soucis. Après tout, si elle était comme ça, elle aurait pu le laisser faire. Et puis peut-être qu'il pourrait l'effrayer... Ouais, mais non. Après, les ennuis risquaient d'être plus volumineux, s'il faisait ça. Mauvaise idée.

-Non, ça ira. Merci.

Simple, froid mais pas trop, détendu. Voilà. Ce ton collait parfaitement avec Itsuki qui, sur le moment, était totalement en mode "je m'en fous j'ai pas peur". Les mains toujours fourrées dans ses poches, il tripotait un fil à l'intérieur, tirant dessus ou l'enroulant autour d'un de ses doigts.

-Donne moi ton nom et ta classe.

Il allait répondre quand elle ajouta quelque chose qui lui donna fortement envie de rire.

-S'il te plais.

Non. Il ne lui plaisait pas de dévoiler son nom et sa classe. Et pourtant, il en était bien obligé. Ce simple "s'il te plaît" montrait que l'autorité de la jeune femme laissait à désirer, mais Itsuki ne fit aucune remarque là-dessus. Politesse, oui.

-Itsuki Kakushi. Terminale.

Il avait envie de lever les yeux au ciel. Il avait beau avoir 19 ans d'apparence, il en avait bien plus, mais n'avait pas redoublé une seule fois. Il n'était pas con, il foutait rien. Sauf dans les matières qu'il aimait bien.

-Bon... amène toi, je t'escorte jusqu'à ta chambre.

Parce qu'elle savait où il dormait ? Limite flippant. Et puis, si c'était pour qu'ils se fassent tous les deux agressés par le foutu chat qu'il y avait à l'intérieur... Merci bien. Le démon sortit une main de ses poches pour se gratter le crâne, et allait la suivre lorsqu'elle se retourna, avec l'air de quelqu'un qui avait vraiment besoin de pioncer.

- Attends. Elle est où ta chambre ?

Ah. Ouf. Elle n'en avait aucune idée. C'était presque rassurant, bien qu'Itsuki n'avait pas eu peur depuis le début. Après tout, un démon qui flippe, ça le faisait pas trop. Il se retint de sourire, et lâcha sur un ton indifférent.

-Aile Nord, chambre G.1.

Sur le moment, il avait douté, mais, après réflexion, il hocha la tête. Ouais, c'était bien là. Par euh... Politesse ? Il n'avança pas, et se tint intérieurement prêt à rattraper la petite chose si elle tombait de sommeil. Ouais, il s'en foutait de tout, mais bon, laisser une pauvre fille tomber lourdement sur le sol, c'était pas correct.

Enroulée autour de sa taille, la queue du démon lui chatouillait les côtes, ce qui lui donnait envie de rire. Pas autant que cette pionne qui avait l'air, autant le dire, totalement paumée. Sa lampe éclaira le panneau au-dessus d'elle. Une niaise, ou juste une pauvre femme en manque de sommeil ? Question sans importance, mettons-la de côté. Pour évier qu'elle ne sorte toute seule, si elle trottait dans l'esprit d'Itsuki. Bah oui, des fois il parle sans même s'en rendre compte...

- Bon... Bah, on va pas rester plantés dans le couloir pour l'éternité. On y va?

Allons-y, chère... Chère personne ? On va dire ça comme ça. Chère, moyen. Si elle lui foutait un problème au cul, elle passerait de chère à indifférente, voire chiante. D'ailleurs, elle n'était même pas chère aux yeux du démon. Peut-être que si il la voyait crever devant lui, il réagirait pas. C'était une éventualité. Après tout, il ne la connaissait absolument pas.

Perdu dans son esprit bizarre, Itsuki faillit ne pas l'entendre, et aussi lui rentrer dedans. Mais il réussit à se stopper net en face d'elle, grande masse fine. Il ne se sentait pas vraiment puissant, juste... Plus... Haut. Ouais, haut. L'avantage d'être grand. Certes, il n'était peut-être pas l'homme le plus imposant de ce lycée, mais sa taille était quand même élevée. Mais sur le moment, ça n'avait strictement aucune importance.

