Plus tôt ce matin : Théo venait à peine d'arriver au lycée Yokaï que déjà il devait donner son premier cours. Malheureusement pour lui, celui-ci ne s'était pas très bien passé. Effectivement, les élèves n'arrêtaient pas de l'interrompre durant son exposé et s'amusaient à lui poser des questions totalement absurdes dans le but de l'énerver. Malgré les remontrances de Théo, ils ne semblaient pas vouloir arrêter leur insubordination. Le jeune professeur qui commençait à être en manque de nicotine, sa derrière cigarette remontant à plusieurs heures déjà, finit par perdre patiente devant ce groupe de cancres. Théo sortit alors un colt 1911 de son veston et puis cogna le revers de son arme contre son bureau pour finalement déclarer d'une voix glaciale : «Ne me forcez pas à vous mettre du plomb dans la tête au sens littéral du terme! ». Après avoir dit ces mots, ce fut le silence complet dans la salle de classe. Les élèves ne s'attendaient pas à ce que leur professeur sorte une arme, encore moins à qu'il puisse émaner de lui une aura aussi meurtrière. Au final, le reste du cours se passa sans encombre, mais Théo regrettait d'avoir dû recourir à une telle forme de coercition afin de se faire respecter.

Moment présent : Théo avait passé une première journée particulièrement éprouvante au sein du Lycée Yokaï. Malheureusement pour lui, le deuxième groupe d'élèves auquel il avait eu à faire face n'avait pas été plus clément que le premier. Il avait été encore une fois forcé de proférer des menaces pour ramener le calme. Épuisé, le jeune homme avait entendu parler d'un temple dans lequel les professeurs comme les élèves pouvaient se recueillir pour prier. Théo s'informa auprès un membre du personnel du chemin à prendre pour rejoindre le sanctuaire. Le professeur de langues étrangères n'eut aucune difficulté à trouver la colline sur laquelle était situé le petit temple, après quoi il pénétra dans l'enceinte sacré. Sur le chemin menant au sanctuaire, le jeune homme s'était fabriqué une petite croix improvisée devant laquelle il pria Dieu de l'aider dans le cadre de ses fonctions de professeur.

Théo avait recouvré la paix intérieure, quand soudain il entendit un léger craquement. Le professeur rouvrit les yeux pour constater que sa petite croix artisanale venait d'être piétinée par un jeune homme de grande stature. Le nouvel arrivant possédait de longs cheveux noirs, des yeux jaunes et un regard assez vif. Théo se releva rapidement, cacha sa main droite derrière son dos et activa discrètement le pouvoir de la croix écarlate au cas où il aurait à affronter ce mystérieux individu. Par après, le professeur prit la parole : «Ce n'est pas très poli de venir déranger une personne en plein recueillement et encore moins de détruire son emblème sacré. Pourrais-je savoir la raison de tels agissements? » Théo préférait rester calme, après tout, il était nouveau dans ce lycée et il valait mieux qu'il évite de trop se faire remarquer pour le moment. Cependant, contrairement à lui, l'étranger semblait déterminé à mettre le feu aux poudres : «Je me promenais tranquillement dans les bois environnants, quand j'ai cru sentir l'odeur pestilentielle d'un humain. Je me suis donc dirigé vers la source de cette puanteur pour finalement constater que j'avais non seulement à faire à un humain, mais comme si ce n'était pas déjà assez pitoyable, un chrétien! »

Théo ne se sentait aucunement insulté par les propos de ce malotru, car il n'avait pas tout à fait fort. Les sorciers n'étaient en fait que des humains dotés de pouvoirs magiques, ce qui peut expliquer que son odeur était très proche de celle du commun des mortels et il était réellement un chrétien. Par contre, ce qui l'énervait, c'était le ton condescendant que prenait le jeune yokaï qui lui faisait face, en plus du fait qu'il avait osé piétiné sa croix. Théo décida néanmoins de rester poli et se contenta de répondre calmement à son interlocuteur : «Je suis effectivement un chrétien, mais à ce que je sache, chaque personne est libre de croire ce qu'elle veut. Et en ce qui concerne ma prétendu humanité, je te trouve bien présomptueux, car crois-tu que le directeur de ce lycée serait assez idiot pour laisser un humain enseigner dans cet établissement? Je te dis ça, car au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, tu viens de t'en prendre au nouveau professeur de langues de ce lycée. Malgré tout, je vais me montrer magnanime à ton égard. Je te propose donc d'oublier ce malencontreux incident. »

