Adam était de très bonne humeur. Mieux que cela, un sourire ne lui quittait pas le coeur depuis son retour de week-end. Il était retourné à Tokyo pour la première fois depuis les vacances, et il y avait trouvé un Dehvi... docile. Oh oui. Il passait toujours son temps à le vanner, et à lui mettre des claques dans l'égo, mais avec moins de... moquerie. Il avait fait preuve d'une réserve qui lui avait plu. Et quand Adam avait grogné pour lui signifier qu'il allait trop loin, il s'était bonnement et simplement tu. Lui adressant un regard plein de respect. Leur combat avait changé les choses, et il était devenu un alpha. Celui de son paternel.

Mais au delà de ça, il avait une grand nouvelle, qu'il avait sagement gardé pour lui. La savourant avant de la partager. D'abord parce qu'il pensait que c'était bien meilleur pour lui de dévoiler ça à froid, plutôt qu'à chaud où il risquait de prononcer un mot de trop. Ensuite parce que, depuis qu'il avait ramené Vika d'entre les griffes d'un truc en pierre, leur relation était... étrange. Peut-être pas entièrement à cause d'elle, d'ailleurs. Ils s'entraînaient toujours ensemble. Mais il avait toujours du mal à savoir sur quelq pied danser. Il ne lui avait pas reparlé en tête à tête depuis leur baiser à l'infirmerie. Et il était trop respectueux de son rang de présidente de club d'arts martiaux pour oser poser la question en entraînement. Il y avait un moment et un endroit pour tout.

Il n'avait pas eu l'occasion de la sentir à nouveau contre lui. Et il se prenait à rêvasser de ce baiser qu'ils avaient échangé. De la manière dont il l'avait sentie liée à lui jusqu'aux tréfonds de son âme quand il s'était penché sur son lit. Et plus il y repensait, plus il en avait envie. La serrer à nouveau, lui voler un baiser, se rapprocher d'elle et la... bon sang. C'était frustrant. Il avait l'impression d'être une obèse au régime. Un garçon gourmand qui a trouvé le gâteau parfait, mais qui ne pouvait pas y toucher sous peine de le voir se transformer en flaque d'huile -ou pire, de se le voir ravi par quelqu'un d'autre. Du coup il calmait ses pulsions fiévreuses dans l'entraînement, il était devenu plus précis , moins brouillon, et beaucoup plus imposant. Une tête d'alpha, en somme.

Il se sentait devenir de plus en plus sauvage, et cela l'inquiétait légèrement. Dehvi lui avait assuré que c'était parfaitement logique. Mais il avait des doutes. Il maîtrisait mieux sa colère, mais il ressentait une frustration constante. Il n'explosait plus de rage, mais il était quasiment toujours de mauvaise humeur. Et lui qui détestait mentir plus que tout se retrouvait à enterrer cette colère au fin fond de son âme, se contentant de sourire et d'être le même gentleman que d'habitude. Ah. L'hypocrisie ne lui allait vraiment pas.

Dans sa relation père/fils un nouveau paramètre était entré en ligne de compte. En tant qu'alpha il se devait d'avoir la tête froide et de pouvoir conseiller Dehvi. C'était délicat dans la mesure où tous les problèmes que son ancien alpha avait gardés pour lui étaient maintenant sur ses frêles épaules à lui. Comme la menace du retour de Maureen. Ou un fils probablement caché quelque part dans Tokyo, et âge de deux ou trois ans. Dehvi était un chaud lapin. Il tenait du loup toute sa bestialité, et ses fantastiques capacités de récupération. Il n'était donc même pas étonnant qu'il ait mis une femme enceinte sitôt arrivé. Mais si le bébé était lycanthrope, ce serait son problème à lui. Le problème d'Adam. Et il ne voulait pas d'une telle responsabilité. Il arrivait à peine à s'occuper de lui-même.

Enfin. Au moins ces discussions avaient réussi à convaincre Dehvi de faire l'inimaginable compromis qu'il s'était vu refuser tant de fois. Et il devait l'en informer au plus vite. C'était ça qu'il gardait précieusement en tête depuis quelques jours. Pas un bâtard quelconque perdu dans la banlieue de Tokyo, pas son nouveau statut qui transpirait dans chaque pore de sa peau. Non. Dehvi avait accepté que Vika vienne passer quelques jours chez eux. Et ça, ça le mettait vraiment en joie.