- Bon, bah... au cas où tu l'aurais pas encore compris, me perdre est chez moi une vraie spécialité. Alors, ce qu'on va faire, c'est que: TU vas allez à ta chambre et JE vais t'accompagner et pas l'inverse. Parce que là, vu comment c'est parti...

Oh. Madame était perdue ? Son insistance sur les pronoms personnels fit sourire le démon, mais il ne fit encore aucun commentaire. C'était trop dangereux de vexer ou provoquer un membre du personnel, surtout une pionne. Parce que bon, après ses nombreux entretiens avec les CPE, il commençait vraiment à en avoir marre, quoi. Mais bref.

Sans même daigner lui répondre, il lui jeta un regard neutre, et, les mains dans les poches, prit le bon chemin. Restait à voir le temps de réaction de la jeune femme... Soit elle aurait le bon réflexe de le suivre avant que sa silhouette ne soit engloutie par l'obscurité profonde, soit elle restait plantée là comme une conne et le regardait partir vers sa chambre. Cette perspective fit rire le démon. Il n'était pas gentil, mais pas vraiment méchant; Il s'en foutait juste. Elle pouvait se perdre, il en aurait rien à faire. Pourquoi ?

Bah parce que c'était Itsuki Kakushi. Voyons. Il allait pas non plus se soucier d'une pionne paumée das les couloirs. C'était à elle de se débrouiller un peu, non mais sérieusement. Manquerait plus qu'il revienne sur ses pas et lui propose sa main en mode gentil garçon légèrement lèche-cul. Pff.

Il avait pas vraiment l'air ravit, ni vraiment mécontent. Il semblait même sur le point de laisser s'échapper un rire non retenu. Ou du moins, c'est ce qui apparaissait à Gaëlle qui laissa le jeune homme la devancer (ou plutôt qui laissa le jeune homme s'imposer comme guide) avant de le suivre. Après cette mésaventure, elle pourrait sortir un bouquin: comment être la pionne la plus ridicule et inutile du monde en dix leçons.

Cette pensée lui tira une moue boudeuse qui étira ses lèvres bleuté par la mort en diagonale de haut en bas et de droite à gauche, lu faisant rehausser un sourcil et fermer à moitié un œil. Puis, consciente qu'elle allait encore passer pour une imbécile finie, elle redressa la tête, détendit ses traits, releva son regard qui se heurta à... La masse de hauteur et de finesse du jeune homme. Pourtant, Gaëlle n'était pas si petite que ça... Enfin, en théorie... Enfin....

Trop grand. Trop, trop, trop grand.

Non, mais non quoi. Pourquoi ? Pourquoi fallait-elle toujours sur les élèves "trop" ?

Trop choupie, trop étrange et maintenant trop grand. Quoi que, globalement, dans son comportement il semblait être le plus "normal" des trois. Ce qui n'était pas pour autant rassurant.

Elle voulu s'arrêter pour le laisser s'éloigner et continuer de le suivre mais d'un peu plus loin, cependant, la nuit et sa couleur qui happait la lumière ne lui laissa pas franchement la possibilité de le faire. Soit elle le collait, soit elle le perdait de vu. Il fallait donc qu'elle le colle. Flûte.

Ils avançaient bon train, suivant le trajets que les couloirs leur imposaient, se mêlant bruyamment aux ombres comparativement aux créatures de nuits que la surveillante croyait deviner à chaque tournant. Le faisceau de sa lampe éclairait faiblement la sombre brume du soir. Elle le pointait sur tout, tout le temps, se tournant à droite, à gauche, cherchant qui d'autre qu'eux évoluait dans ses couloirs.

Tout en s'affolant, elle continuait à marcher, trottinant presque pour parvenir à suivre le rythme que l'élève lui imposait, achevant de renforcer son impression de fatigue intense. Elle était morte, le sommeil était donc pour elle une notion abstraite. Pourtant, l'idée qu'elle voulait dormir vibrait dans son esprit, l'investissait, s'y installait, si tentante qu'elle eu bientôt envie d'y céder. Elle avait certes un devoir à remplir et...

