Mitsuki remarqua avec soulagement que Mizore ne l’avait pas simplement prise pour une folle et lançait maintenant elle aussi des chandelles. Tant qu’à savoir si cela avait un quelconque effet, ça restait à voir. Tsukune ne faisait pas grand-chose, une fois de plus. Peut-être lui l’avait-il simplement classée dans la section des cinglées. Quoiqu’il en soit, face à un minotaure de mauvais poil –remarquez ici le merveilleux jeu de mot – mieux valait tenter quelque chose au lieu d’attendre patiemment la mort. Alors que Mitsuki continuait son étrange entreprise, elle vit la fille de glace sauter à porter du monstre.

«Pourquoi faut-il toujours qu’un d’entre nous tente quelque chose de stupide?» pensa Mitsuki.

Elle changea radicalement d’avis en voyant ce que son aillée était en train de faire. Elle était maintenant chaussée de patins de glace et filait à toute vitesse vers le taureau, risquant de s’aplatir contre lui.

Alors qu’elle n’était plus qu’à quelques mètres de la collision, le mastodonte sembla momentanément désarçonné. La lueur féroce qui brillait dans son regard avait laissé place à une sorte d’ébahissement mêlée de curiosité. Il renifla tout autour de lui, cherchant une quelconque odeur. Si c’était possible, il avait maintenant l’air encore plus idiot.

Le contact eu lieu, mais au lieu de voir Mizore percuter de plein fouet le minotaure, Mitsuki la vit le renverser habilement pour le faire tomber dans un carton contenant d’autres chandelles. De quoi le retenir un bon moment.

«Retraite! On en profite pour se tailler en vitesse!»

Mitsuki n’avait nul besoin de se le faire dire. Bien qu’elle eût aimé voir disparaître définitivement le monstre, elle réalisait qu’ils n’étaient pas de taille et qu’elle faisait maintenant parti d’un monde où les légers incidents de ce genre devait être courants. Et malgré tout, cette chose était humaine avant sa transformation…

Elle sortit donc de la bâtisse qui ne lui avait apporté que des soucis suivie par Mizore et par un Tsukune à bout de souffle. La jeune fille le regarda, intriguée ; comment pouvait-il être essoufflé, puisqu’il n’avait pratiquement rien fait? Décidemment, ce gars était rempli de surprises.

«Pourquoi ne vous êtes pas transformés, tout le deux?»

Certains décrivent la peur comme un nœud dans l’estomac. D’autres comme une pierre dans le bas-ventre. D’autres encore comme un rougissement incontrôlable. Heureusement, ce dernier critère ne toucha pas Mitsuki. Par contre, elle avait l’équivalent d’un guide scout en entier dans l’estomac et assez de cailloux pour remplir une carrière dans le ventre. Que devait-elle répondre à ça? Ses années de formation lui avait appris à ne jamais rien laisser paraître. Extérieurement, elle semblait attendre patiemment la réponse de Tsukune. Intérieurement, elle mourrait d’envie de déguerpir, de faire disparaître tout trace de sa présence ici.

Aono utilisa le règlement comme argument. C’était assez audacieux et… pathétique. Même une humaine comme Mitsuki comprenait très bien qu’il mentait. Ce garçon était tout ce qu’il y avait de plus humain, comme elle. Respecter le règlement, quitte à mourir? Non merci. Il faudrait trouver mieux. La fille aux cheveux roses tourna ses yeux bleus vers lui et leva un sourcil interrogateur.

«Le règlement, vraiment? Si je comprends bien, tu préfères risquer ta vie et la nôtre simplement pour ne pas faire d’entaches à ton dossier? Intéressant… on pourrait discuter quelques heures du stade moral de Kohlberg auquel ça fait référence… Personnellement, je pencherais pour le premier : peur des représailles. Mais bon, je m’égare. La raison pour laquelle je ne me suis pas transformée c’est que…»Mitsuki baissa les yeux vers le sol, jouant à la perfection un rôle de honte et de gêne.

«Je… je ne contrôle pas ma transformation. Il me faut de la concentration et du calme. C’est en partie pour cela que je suis dans cette école. Pour apprendre à me contrôler… Oh, ma transformation n’est que mineure, seul un de mes parents est un Yokai. Mais j’ai besoin de sérénité, chose que je n’avais absolument pas à l’intérieur de l’entrepôt. Un grand choc émotionnel peut aussi déclencher mon pouvoir, mais il doit être énorme, vraiment. Croyez-le ou non, ce qu’on a vécu là n’était pas assez fort.»
La jeune fille releva les yeux, guettant une réaction. Elle avait joué la comédie à la perfection. Seul un maître en le domaine pourrait déceler un défaut. Et si cela arrivait, elle devrait se méfier…

Mitsuki rageait intérieurement. Si ce garçon avait eu un minimum d’acuité d’esprit, il aurait vite compris que, dans sa situation, le plus sage restait encore de déguerpir sans demander son reste. En ce qui la concernait, c’était une idée qui prenait de plus en plus de place dans son esprit. Ce ne serait pas difficile, elle n’aurait qu’à prétexter un empêchement.... Aucun doute que Tsukune n’y verrait que du feu.

Mizore en revanche...