Il avisa la porte du bureau de Vika, et y entra sans frapper. Il avait trop envie de lui faire une surprise pour la gâcher d'un coup d'index sur sa vitre fumée. Sa tête rousse passa l’entrebâillement de la porte, et son coeur manqua un bond dans sa poitrine.

Devant le calme absolue de sa sempai, il se trouva soudain fort bruyant, et ferma la porte lentement, pour la verrouiller avec toutes les précautions du monde. Elle était là, devant lui, assoupie entre ses bras. Sans doute les évènements récents l'avaient beaucoup fatiguée, au moins autant physiquement que mentalement. Avec ce... truc toujours dans sa tête. Il défit sa veste, se posa derrière elle, et lui couvrit les épaules pour lui éviter de s'enrhumer.

Aussi discrètement qu'il en était capable, il s'assit sur la chaise face au bureau, et ne put s'empêcher de se sentir comme la première fois qu'il l'avait vue. A ce moment-là, il était vraiment en mauvaise posture, et elle avait su lui redonner confiance. Poliment, il se racla donc la gorge, et croisa les bras sur son torse.

Adam : Vika ~♪

Le sursaut de Vika brisa le maigre instant de paix qu’ils partageait plus ou moins. Adam, surpris par ce mouvement d’humeur, se raidit sur sa chaise et grogna méchamment à l’encontre de sa bien-aimée. On n’avait pas idée de faire peur à un lycanthrope impatient. Elle devait avoir fait un sacré mauvais rêve. Voire même toute une série de mauvais rêves. Elle avait la gueule allongée, des cernes, et l’air d’avoir très sérieusement besoin de vacances. Il sentit un petit pincement lui assaillir le cœur. Elle était donc à ce point épuisée par ses nuits qu’elle venait trouver un peu de calme au club ? Il avait sérieusement sous-estimé les séquelles de leur attaque.

Vika : Bonjour Adam. Je ne m’attendais pas à ta venue. Qu’est-ce qui t’amène ? Tu n’as quand même pas fait une bêtise ?

Son petit rire nerveux n’aurait trompé personne, pas même notre pataud en chef. Il l’observa avec un doute certain s’affairer dans un petit numéro étrange. Balayer ses peurs d’un revers de manche, c’était du Vika tout craché. Ne jamais faire porter aux autres ce qu’elle pouvait prendre pour elle. Il resta, bras croisés, à maintenir le contact, le regard brillant. Brillant d’impatience. Elle avait l’air de vouloir connaître la raison de sa visite. Et pourtant.

Sa révélation, aussi excitante fut-elle pour le loup, se trouvait légèrement entachée du mal qu’éprouvait Vika. Elle avait ressenti une telle frayeur que les poils de ses bras s’étaient dressés en une chair de poule formidable. Il se leva soudainement, et vint se placer derrière elle de manière très gauche. Se penchant en avant, il l’enlaça pour la réchauffer, lui faisant profiter de sa nature de loup-garou. Une manière de lui signifier qu’il était là. Là pour elle.

Il la garda contre lui un long moment, posant sa joue contre celle de l’animorphe corbeau. Elle était agitée, et il espérait atténuer un peu son excitation par sa présence. Sa peau pâle contrastait avec la sienne, mat des journées entières qu’il avait passé dehors, en été. Sa peau gardait facilement le soleil. Un sourire joueur se dessina sur ses lèvres tandis qu’il respirait son odeur. Elle était encore à mi-chemin entre le sommeil et le réveil. Et pourtant elle dégageait une énergie vive, brûlante. Un vrai phénomène de nervosité. Une des nombreuses raisons qui lui faisait apprécier sa compagnie.

Adam : Et bien. On dirait que je ne suis pas le seul à avoir gardé quelques séquelles de ton escapade dans les ruines de Yôkai...

C’était un trait d’humour très maladroit. Il ne préférait, à vrai dire, plus y penser. Il avait déployé tant de sauvagerie ce soir-là qu’il se faisait encore peur. Il cachait tellement de colère derrière sa maladresse. Tellement de barbarie derrière sa galanterie… C’était ça que Dehvi avait voulu lui dire, plus jeune. Qu’il était né loup-garou pour devenir alpha. Il avait tué son alpha avant-même d’avoir terminé sa mutation. Et cela se sentait aujourd’hui encore. Il se souvenait du goût du sang et de la gorge de ce monstre, coulant entre ses lèvres. Du plaisir qu’il avait eu à les décapiter, les démembrer, les étriper… quelle horreur.