Elle bailla. Un seule fois mais cela suffit à la plonger dans un état d'inactivité second, une sorte de transe immobile dont elle ne pouvait s'arracher. Son esprit s'était mit en mode off, écrasé par la pensée unique d'un sommeil réparateur impossible à atteindre pour un mort vivant. Elle s’affaissa, ses genoux touchant le sol dans un bruit d'os désagréable lorsqu'il qu'il entrèrent brusquement en contact avec le sol d'émail. Puis, son torse emporté par son propre poids s'écrasa au sol, faisant voler la poussière que la nuit y avait déposé.

Elle n'était ni endormi ni éveillée. Elle ne pouvait se relever.

Elle était collée au sol par sa masse en décomposition, incapable d'esquisser le moindre geste.

Marcher. C'était long, ça pouvait paraître pénible. Mais pour Itsuki, c'était un espèce de moyen pour se calmer, enfin se changer les idées. Il était à moitié perdu dans ses pensées, mais la moindre perturbation dans l'espace qu'il occupait le ferait sortir de sa tête bleue.

Il se doutait qu'elle le suivait, ses pas résonnaient faiblement dans les oreilles du démon, qu'il entendait sans les écouter. Ce fut pour ça que le silence qui s'ensuivit l'intrigua. Il se retourna brusquement. Rien. Merde. Sortant ses mains de ses poches, il alluma une flamme sur son index et se guida avec, cherchant des yeux la pionne qui était censée l'escorter jusque dans sa chambre.

Quelque chose au sol attira son attention. Un bras. Pâle comme celui d'un cadavre, accompagné de l'odeur adaptée à sa condition. C'était elle, aucun doute. La démon s'accroupit et la toucha, histoire de voir si elle réagissait. Que dalle. Meeeeerde ! Pourquoi fallait-il qu'il n'ait jamais de chance ?! Un grognement sortit, directement venu de sa poitrine. Ses principes lui donnaient envie de se barrer et de faire comme si de rien n'était, mais son bon sens lui soufflait que, s'il laissait cette femme par terre, à son réveil -en imaginant qu'elle allait se réveiller-, elle lui pourrirait l'existence. Autant l'amener quelque part.

La flamme de son doigt éteinte, il en matérialisa une autre sur son front, pour qu'elle ait la même utilité qu'une lampe frontale. Ensuite, il prit la femme dans ses bras, la tenant fermement, dans la même position qu'une.. Princesse ? Moui, peut-être. Toujours était-il que, ainsi, elle ne tomberait pas, et ne se briserait pas un membre.

Mais il restait un problème de grande envergure. Il n'avait aucune idée d'où ils étaient, et pour trouver l'endroit où il devait l'amener... C'était dur, vraiment très dur. Il décida donc de faire demi-tour. Histoire de trouver le chemin qui le mènerait au... Bureau d'un responsable ? Non parce qu'il allait pas passer la nuit avec un cadavre dans les bras, fallait pas abuser hein.

Arrivé à l'endroit où il s'était fait trouver, et réfléchit. Il pourrait trouver la hall d'ici, et un plan. Ouais, il était un nouveau, un bleu quoi. Donc il ne savait pas réellement où était quoi. Ce qui était problématique dans ce genre de circonstance. Bien qu'il n'ait jamais pensé se retrouver dans "ce genre de circonstance"... Mais passons.

Il marcha sans faiblir, jusqu'à l'entrée, et chercha des yeux un quelconque plan du pensionnat. Toujours avec la surveillante dans ses bras, Itsuki enregistra dans sa tête le chemin à suivre pour trouver un bureau. Bien, gauche là, tout droit ici, puis encore à gauche, et enfin à droite.

Après une longue et périlleuse marche, le démon et la dormeuse arrivèrent devant une porte. Sans chercher à comprendre, il la défonça d'un coup d'épaule. Personne. Parfait. Il dégagea la table et posa son fardeau dessus, puis s'assit sur une chaise. Valait mieux être là à son réveil, pour éviter de se faire encore engueuler. Appuyé contre la table, il laissa échapper un bâillement, se rendant compte qu'il était un peu fatigué.

Si elle se réveillait et qu'il dormait, le réveil serait pas marrant. Ce fut sa dernière pensée, avant que le noir du sommeil l'envahisse. Il s'était endormi comme une merde.

