Kikyo, assise dans le bus en direction du lycée Yokai, se rongeait les sangs depuis qu'elle avait perdu de vue sa maison et sa mère. Elle serrait contre elle sa sacoche noire, contenant son matériel de survie. C'est à dire, son carnet, son livre de formules, une gomme, un paquet de ses bonbons préférés, et une petite pochette contenant les dessins qu'elle avait fait de ses amis et sa famille. Elle serrait dans sa main droite un long crayon noir. Son Objet. Son Artefact. Ce crayon qu'elle ne laissait jamais à plus d'un mètre d'elle, et qui l'accompagnait dans chacun de ses dessins. Elle le serrait si fort que ses phalanges blanchirent. Sous ses pieds qui se balançaient dans le vide (encore sa petite taille qui lui faisait défaut), sa petite valise pleine à craquer bringuebalait au rythme des virages et des cahots du bus.

Allait elle se plaire dans ce lycée ? Elle qui arrivait en court d'année, en étant une sorcière, arriverait elle à se faire une place ? A ne pas trop se faire remarquer ? Tant de questions pressant son jeune esprit... Tant de réponse floues... Rien n'arrivait à la rassurer, pas même le sentiment que son crayon était avec elle, ce qui d'habitude suffisait à la calmer.

Le bus s'arrêta enfin. Au bout d'un voyage trop long et trop court à la fois, pensait Kikyo... Elle prit son sac, sa valise, et mit son crayon bien au fond de la poche de son long manteau noir. Elle traversa l'allée du bus, qui lui semblait aussi longue qu'un terrain de football. Il lui semblait qu'elle marchait au ralenti, mais elle parvint bien trop vite à son goût à la porte. Elle jeta un oeil au chauffeur. Cette... Personne la faisait frissonner... Bien trop étrange, de son humble avis... Elle détourna rapidement les yeux et lui adressa un vague "Merci...", et descendit les trois marches du bus, trainant sa valise comme un boulet derrière elle.

Elle resta plantée devant l'arrêt de bus longtemps après le départ du véhicule, hésitant à faire le premier pas. Au final, c'est le croassement d'un corbeau qui la décida. Elle avança vers le lycée. Ses mains tremblaient légèrement. Elle arriva enfin dans le hall et recommença à respirer. Elle resta plantée là, non loin de l'entrée.Mais soudainement, une question l’assaillit.

Que devait elle faire ?

Kikyo était absorbé par ses doutes et ses appréhensions, quand quelqu'un lui tapota l'épaule. Lorsqu'elle entendit la voix de la jeune femme, elle se retourna, l'air un peu effrayé, et scruta son interlocutrice. Elle resta un instant bouche bée devant elle. Cette jeune femme dégageait quelque chose... d'hypnotique... Était-ce ses yeux bleus, qui semblaient importun à côté de sa chevelure ? Était-ce, justement, ses cheveux, noirs comme la nuit, si longs et soyeux ? Elle finit par conclure que c'était un peu de tout ça, mêlé à une formidable assurance trahissant une ancienneté certaine. Elle jeta un oeil au corbeau sur son épaule. Il était beau... Kikyo aimait bien les reflets que faisait la lumière sur ses plumes. Ce serait intéressant de les dessiner, tout les deux.. Elle regarda à nouveau la jeune femme. Quelqu'un qui pouvait l'aider...
Le visage de la petite sorcière s'éclaira. Elle sourit timidement et finit par répondre d'une petite voix... Tout aussi timide.

- Je... Oui, je suis nouvelle ici... Si vous pouvez m'apporter de l'aide... Ce serait volontiers... Je ne sais pas... Quoi faire... En fait...


Vers la fin de sa phrase, la voix s'éteignit, comme si elle ne savait plus trop quoi dire et se sentait ridicule. Elle plongea la main dans sa poche et y saisit son crayon. Le contact du bois sombre et la sensation si particulière que lui procurait le contact de l'objet suffit à la détendre, et elle respira plus lentement, comme apaisée.

Kikyo réussit à sourire. La jeune femme n'avait apparemment rien de bien intimidant ou menaçant. En tout cas, pas envers la petite sorcière. Elle réfléchit et sortit rapidement de la poche de devant de sa valise une enveloppe épaisse contenant tout les papiers, remplit, signés et tamponnés qu'elle devait remettre à l'administration. En revanche, elle n'avait pas souvenir d'un numéro de chambre attribué. Elle tourna à nouveau les yeux vers Vika

- Je m'appelle Kikyo Matsumoto, enchantée... Et, je crois devoir donner ça à l'administration... Et je n'ai pas de chambre attribuée pour l'instant... Voilà...

Elle se sentait plus à l'aise avec Vika qu'elle n'aurait pu le croire. Mais la mention du "comité de sécurité", dont lui avait succinctement parlé sa mère, la tendit très légèrement. "Ne va pas les voir, ne cherche pas à les déranger ou à les provoquer. Jamais.". Tels avaient été les mots de sa mère sur ce comité. Elle hésita à prendre congé de Vika en prétextant trouver la route seule, mais se ravisa. Si la jeune femme était elle même venue l'aider, il n'y avait rien à craindre... Enfin, elle l'espérait...