Cette fille semblait plus maligne que son compagnon. Probablement avait-elle déjà quelques doutes par rapport à la véritable identité des deux personnes avec qui elle s’était battue. Il faudrait veiller à ce qu’elle n’en apprenne pas plus sur la nature-inexistante- des pouvoir de la jeune fille aux cheveux roses.

Mais par quel moyen? Les quitter n’était définitivement pas la solution. Mitsuki avala sa salive. Avoir été confrontée à deux humains, elle aurait pu envisager de les éliminer. Mais, si Tsukune était de toute évidence un simple homme, Mizore en était tout le contraire. Elle n’avait aucune chance contre la femme de glace.

«Garde tes amis près de toi et tes ennemis encore plus près» . C’était peut-être une partie de la solution. Garder Mizore près d’elle... non pas qu’elle soit une ennemie; les deux jeunes filles venaient tout de même de vaincre un minotaure côte à côte. Mais de la conserver à ses côtés et d’en faire une véritable alliée ne pouvait certainement pas causer de mal. Surtout si cela permettait de transférer tous les soupçons sur Tsukune... Restait maintenant à trouver un moyen pour détacher le garçon du groupe.

Mitsuki se tourna vers Tsukune, radieuse : «Avec joie! Laisse-moi seulement le temps de passer par chez-moi pour...» Elle fouila rapidement ses vêtements, l’air paniqué.

«Je... mon calepin!»

Elle s’élança en direction de l’entrepôt, priant mentalement pour que le minotaure soit toujours KO, pour que Tsukune soit trop couard pour oser retourner à l’entrepôt, pour que Mizore comprenne qu’elle doive la suivre sans comprendre la suite du plan... Bref, bien des espérances, pour un résultat plus qu’incertain. Mais elle n’avait guère autre choix dans les circonstances. Son calepin... Quelle idée! N’importe qui l’aurait connu ne serais-ce qu’à peine aurait compris qu’elle ne s’en défaisait jamais. Par chance, la femme de glace hyper dangereuse sur qui reposait tout son plan et peut-être même sa survie ne connaissait pas l’existence de ce carnet. Du moins, pas jusqu’à maintenant...

Mitsuki stoppa net lorsqu’elle comprit qu’elle allait possiblement devoir affronter de nouveau le minotaure. Décidément, son plan pour se débarrasser de Tsukune était loin d’être au point. Elle se consola en se disant qu’au moins, il s’était avéré efficace... Mais voilà qui Mizore devait risquer sa vie pour récupérer un calepin qui oui, en valait réellement la peine, mais qui se trouvait sagement rangé dans une poche intérieure de la jupe de Mitsuki. Voilà qui était fâcheux. La jeune fille allait donc devoir contourner un taureau en furie et s’enfoncer dans un entrepôt on ne peut plus dangereux pour finalement faire semblant de chercher un carnet d’une valeur inestimable, tout en cachant ce qu’il recelait réellement.

La jeune fille inspira un bon coup. Elle vit Mizore s’élancer sur le monstre, le neutralisant en quelques mouvements rapides. «Si c’avait pu être aussi simple la première fois...» pensa-t-elle. Mais elle se doutait que ce n’était pas par négligence de la part de Mizore qu’ils avaient tous failli laisser leur peau dans cet entrepôt : probablement que le monstre ne s’était pas encore tout à fait remis de son ingurgitation inattendue de cire.

Pendant que la Yuki Onna s’évertuait à ensevelir le mastodonte sous une montagne de glace, Mitsuki se précipita dans le méandre des caisses et des boîtes jonchant le sol et en renversa quelques-unes pour faire bonne mesure. Voyons voir... lorsque Tsukune et Mizore l’avait repérée, elle se trouvait environ à mi-chemin entre les deux murs principaux. Il semblerait donc logique qu’elle ait «égaré» son carnet dans ces environs. L’humaine se pencha, déplaça quelques cailloux et fit mine de ranger quelque chose dans une poche.

«C’est bon, je l’ai!» hurla-t-elle avant de se précipiter à l’extérieur. Elle ne s’inquiétait pas trop pour Mizore, qui semblait parfaitement maîtriser la situation. Lorsque celle-ci l’eût rejointe, elle senti le besoin de se justifier :

«Je suis vraiment désolée de t’avoir entraînée la dedans tu sais... Au moins, Tsukune a été assez brillant pour ne pas nous suivre; il aurait encore été dans nos pattes, à ne pas en douter. D’ailleurs, tu y crois, toi, à son histoire de règlements? J’ai l’impression qu’il nous cache quelque chose, et bien mal en plus de ça... Se pourrait-il qu’il... Elle baissa le ton : qu’il soit un humain? »

Elle se redressa légèrement, réalisant qu’elle s’était approchée de l’oreille de Mizore pour lui confier ses soupçons. Elle s’esclaffa, renvoyant du revers de la main ses accusations.

«Non, ce serait ridicule, n’est-ce pas? Qu’est-ce qu’un pauvre humain sans défense viendrait faire dans un lycée rempli d’être surpuissants! Ce serait de la pure folie! D’un autre côté, son attitude laisse réellement présager un secret qu’il semble vouloir conserver pour lui...»

Mitsuki leva sur Mizore un regard insistant, l’invitant à approfondir cette possibilité dans son esprit.