L'élève aux cheveux d'ébène ne crut pas un mot de ce que lui dit Théo. Il préférait croire en son propre flair qu'il jugeait infaillible plutôt que les propos de l'un de ces maudits chrétiens. Au lieu de continuer cette conversation qu'il considérait désormais comme futile, le jeune yokaï sauta sur le professeur afin d'en faire son repas. Après tout, les humains avaient beau sentir mauvais, leur chair était fort appétissante. Toutefois, l'assaillant s'était trompé sur presque toute la ligne quant à la nature de sa cible. Il n'avait pas à faire à un banal humain, mais bien à un redoutable sorcier possédant une expérience du combat hors norme pour son âge. En effet, Théo avait maintes fois connu des situations similaires par le passé et ce n'était certainement pas ce petit vaurien qui réussirait à avoir sa peau. L'ex assassin qui avait auparavant activé son pouvoir par précaution, évita avec une facilité déconcertante l'attaque de la grosse brute. Par la suite, il sortit un petit couteau qu'il gardait en permanence cacher sur lui dans l'éventualité d'un combat au corps à corps et par après, il prit son adversaire à revers et lui entailla la base du talon droit avec une précision déconcertante. L'imposant élève s'étala de tout son long sur le plancher. Cependant, il n'eut même pas le temps de se tordre de douleur que déjà le professeur le traînait par les pieds pour finalement l'envoyer valser jusqu'en bas de l'escalier qui menait au temple. Théo était conscient que cette chute ne serait pas suffisante pour venir à bout de ce jeune impertinent, mais néanmoins, il mettrait du temps à se remettre des blessures qu'il venait de lui infliger. De toute façon, il n'était pas question pour le professeur de tuer qui que ce soit, car son ancienne vie était derrière lui et il n'aspirait plus qu'à la paix désormais. Par contre, si on l'agressait, il était évident qu'il ne resterait pas les bras croisés à rien faire et ce jeune yokaï avait vraiment besoin d'une bonne leçon de savoir vivre. Après cette correction, il y allait sûrement y repenser à deux fois avant de s'en prendre à lui.

Le professeur s'en allait retourner prier, quand une femme d'un âge avancé l'apostropha : «Ça va pas la tête! Vous rendez-vous compte de ce que vous venez de faire! On ne se bat pas dans un lieu sacré! Et qui plus est, on ne s'attaque pas à des innocents! J'ai croisé le pauvre jeune homme que vous venez d'agresser en bas de l'escalier et il m'a dit que vous l'aviez frappé sous prétexte qu'il priait de faux dieux! Mais pour qui vous prenez-vous! Être professeur ne vous octroi pas le droit de décider de la religion de vos élèves! »

La vieille femme continuait à invectiver Théo qui tentait de se défendre tant bien que mal contre ces allégations mensongères, mais ça ne semblait pas suffisant pour convaincre la dame. Ce jeune morveux avait joué les victimes et ça l'avait porté fruit. Malheureusement pour le professeur, il ne semblait y avoir aucun témoin sur les lieux pour rétablir les faits.

*Théo commençait sérieusement à perdre patience. Il avait beau tenter de s'expliquer avec la vieille dame, mais celle-ci lui laissait à peine le temps de placer un mot que déjà elle l'injuriait de plus belle. Cette journée s'était avérée être un véritable désastre à tous les niveaux. Non seulement avait-il dû avoir recours à des menaces pour obtenir le respect de ses élèves, mais désormais, il devait se défendre contre une vieille chipie qui ne semblait pas prête à faire de compromis. Il aurait pu une fois de plus s'en sortir à l'aide de menaces ou pire encore, en usant de violence, mais il y avait des limites à l'indécence. Malmener un jeune homme passait encore, mais maltraiter une vieille femme, se serait faire preuve de lâcheté. Elle avait beau être une yokaï, le jeune professeur ne se sentait pas le cœur à se quereller avec une personnage âgée. Heureusement pour lui, un événement imprévu se produisit. Une très jolie jeune femme aux cheveux aussi hirsutes qu'exotiques fit son apparition. Les cheveux de la belle comportaient des mèches de diverses couleurs, dont trois d'entre elles ressortaient plus que les autres, soient le rose, le blond et le roux. Elle ressemblait ainsi aux magnifiques fleurs tropicales qui peuplaient les nombreuses îles des États fédérés de la Micronésie. Quant aux yeux de la belle inconnue, ils étaient d'un joli jaune qui se mariait à merveille avec sa longue chevelure multicolore. Cependant, la demoiselle semblait revenir d'un champ de bataille avec ses cheveux dépeignés, sa peau encrassée et son regard horrifié. Le professeur n'entendit pas les quelques mots décousu de la jeune femme, ces derniers étant enterrés par la voix criarde de la vieille dame. Instinctivement, il mit sa main sur le visage de la vieille gardienne et il la poussa de son chemin pour se diriger vers la nouvelle venue. C'était une opportunité en or qui s'offrait à lui. Il allait finalement pouvoir se rendre utile en aidant cette élève qu'il croyait en détresse. Le professeur pensait à tort que la belle demoiselle venait de subir une agression et qu'elle était venue requérir son aide. Peut-être était-ce le même jeune voyou à qui il avait donné une correction qui venait de s'en prendre à elle. Après tout, certains monstres possédaient un grand pouvoir de régénération, ce qui aurait pu permettre à ce mécréant de se remettre rapidement sur pied pour commettre ce nouveau méfait.

Théo se tenait désormais devant Tristanna et comme elle semblait encore sous le choc, il lui prit la main pour ensuite lui dire d'un ton qui se voulait rassurant: «Je vais vous amener à l'infirmerie. Je suppose que vous venez de vous faire attaquer par un homme aux cheveux noirs et au regard doré? Pardonnez moi, j'aurais dû m'occuper plus attentivement de son cas. Je ne pensais pas qu'il se remettrait aussi aisément des blessures que je lui avais infligé.»

Théo s'en allait guider la jeune femme vers l'infirmerie, quand l’infâme gardienne du temple s'approcha du professeur, après quoi elle lui donna une violente claque au visage: «Non mais, vous avez osé me mettre la main au visage! Quand la direction apprendra votre insolence, jamais plus vous ne pourrez remettre les pieds en ces lieux!»