L'envie de sortir son carnet et de dessiner Vika la démangeait. Comme chaque personne qui l'aidait ou lui parlait, encore plus que les autres, elle pensait que garder une trace de leur passage était primordial. Mais ce n'était pas le moment. Elle remit ce projet à plus tard et attendit la réponse de Vika, un tout petit peu moins souriante, mais moins intimidée.

Kikyo se tendit brusquement au contact de la main de Vika. Cette jeune dame pouvait être aussi rassurante et chaleureuse qu'elle voulait, Kikyo détestait qu'on la touche. Elle plongea une main dans sa poche et serra le petit morceau de bois verni entre ses petits doigts fins. Elle ne parvint à retrouver son calme que quand Vika la lâcha. Décidément, que ça vienne de ses amis, de Vika ou même de son médecin, les contacts ne lui plaisaient pas du tout. Elle sourit à Vika d'un air désolé, comme pour s'excuser d'être aussi récalcitrante à toucher les gens.

- Et bien, d'après ce que j'ai compris, j'intègre la première année... En cours d'année...

Sa voix était toujours hésitante. Elle entra dans les bureaux administratifs, non sans avoir lancé un regard curieux à Neassala, et sortit l'enveloppe de son sac à nouveau.

Au bout d'assez peu de temps de réglage administratif et l'attribution de sa chambre, elle ressortit du bureau. Elle sortit immédiatement son carnet de son sac et esquissa l'image de Vika avec Naessala sur l'épaule. C'était étonnant, la petite, non seulement parvenait à rendre avec une précision quasi chirurgicale les traits de ses modèles, mais aussi, parvenait à fixer l'aura de ceux ci sur les pages, ou plutôt ce qu'elle en percevait. Sur ce dessin, Vika semblait assez heureuse, mais, peut être était ce une lueur dans son regard ou une petite ride à côté de son oeil, mais on sentait une maîtrise et un grand contrôle de soi. Elle avait presque finit le portrait, sans croquis ou brouillon, quand Vika apparut à ses côtés. Kikyo sursauta et se tourna vers elle, l'air tout à la fois surprise et légèrement effrayée. Au bout d'une seconde, elle se rendit compte qu'elle lui avait posé une question.

- Je... Non, apparemment pas...

Kikyo se rappela les cours sommaires que sa mère lui donnait quelques semaines au par avant...

- Non, pas vraiment... Mais je vais m'accrocher !

Elle esquissa un sourire timide en voyant Vika et son corbeau s'esclaffer. Elle avait encore un peu de mal à se montrer joyeuse, mais elle se détendait déjà un peu.

Pendant la visite, Kikyo nota mentalement l'emplacement de tout les bâtiments où elle devrait se rendre. Elle se promit de ne jamais aller faire un tour dans les autres ailes, ne tenant pas franchement à s'impliquer dans une guerre quelconque... Bien trop dangereux pour une petite sorcière comme elle.

Au final, pendant la visite, elle ne faisait que hocher la tête, et continuait par moment le portrait de Vika et Naessala. Elle était si absorbée dans son travail que lorsque leur petite équipée arriva au dojo, elle entendit à peine ce que dit Vika et leva les yeux de son travail avec l'air d'un petit moineau perdu dans la neige.

- Euh... D'accord, je m'en souviendrais...

Décidément, elle aimait bien cette Vika... Une des rares à bien vouloir l'aider... Enfin, peut être était-ce parce qu'elle ne savait pas qu'elle était une sorcière... On ne savait jamais avec ces monstres...

Non, non, pas d'inquiétude voyons petite asociale, il n'y aura aucun problème de ce côté avec Vika, si elle faisait partie du comité et prétendait être la seule fréquentable, elle devait avoir un bon fond, forcément. Hein ?

- Non... Pas vraiment... Mais je verrais. Au revoir Vika !

Kikyo, chose étrange, n'avait aucune envie de se séparer de Vika. La première personne à lui parler, à faire attention à elle, dans ce lycée complètement inconnu... Enfin, plus vraiment à présent. Mais bizarrement, elle se sentait plus confiante à présent.

Elle pouvait arriver à s'intégrer dans ce lycée, et elle le ferait ! Il lui suffirait de quelques semaines pour faire connaissance avec quelques élèves... Et tout irait bien dans le meilleur des monde...

Si elle avait su quelle énormité elle proférait en elle même en cet instant, elle se serait enfuie à toutes jambes.

Avec un petit soupir, elle sortit de son sac l'emploi du temps tout froissé qu'elle avait en vain tenté d'apprendre par coeur. Elle jeta un dernier regard à Vika et tourna la page de son carnet. Ce dessin rejoindrait sa pochette, et y resterait.

Elle jeta un oeil à cette après midi. Il semblerait qu'elle avait un cours de... D'anglais. Ma foi... Elle irait saluer sa colocataire plus tard. Elle repartit dans les couloirs, avec un sentiment de confiance accru.

Peut être sa vie ici ne serait pas aussi craignos qu'elle l'avait pensé...