C'était calme, dans son crâne. Pas vraiment un rêve, juste... Du repos. Le néant total, un peu comme un espèce de lac sans une seule secousse, juste... Le calme plat. Pas un bruit, pas un mouvement. Et il était là, il se reposait. D'habitude, c'était l'incendie dans sa tête. Mais là, rien. Pour une fois, il dormait sans ennui, il se sentait.. Bien ? Oui, peut-être.

Mais soudain, une voix le tira de son calme, comme un ricochet venu troubler la tranquillité de son lac, il s'immisça dans ses pensées et l'arracha à son sommeil. essuyant d'un revers de manche le très fin filet de bave qui commençait à glisser de ses lèvres, il redressa la tête dans un grognement. Quelque chose venait de le secouer. Pas violemment, mais tout de même, le réveiller était très dangereux. La voix qui l'avait réveillée avait dit un truc du genre : "Itsuki... Réveille toi."... Bah il l'était, maintenant. Son esprit embrumé ne comprenait pas. C'était une voix féminine, elle connaissait son prénom... Qu'est-ce qu'il avait foutu la nuit dernière ? P'tetre un p'tit coup chez une d'moiselle ? Non, c'était pas son genre. La voix familière résonna encore dans ses oreilles.

- Bon et bien... Je crois que tu vas être dispensé de classe aujourd'hui...

Une bonne nouvelle dès le réveil ? Not bad. Il bâilla à s'en décrocher la mâchoire, et s'étira. Puis, enfin, il ouvrit les yeux. Un bureau ? Oula... Les évènements de la veille lui revinrent peu à peu, et le démon se rappela qu'il était censé accompagner une pionne jusqu'à sa propre chambre. Et qu'il l'avait porté jusqu'à un bureau bizarre.

*Bon Dieu Itsu, qu'est-ce qui t'es passé par la tête ?*

Il soupira, puis se frotta les paupières, fatigué. Bon. Au moins, il aurait pas cours de la journée. C'était déjà ça de gagné. Un second soupir franchit ses lèvres, puis Itsuki tourna la tête vers la jeune femme, des cernes monstrueuses sous les yeux.

- Oh.. Je dois vous remercier ?

Comme il n'en était pas sûr, il préférait demander. Parce qu'un merci mal placé pouvait vexer les autres, et que ce n'était pas son but premier. Non. Son but premier était surtout de retrouver l'emplacement de sa chambre. Et, pour ce faire, il fallait échapper à la pionne. Sans même la regarder ou autre, il se leva, ignorant le craquement qui décoinça sa colonne vertébrale. Puis une certaine politesse lui revint à l'esprit, et il réussit à étirer ses lèvres en un fin sourire.

- Bonjour, au fait...

Que fallait-il ajouter ? Qu'il crevait de faim ? Non, ce n'était pas très poli, voyons.

Un autre bâillement de sa part, puis il la regarda, légèrement fixement. Son dos craqua encore quand il se baissa pour refaire son foutu lacet, puis il fourra ses mains dans ses poches, sans savoir quoi faire d'autre.

Le jeune homme s'étira de toute se longueur avant d'enfin ouvrir les yeux. A la lumière naissante du jour il était moins impressionant bien qu'il resta tout de même très grand. La pionne détacha son regard du jeune homme pour porter une attention toute particulière à la fennêtre où plutôt à ce qu'elle voyait de l'extérieur par cette fennêtre. Bon, le gardien serait visiblement en retard. Bonne nouvelle.

- Oh.. Je dois vous remercier ?

Etrange question.

- Si ça te chante. Et tu peux me tutoyer. bien que je commence à m'y faire, j'ai du mal à accepter le "vous". Je me sens vieille quand on me vovoie.

Elle s'étira à son tour, faisant sinistrement craquer sa charpente à moitié rouillée par l'inaction de son organisme. Par très féminin. Ce genre de gestes aurraient pu trahir sa nature plus d'une fois mais elle ne parvenais pas à y faire attention. Sans doute ils lui avaient été habituels durant sa vie précédente. Aussi, elle baissa prestement les bras, un air génée sur la figure.

- Pardon...

- Bonjour, au fait...

Ah, oui... C'est vrai....