Adam : Je suis venu te voir parce que j'ai une nouvelle qui risque de te faire plaisir. Et que je voulais être le premier à te l'annoncer.

Il maintint un certain suspens, maîtrisant ses effets. Son œil se ferma, tandis que son poul s’accélérait légèrement. Il était proche de Vika. Si proche. Il n’avait pas eu vraiment l’occasion de se retrouver seul avec elle, et maintenant qu’il y était… un sourire s’incrusta sur son visage. Il mourrait d’envie de la soulever de sa chaise, et de lui faire goûter à d’autres révélations intensément plus intéressantes. Mais ce n’était pas le bon moment. Pas le bon endroit. Et il se sentait horriblement bête d’avoir ce genre de pensée obsessionnelle chaque fois qu’il était à moins d’un mètre d’elle. Le loup frustré se cacha contre son oreille, et déposa un baiser chaste sur sa joue blanche. Il serait gentleman jusqu’au bout. Si seulement…

Si seulement ils n’avaient pas été à l’école, il aurait pu l’emmener ailleurs, lui montrer son monde, lui faire voir ce qu’il avait vu. Si seulement elle n’était pas sa senseil, il aurait osé depuis longtemps tout lui avouer. La succube. Les sources chaudes. Et ces desseins qu’il nourrissait à son encontre. Si seulement ils n’étaient pas au club d’arts martiaux, il lui aurait fait sentir sa présence plus souvent. Bien plus souvent. Si seulement cela ne faisait pas si longtemps qu’il ne s’était occupé correctement d’une femme, il aurai su comment l’approcher sans lui faire peur. Si seulement il n’avait pas peur de la blesser, il aurait pu être lui-même. Si seulement il n’avait pas autant envie, besoin de la posséder, il aurait pu agir comme un jeune homme ordinaire.

Au lieu de quoi, il en était réduit à poser un baiser chaste au creux de son cou, et se reculer, glissant à demi en dehors de sa portée. Seules ses mains posées sur les épaules de Vika lui rappelaient qu’il était encore là, juste derrière.

Adam : Tu fais quelque chose, pendant les vacances, après Noël ?

Noël dans sa tête était une fête de famille. Manger un bon gigot devant une cheminée avec son paternel et sa maternelle. Il ne voulait pas lui faire peur. Ni lui forcer la main. Il n’avait aucune espèce d’idée du type de famille qu’avait Vika, mais dans le doute, il passerait encore son réveillon avec son père. Devant une pizza et un navet. Ils boiraient jusqu’à plus soif, chanteraient des chansons paillardes, et se réveilleraient sur la table ou dans la baignoire le lendemain. Sa meute était sa famille. Même s’il aurait bien aimé pouvoir compter l’animorphe parmi ses invités.

Une nouvelle réaction, brusque, de la part de Vika. Adam sursauta vivement, et cligna les yeux, en signe de totale incompréhension. Le loup de Maureen tenta de calmer les battements frénétiques de son cœur, qui bondissait entre ses côtes. A la longue, Vika risquait de lui faire avoir une crise cardiaque, à force de toujours réagir au quart de tour. Les bras grands ouverts, il mit un moment à calculer qu’elle s’était jetée à son cou.

Vika : Tu n'aurais pas pu me faire plus plaisir je crois !

Quoi ? Comment ça ? Il venait certes de l’inviter, mais même pas officiellement, d’un sous-entendu. S’il s’était agi d’un autre lycanthrope, il se serait senti insulté. Mais il s’agissait de Vika, et il se sentit seulement à côté de la plaque, comme d’ordinaire lorsqu’il se trouvait avec elle. Elle était donc sincèrement heureuse qu’il l’invite à voir son père violent et son appartement timbre-poste ? Il lui en fallait peu. Adam eut un sourire en réalisant que, pour être aussi contente d’une nouvelle somme toute banale, elle devait vraiment l’apprécier. Au moins autant que lui l’appréciait. Est-ce que c’était ça alors, être dans une relation amoureuse ?

Il glissa en silence les mains dans son dos, pour la maintenir contre lui. Elle qui d’habitude était si forte, si nerveuse, lui avait l’air fragile et délicate. Il avait presque peur de la briser en deux en la serrant un peu trop fort. Son sourire s’attendrit lorsqu’il l’observa. Vika était vraiment à tous points de vue son genre de femme. Elle était forte volontaire. Elle avait des hanches larges, un nez fin et une peau très pâle. Ses cheveux noirs corbeau étaient solides, soyeux, signes d’une alimentation saine et équilibrée. Ses muscles secs, ses yeux en amande, d’un joli bleu. Un bleu profond où il aurait adoré pouvoir se perdre. Ses ailes étaient duveteuses, fortes. Elle n’était que douceur et force. Fermeté et droiture. La parfaite demoiselle lycan.

Vika : ... Je comptais me faire avoir une dispense pour la dernière semaine de toute façon. je te rejoindrais où tu habites.

Où il habitait ? Une minute, il ne lui avait même pas dit OU il habitait. Si elle le savait, risquait-elle de ne plus vouloir venir ? Il baissa le menton dans sa direction, interdit, et le regard qu’il surprit lui donna un mauvais pressentiment. Un pressentiment de déjà-vu. Une mine mutine. Un air taquin. Quelque chose qui n’allait pas avec Vika. Il sentit la douceur et la chaleur de ses lèvres vierges, et entendit son cœur hurler à ses oreilles. Elle l’embrassait, vraiment ? Encore ? Pourquoi ? Il se mit à rougir comme un écolier et se pencha en avant pour lui répondre, sa main pressant contre sa nuque. Il ne serait pas dit qu’Adam Mayers soit surpris par un baiser !

Sa langue vint jouer, rouler contre celle de l’animorphe. Il s’enhardit soudainement et la plaqua contre lui, ses deux mains sur ses hanches arrondies. L’œil clos, il laissa son souffle brûlant de lycanthrope balayer ses lèvres pleines. Elle lui semblait si fragile à cet instant, et pourtant elle le mettait dans un état tel qu’il peinait à réfléchir. Son cerveau était en veille, sa part animale, elle, bien éveillée. Il se força à reculer, à son grand regret. Son visage laissa un peu d’air à celui de sa bien-aimée non sans un grondement qui monta du plus profond de sa poitrine. De son pouce, il dessina le contour de ses joues, sagement penché en arrière. Il devait se contenir. Garder la tête claire.

Adam : Je ne t'invite pas n'importe où, Vika. Venir chez moi en ce moment c'est pénétrer dans ma meute avec le consentement de son alpha. En ce sens pour Dehvi, tu auras une signification toute particulière, et il faudra faire très attention...

Ah. C’est vrai. Il devait aussi lui parler de ça avant de l’inviter chez lui. Il n’avait pas encore trouvé le temps de lui dire « mais au fait, maintenant l’alpha c’est moi ». Ni celui de lui expliquer exactement comment fonctionnait la hiérarchie au sein des loups de Maureen. Une légère grimace s’encra sur ses traits. Au pire, il lui donnerait les détails sur le tas. Et puis, il pouvait toujours la faire taire avec un baiser.

Adam : J'ai... pris le pouvoir de ma meute il y a peu. Et ça ne lui plait pas vraiment. Il risque de vouloir me mettre des bâtons dans les roues, et tu es un excellent point faible.

Il colla son front au sien, une nouvelle fois. D’humeur câline. Il planta son œil unique dans le sien, et passa son pouce le long de ses lèvres. Ses délicieuses lèvres. Tout homme avait son point faible. Sa drogue. Et Adam avait découvert à ses dépends que la sienne était juste devant lui. Pire. Qu’elle ne refusait pas de l’embrasser ni d’être embrassée. Il devait. Garder. La tête froide.

Adam : Je ne voudrais pas qu'il t'arrive malheur par ma faute. Alors soyons clairs. S'il te cherche des noises, n'hésites pas à lui casser la gueule. Vraiment.

Vika : Tu t'y es pris comment pour prendre le pouvoir? Ne t'en fais pas pour Devhi, je pense qu'après ce que je projette de faire la semaine avant, il ne tentera pas grand-chose contre moi.

Voilà deux informations nouvelles qu’Adam n’avait pas prévues. Evidemment, VIka avait relevé le fait qu’il soit passé alpha. A vrai dire, n’importe qui le connaissant un tant soit peu avait relevé son changement d’attitude. Le Adam maladroit et effacé était toujours là, mais de moins en moins. Oh oui, il faisait toujours des bourdes. Et même parfois de si grosses qu’il s’en tapait la tête contre les murs. Mais dans ses réflexions plus une place n’était laissée aux hésitations. Il fronça les sourcils, et chercha à expliquer sa situation à Vika sans passer pour un gros machiste primaire et territorialiste. Ce qu’il avait malheureusement tendance à être lorsque Dehvi était dans le coin.

Ses pensées glissèrent sur les paroles de Vika. Qu’avait-elle prévu de faire « la semaine d’avant » ? Se faire piercer d’argent de partout ? Ou bien se rouler dans une brouette de fumier ? C’était les deux seules options qu’il voyait et qui pourraient le dissuader de s’inquiéter du devenir de l’animorphe corbeau. Rien ne pouvait repousser un loup qui a faim. Ah. A part peut-être une grosse tatane dans la figure. Mais si Dehvi restait sous sa forme d’humaine, il n’y avait pas besoin de rouler des mécaniques pour le vaincre. En revanche s’il se laissait emporter par les poils… Adam en eut un frisson d’horreur. C’était sa Vika.

Vika qui avait prévu d’en découdre avec son père. Il grimaça, mais ne dit rien. Si c’était ce qu’elle souhaitait il ne s’y opposerait pas. Après tout, Dehvi n’allait sans doute pas refuser l’occasion de jouer au corps à corps avec sa femelle. Le pauvre. Il n’avait aucune idée de ce qui l’attendait. Le pire était sans doute qu’il jouerait la carte de la provocation tant qu’il ne se serait pas faire rabattre le caquet.

Le rire de Vika le tira de son apathie. Il adorait l’entendre rire. Pas parce qu’elle était particulièrement joyeuse. Mais parce que ce petit écart à sa droiture d’esprit, cet élan de laisser-aller lui soufflait un mot à l’oreille : bientôt. Ses états d’âme étaient sa drogue. Il aimait son froncement de sourcils léger, constant. Il aimait sa rigidité lors des entraînements. Sa force d’âme lorsqu’elle combattait. Son sérieux en tant que membre du comité. Mais il préférait encore la voir endormie sur son bureau, ou rire sans aucune raison apparente.

Vika : D'ailleurs, tu vis toujours dans une pièce sans eaux courantes? J'espère qu'un jour je pourrai te rendre la pareille, mais il est souvent difficile de faire entrer des étrangers dans les villes oiseaux.

Il n’entendit pas la suite de sa phrase, se raclant la gorge. Mince. Il était difficile de mettre sur le tapis les évènements restants après ce petit instant de joie. Il se sentait… gêné. Maladroit. Mal dans sa peau. Il avait beau se dire et répéter qu’il avait bien fait, avouer à Vika comment il en était venu à prendre le pouvoir n’avait rien de glorieux. En soi, être l’oméga de Dehvi n’était pas un cadeau, déjà. Mais il se devait de lui en parler.

Adam : Dehvi a toujours eu tendance à être un alpha égoïste et très immature. Cela ne me paraissait pas important tant que l'on pouvait chasser et vivre comme des bêtes sauvages, en Irlande. Mais ces derniers temps, notamment à ton contact, j'ai commencé à me montrer plus... exigeant.

Il leva doucement la main, et vint caresser du dos de celle-ci la joue ronde de Vika. Ca alors. C’était la fille la plus droite et mature qu’il connaissait, et elle avait un visage de poupon tout juste sorti du berceau. Son regard attendri changea lentement alors qu’il se souvenait de la sensation de puissance qu’il avait eu en ordonnant à son père. L’ambré de ses iris vira lentement au jaune doré.

Adam : Au départ cela prenait la forme de disputes. Puis nous avons commencé à nous battre. Enfin. Il m'étranglait contre le carrelage et je ne disais rien, il était l'alpha. Mais au bout d'un moment, même ma propre gentillesse a été poussée à ses limites, et j'ai répliqué.

Un sourire pervers, félin, dangereux orna son visage. Il recula de quelques pas, la laissant respirer. Il ne voulait pas qu’elle se sente oppressée par sa propre excitation. Il risquait de lui faire peur, et d’avoir l’effet inverse de celui qu’il voulait obtenir, avec elle.

Adam : Je l'ai défié, en combat à mort. Enfin, techniquement à mort. Je doute qu'il m'aurait tué même si j'avais perdu. Il m'aurait sans doute arraché un deuxième œil et j'aurais fini aveugle et pataud. Ou alors psychopathe guidé par son instinct. Triste vie. Bref. Je l'ai soumis. Maintenant, c'est moi l'alpha des loups de Maureen.

Pour illustrer son histoire, il bomba le torse, et se glissa à vitesse surnaturelle derrière Vika. Il fit le tour du bureau, et s’arrêta sans laisser un poil dépasser de l’endroit où il voulait arriver. Maîtrise quasi parfaite, il n’était même pas essoufflé. Pour ne pas l’affoler, il posa ses mains, chaudes, douces, contre ses hanches. Avec une douceur qu’on ne lui aurait pas soupçonnée. Il ne voulait pas l’effrayer, et il savait que depuis ses vacances, les gens avaient tendance à le craindre plus que le railler. L’instinct de loup était fort, très fort. Si fort qu’il avait du mal à se contenir, parfois, pour rester dans les lois de Yôkai.

Adam : Pour l'eau courante… j'ai réussi à obtenir deux choses. Une salle de bain. Et une cloison pour la séparer du reste de l'appartement. On a réfléchi un moment avant d'installer des sanitaires, mais compte tenu de notre odorat, il vaut mieux les laisser au rez-de-chaussée. Sinon, c'est une torture.

Il l’enlaça de ses bras, et vint sentir son cou, avec calme. Ses bras la tinrent fermement, pour l’empêcher de se faufiler en dehors de son étreinte. Le loup à l’intérieur d’Adam ne l’aurait de toute manière pas supporté. Il souleva avec douceur les cheveux noirs de sa belle pour les glisser sur une épaule, et se cacher derrière sa nuque. Il fallait vraiment qu’il la voie plus souvent qu’il ne le faisait. Il en allait de sa survie d’homme. Sinon. La fois où ils… se retrouveraient, tous les deux, risquait d’avoir des aspects qu’il ne pourrait contrôler.

Comme une morsure malheureuse.

Adam : Que tu ne puisses m'accueillir pour des raisons... politiques, je le comprends. Pour moi cela aurait été difficile, aussi, si Dehvi avait été aux commandes. Je ne peux désobéir à mon alpha. Maintenant, je ne dois plus rien à personne. Sauf moi-même. Si cela te met en ... danger. De quelque façon que ce soit. Je t'en prie. Ne t'embarrasses pas à m'inviter Vika. Te voir tous les jours me suffit, pour l'instant.

Sa voix mourut dans un murmure. Il glissa le long de son cou et vint lui saisir le menton pour la tourner dans sa direction. Du bout des lèvres, il cueillit un baiser au coin de son sourire, et gronda calmement, se maîtrisant. Depuis combien de temps n’avait-il pas goûté à la torpeur du contact physique ? Deux mois ? Trois mois ? Peut-être plus. Les cris surnaturels de Cassie lui traversèrent l’esprit et il sentit une enclume lui tomber dans l’estomac. Exact. Si elle venait à lui poser la question, il devrait répondre de ses actes. Et elle n’allait sans doute pas apprécier. Il recula, inspira fortement, et enfonça ses mains dans ses poches, laissant sa crinière rousse envahir ses épaules et son visage. Il fallait qu’il change d’idée. Vite.

Adam : Ton peuple est en guerre, en ce moment ?

Bon, c’était mieux que rien.

VIka avait, étrangement, appris à le cerner plus vite que ce à quoi il s’attendait. Elle trouvait toujours le moyen de l’étonner. Vive d’esprit, compréhensive, simple, elle lui avait appris à ne pas réfléchir aux possibilités mais aux actions. Et c’était de la même manière qu’elle réussissait à le comprendre. De parfaite inconnue elle était passée en quelques mois au statut d’indispensable sempai. Puis d’amour véritable. Car, oui. Adam avait beau s’en cacher du mieux qu’il le pouvait, il était incapable de renoncer à Vika. Elle occupait toutes ses pensées, toutes ses réflexions. Toutes ses obsessions. Il était littéralement obnubilé par sa chère animorphe. Elle l’avait aidé à grandir. A se comprendre.

Mais lorsqu’elle pensait qu’il avait honte, elle se trompait. Pourquoi devait-il ressentir de la honte ? Il était alpha. Il occupait la plus haute place d’une meute tricentenaire maudite par une sorcière. Même dans le milieu des monstres de tous bords et de tous genres, c’était une situation plutôt appréciable. Un masque moqueur s’incrusta sur son visage, alors qu’il lui offrait un sourire goguenard, presque grivois. Elle voulait en faire de même à l’Académie ? Il ne sut dire pourquoi, mais la voir garder le secret lui fit penser immédiatement au Comité de l’école. Vika y avait une place de choix, mais peut-être que cela ne lui convenait toujours pas. Elle devenait de plus en plus forte, et avait une droiture d’esprit contraire aux habitudes des autres élèves du Comité. Mais il ne s’aventurerait pas à lui poser la question ici. C’était trop… dangereux. Pour eux deux.

Vika : Mon Pirate est devenu Capitaine du navire. Et je compte bien qu'il vienne mouiller dans les eaux d'Avilksholm, qu'importe ce qu'en dira le Conseil qui le dirige.

Il rougit violemment en l’entendant parler de « mouiller dans des eaux ». Il fallait qu’elle fasse attention avec ses doubles sens à répétition. Le loup à l’intérieur de lui sentit une brusque poussée d’excitation, tandis qu’il s’efforçait de le maintenir au calme, silencieux au fond de son pantalon. Vika venait juste de l’inviter dans sa ville, Avilksholm, pas de lui demander de la faire crier sur son bureau du club d’arts martiaux. C’était dur pour lui de se contrôler, très dur.

Bien heureusement, son discours sur les guerres lui permit de s’échapper un moment de ses réflexions. Lui n’avait jamais connu la guerre, sinon par les récits qu’on lui en avait fait. Il connaissait bien entendu son histoire. Et en bon européen il avait étudié les guerres coloniales et les deux guerres mondiales. Mais ce dont lui parlait l’animorphe était bien différent. En résumé, son peuple réglait ses conflits par des combats de coqs. Enfin. Des combats de champions, prêts à tout pour montrer la valeur de leur patrie. Il comprenait maintenant pourquoi Vika montrait tant d’aptitudes au combat. Elle avait été, toute sa vie, éduquée pour correspondre à une logique guerrière.

C’était une hiérarchie claire. Un système simple. Et ce « Grand Conseil » avait trouvé une manière intelligente d’occuper des enfants mal élevés : leur donner de quoi grignoter avant qu’ils ne réclament plus de sang. Ils auraient fait de bons alphas.

Adam : C'est une manière intelligente de procéder. Elle ressemble un peu à la nôtre, à moindre échelle et en moins... barbare. Disons que les... animorphes ont moins tendance à se montrer animaux que nous. Hm. Je m'égare.

Il se pencha dans sa direction, et recoiffa une mèche de ses cheveux qui lui tombait en travers du visage. Pour lui, Vika était la personne la plus droite de son existence. La voir décoiffée lui faisait un drôle d’effet. Il était le seul à avoir le droit de faire ça. Bon. Lui et ses nombreux adversaires qui la secouaient un peu, parfois. Sauf que lui ne l’entendait pas de la même manière. Son regard se perdit sur la pendule, au-dessus de la porte d’entrée. Il allait être en retard s’il ne se dépêchait pas un peu.

Adam : Je peux compter sur toi alors, pour ces vacances ? Si tu peux t'y rendre, je t'attendrai à la gare de Shibuya. Fais attention à toi. Le quartier n'est pas très sûr la nuit tombée. Je t'attendrai ou te rejoindrai aussi vite que possible. Accompagné.

Il orna son visage balafré d’un sourire doux, alors qu’il se détachait d’elle. Il s’étira, fit craquer les os de son dos, et soupira.

Adam : Bon. Je vais filer. Ne t’abîmes pas en mon absence.

Taquin, il conclut sa plaisanterie d’un clin d’œil, et s’en alla, le cœur léger. Voilà une bonne chose de faite.