- Oui, bonjour.

Elle leva la tête, comme pour réfléchir.

- Bon.... Tu dois crever la dalle. Donc, ce que je te propose, c'est qu'on aille rapidement à la cafet' puis chacun rentre dans ses cartiers. Ca te va ?

Elle se passa le doigt sous le nez et le retroussa de dégout. Elle percevait encore (inexplicablement) certaine chose et l'odeur de décomposition qu'elle dégageait la frappa immédiatement. Elle allait devoir demander à un des sorcier de l'établissement de lui faire un Check-up. Flûte. L'idée de VRAIMENT être un cadavre en sursit la mit mal à l'aise. Pour oublier cette désagréable constatation, elle se ré-intéressa à l'élève.

- Oh, et je m'apelle Gaëlle. Il ne me semblait pas te l'avoir dit, maintenant c'est fait.

Le démon avait tellement mal au crâne qu'il avait l'impression d'avoir la gueule de bois, en plus d'une faim dévorante qui s'emparait peu à peu de son estomac, le faisant gronder pas très discrètement. M'enfin, paraître classe n'était pas le but premier d'Itsuki, et puis, c'était narmol qu'il crève la dalle, non ? Il n'avait pas mangé depuis la veille, puisque l'entraînement lui avait fait oublié de se sustenter et qu'une certaine pionne l'avait empêché d'aller chourer quelque chose en mode ninja.

- Si ça te chante. Et tu peux me tutoyer. bien que je commence à m'y faire, j'ai du mal à accepter le "vous". Je me sens vieille quand on me vouvoie.

Hum. Encore fallait-il qu'il s'en souvienne. Bizarrement, les choses pas très importantes ne restaient pas plus d'une journée dans sa mémoire, puis s'envolaient comme par magie. Il répondit d'un simple hochement de tête, et passa une main dans ses cheveux salement ébouriffés, tentant de les coiffer d'un coup de doigt. Il devait avoir l'air d'un con, avec ses mèches qui volaient dans tout les sens. D'habitude, c'était aplati, enfin un peu, et ça partait en couille sur le bas, sans remonter. Là, ils étaient aussi dressés que sa planète en présence d'une jolie nénette.

- Pardon...

Perdu dans ses pensées, Itsuki faillit ne pas comprendre pourquoi elle s'excusait et, finalement, jugea que ce n'était absolument pas important. Les filles, ça disait "pardon" et "désolée" toutes les deux minutes, fallait pas faire gaffe.

- Oui, bonjour.

Polie. Pas mal. Sa tête se redressa, l'air de songer à quelque chose. Le démon, lui, avait une main sur le bide.

- Bon.... Tu dois crever la dalle. Donc, ce que je te propose, c'est qu'on aille rapidement à la cafet' puis chacun rentre dans ses cartiers. Ca te va ?

Wouah. On aurait dit qu'elle lisait dans les pensées. Un autre grondement de la part de son ventre répondit à la place de l'homme, et il se gratta le crâne, l'air à peine gêné. Matin, manger. Narmol, quoi. Pour être sûr qu'elle ai compris, il hocha distraitement la tête, plus concentré sur le choix de ce qu'il allait grailler que sur le fait qu'elle attendait peut-être une quelconque réponse.

- Oh, et je m'apelle Gaëlle. Il ne me semblait pas te l'avoir dit, maintenant c'est fait.

Gaëlle, hein ? Pas mal comme prénom. Une légère odeur de cadavre parvint aux narines du démon, mais il n'en tint pas compte. C'était pas la première fois qu'un parfum de décomposition se faisait sentir dès le matin, dans sa vie. Fallait dire que les chasseurs qui tiraient malencontreusement sur leurs camarades les amenaient à la grotte où il vivait autrefois, sans se douter qu'il y avait quelqu'un dedans. Après, ils accusaient les animaux sauvages, prétextant que ledit tué avait été dévoré en entier par des loups ou autres.

- Je vois. Bien, et si on allait manger ?

Sans attendre de réponse de sa part, il sortit, laissant délibérément la porte ouverte. Après tout, il n'était pas "méchant", il allait pas lui fermer la porte au nez, c'était pas correct, voyons.

HRP: