Puzzle sanglant (PV Vika)

Cinq minutes pour atteindre le dojo. Cing longues minutes à avancer, encadré par ses deux geoliers.
L'animorphe que Jimena avait appelée Vika était vite repartie, après avoir donné pour consigne à deux membres du comité - un grand albinos avec le cou couvert de bandage et un plus petit au visage rond - de l'escorter à son bureau et ce sans le toucher. Au moins signe de fuite ou d'attaque, avait-elle ajouté en regardant Greg dans les yeux, libre à eux d'user de tous les moyens nécessaires pour l'immobiliser. Tous.
Greg s'était contenté d'acquiescer de la tête, trop soulagé par la perspective de ne pas avoir à subir d'autres contacts physiques. Et de toute façon, s'enfuir où ? Attaquer qui ? Qu'est ce qu'il pouvait bien faire dans cette situation ? Se laisser tomber et se faire envahir ? Commettre un autre massacre ?
Autant suivre. Le pire viendrait bien assez tôt.

Cinq minutes, donc. Dans le silence lourd de la suspicion. Ce n'est pas tous les jours qu'on escorte un adolescent couvert de sang et revendiquant deux meurtres chez la chef du comité, et encore plus rare qu'il y aille volontairement. Il y avait forcément quelque chose là dessous, et les deux partisans du comité veillaient à ne surtout pas quitter du regard Greg.
Greg, lui, se taisait parce qu'il n'avait rien à dire. Rien. Il avait déjà exposé la situation avant, tout était dit. Rouvrir la bouche ne le conduirait qu'à dire des sottises insensées - du genre qu'il était désolé, que ce n'était pas sa faute, que s'il avait su... Mieux valait se taire.
Ou pire, s'il rouvrait la bouche, il craignait de se mettre à hurler. Les images de ce qui s'était passé pendant son absence remontaient en flot, de plus en plus intenses, avec les sensations conjointes. C'était son corps qui avait reçu la pluie de sang tiède après le premier coup de hache assené par le possédé. Ses mains qui avaient exercé l'art du découpage au sécateur sur l'élémentaire d'eau au sol. Ses dents qui avaient mordu dans la chair morte du semi-troll en vengeance des dégats infligés au corps de Gregory.
Luka avait fait tout ça, mais c'était son corps qui agissait. Et dans ses souvenirs, c'est lui qui était aux commande et ressentait cette joie démente à l'idée de faire souffrir, de trancher, de saigner. C'était les actions de Luka, il le savait, mais c'était lui dans ces souvenirs, lui le coupable. Un dégoût immense envers lui-même le submergeait, s'il était toujours quelque chose.
Et toujours ce rire fou dans sa tête, rire de Luka qui profitait de son choc à la vue de ses actes... Ce rire si proche d'un cri d'une certaine façon...

Alors non, fermer la bouche, pour ne pas parler. Ou hurler. Ou vomir.

La seule fois où il ouvrit la bouche, ce fut pour demander à passer aux toilettes. Ses deux gardiens s'étaient regardés, dubitatifs, mais avaient accepté. Vu son gabarit et son apathie, ils ne doutaient pas de pouvoir le maitriser si besoin.
Si seulement c'était vrai...

Greg était rentré dans les toilettes, l'albinos sur les talons et l'autre restant sur le pas de la porte, prêt à intervenir au moindre problème. Grand bien leur en fasse. Après tout, il voulait juste se débarbouiller. Il ne supportait plus de sentir ce masque de sang sur son visage.

Robinet, évier. Il se pencha, évitant délibérément de se regarder dans la glace, et se rinça la bouche. L'eau qu'il recracha était rose, du rose artificiel des bonbons à la framboise. Ou du rose vivant des poumons une fois à l'air libre.
Ne pas penser. Pas à ça.
Il se frictionna le visage à l'eau gelée, sentant le sang commencer à se diluer, à couler de nouveau. Des grosses gouttes retombaient et explosaient sur la faience blanche, roses sombres et mortelles sur un table d'autopsie. Dans l'eau courante de plus en plus rouge, il voyait son reflet. Un jeune homme à l'air perdu et fatigué, aux yeux ternes et à la bouche molle, molle jusqu'à ce qu'elle s'ouvre et laisse apparaitre un sourire plein de dents, un sourire tellement grand que la peau des lévres craquait, saignait...
Un sourire de Luka.
Tête sous l'eau, robinet grand ouvert. Purger l'extérieur du sang, l'intérieur de la présence de Luka. Elle hurla de panique, noyée par le flot, emportée de plus en plus loin. L'eau gelée lui dégoulinait des cheveux et ruisselait jusqu'au bout de son nez, écho des larmes qu'il se retenait de verser. Plus de chaleur, plus d'air, plus de souvenir, rien que le froid et sa caboche vide. Si seulement il avait pu rester comme ça pour toujours. Si seu-
Contact sur son épaule gauche, une main. Non !
Il eut un sursaut violent, envoya son coude en arrière dans le ventre de l'intrus tout en tentant de se relever. Son crâne heurta de plein fouet le robinet dans le mouvement, créant un arc de douleur aigue sous son crâne, sonnant le rappel des autres qui s'étaient tus quelques secondes. Adieu calme, rebonjour enfer.
Il se redressa, des larmes de douleur dans les yeux. Il voyait de façon floue l'albinos reprendre sa respiration, écarlate de colère - ou de honte de s'être fait ainsi surprendre par le gamin qu'il était censé escorter. Colère, honte, danger. Greg porta rapidement ses bras devant sa tête en faisant un pas de coté, espérant parer un éventuel coup de poing porté au visage. Il était faible, trempé, passablement traumatisé et occupé à calmer les autres esprits dans sa tête. Pas d'autre carnage, par pitié.
Mouvement flou et avant même qu'il n'ait pu réagir, l'autre membre du comité se retrouva aux cotés de son camarade, une main sur l'épaule. L'autre le regarda, eut un micro geste d'acquiescement et entreprit de respirer longuement, de façon régulière.
Crise passée ?

-Je suis désolé... marmonna-t-il en baissant les bras, néanmoins prêt à reculer au premier signe d'agression.

Le blessé lui lança un regard noir tandis que l'autre se contenta de hausser les épaules nonchalamment, l'air de dire qu'il survivrait.

-Va prévenir Vika qu'on arrive de suite, je m'occupe de lui. dit-il au colérique.

L'albinos sortit, lâchant un dernier regard menaçant à Greg. Encore un allié de fait, un...
Son dernier gardien lui indiqua du doigt une serviette pour éponger l'eau qui lui ruisselait encore de la tête.

-Séche toi vite, on doit y aller.

A vrai dire, Vika était furieuse contre elle même. C'était de sa faute. Oh, elle avait suffisamment mûri pour ne plus se morfondre de ses erreurs, mais elle s'écouterait la prochaine fois. Aujourd'hui, deux morts. Oh, c'était un peu courant, en fait, mais cette fois-ci, elle était persuadée qu'elle aurait pu faire éviter ça. Elle aurait du intervenir dès qu'elle avait su, qu'un corbeau lui avait raconté le début d'affrontement. Celui-ci s'étant terminé sur une fuite, elle avait décidé de punir les coupables plus tard.

Mais ce n'était pas un de ses corbeaux qui lui avait rapporté la chose, mais un de ses hommes, qui n'avait, malheureusement, pas pu s'approcher suffisamment pour reconnaître un membre de l'antithèse, et ce sont ses corbeaux qui lui rapportèrent une fois que ceux-ci eurent retrouvés les agresseurs. Vika s'était donc mise immédiatement en branle, mais c'était déjà trop tard. Ils étaient morts tous les deux. Un ennemi, et un semi innocent. Et c'était sa négligence qui avait provoqué cela.

Un cas classique, au lycée. Des agresseurs s'en prenant à quelqu'un de plus faible, comme toujours. Sauf que celui-ci avait démontré des ressources incroyables en ce défendant, bien que Vika ignorait tout de ses réels pouvoirs. En soi, elle n'avait rien contre une légitime défense, même mortelle, elle même coupable de plusieurs vies ôtées. Mais ce qu'elle avait vu en entrant dans cette petite cabane, après la reddition de Greg, lui avait fait terriblement froid dans le dos. Habitué au sang et à la mort, elle ne s'attendait tout de même pas à cela. Un terrible tableau, une véritable horreur de sang et de tripes. Un hommage morbide, qui dégageait une harmonie étrange et particulièrement dérangeante. Elle était restée interdite devant une telle mise en scène, avant de faire interdire l'accès à la remise, sortant, tremblante. Peu de personne pouvait soutenir une telle vision.

Elle ne savait donc que penser. Entre sa soumission immédiate, ainsi que les paroles de Jimena, que Vika connaissait pour être une bonne amie d'Adam, et donc digne de confiance, qui penchait en sa faveur, la scène de la remise indiquait un dangereux psychopathe. Et Vika n'aimait pas trop les psychopathes. En retournant dans son bureau, attendant le retour de ses hommes, qui prenait un peu trop de temps à son goût, elle réfléchissait à ce qu'elle devait tirer comme conclusion. Maintenant en dernière année, et en tant que combattante, elle avait déjà croisé un nombre incroyable de monstre, et de cas différent. Crise de folie? Pouvoir incontrôlable? Schizophrénie? Ou un acteur incroyable à la soif de sang démesurée?

Elle ne s'en assurerait qu'une fois dans son bureau. Et même si elle l'avait envoyée à l'infirmerie, elle parlerait aussi à Jim, si elle n'obtenait pas ce qu'elle voulait. L'un des ses hommes revint enfin, lui expliquant son retard, puis Greg lui fut enfin amenée. Elle fit sortir les deux autres, les remerciant, et resta donc en tête à tête avec son "coupable". En piteux état, il faisait peine à voir. Quelques ecchymoses au visage, ses habits couverts de sang séché et de crasse, et son aura qui transpirait la détresse. Si elle se fiait à son instinct, il n'était pas réellement responsable. La métamorphe n'avait pas mis longtemps à trancher. Son aura était d'ailleurs particulièrement étrange. Elle semblait vaciller, à intervalle irrégulier, mais une fréquence terrifiante, et Vika du se concentrer pour percevoir la couleur dominante, qui se noyait dans un flou de couleurs proches mais différentes tout de même. C'était tout simplement insondable, et elle n'était même pas sur de pouvoir en tirer quelque chose de clair si jamais elle devait se battre contre lui. Elle n'avait encore jamais vu ça, et Jade non plus, d'ailleurs. Elle ne manquerait pas de le questionner la dessus.

Elle lui laissa un long moment de répit, le temps pour celui-ci de reprendre doucement son souffle, et ses esprits, assis sur la chaise en face d'elle. Vika avait perdu son masque de dureté, et lui offrait un sourire aimable. C'était tout ce qu'elle pouvait faire. Ce n'était pas à elle de s'occuper de cela. Elle n'était personne pour lui, et surement pas quelqu'un capable d'amortir une vie enlevée, même si celle ci avait été prise par un "autre soi". Après tout, elle aussi vivait toujours mal de mettre fin à une existence, et espérait ne jamais s'y habituer, et surtout ne pas y prendre goût. D'ailleurs, elle avait aussi reçu un magnifique blessure dans le dos, la première fois, lui laissant une terrible cicatrice. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était de ne pas se montrer dure avec lui, car il n'en avait pas besoin. Vu son état de choc de tout a l'heure, il l'était déjà bien assez avec lui même. Elle ouvrit enfin la bouche, quand elle estima sa respiration plus ou moins normale, d'une voix douce qu'elle voulait rassurante.

"Avant de commencer, je suis Vika, dirigeante du Comité de Sécurité. Ce qui sera dit entre ces murs n'en ressortira pas, si tu le souhaites. Je pense qu'il y a beaucoup à raconter sur les événements, et j'attends de toi une honnêteté à toute épreuve. J'attends la vérité. Car elle seule peut te sortir du pétrin dans lequel tu t'es fourré. Mais, plus important... Comment te sens-tu? S'il te faut quoique ce soit, dis le moi."

S'il s'attendait à un interrogatoire brutal, il se fourrait le doigt dans l'oeil, jusqu'à l'épaule. Ce n'était pas dans ses méthodes. Dans le pire des cas, elle avait Heliott, mais ici, le cas n'était peut-être pas justifié, si bien qu'elle n'avait voulu la faire demander. Pour l'instant. Ses deux yeux scrutateurs et son expérience ici suffirait, pour le moment. Son état d'esprit, tout d'abord. Les questions les plus épineuses, sur ses pouvoirs et sur les faits, viendraient plus tard. Il ne fallait pas le brusquer.

Le reste du chemin passa comme un rêve. Greg se voyait avancer le long du couloir, entrer dans la pièce, s'asseoir sur la chaise alors que ses deux gardiens étaient remerciés... Et c'est seulement au claquement de la porte qu'il eut l'impression de se réveiller. Seul dans une pièce avec une inconnue, dos à la porte. Il se tortilla sur sa chaise, tentant de calmer son début de panique. Rien n'allait lui arriver. Rien. C'était juste une petite conversation dans un lieu sécurisé, rien de p-
Comme la cabane.
Frissonnant, il appuya par terre avec ses jambes jusqu'à faire pivoter légérement sa chaise et garder au coin de l'oeil la porte d'entrée. Prudence toujours, et encore plus maintenant. Plus aucune surprise, plus aucune. Il ne pouvait pas penser, pas agir autrement.

De l'autre coté de son bureau, la dénommée Vika le regarda faire sans bouger d'un cil. Elle le jaugeait, Greg le sentait, observait le garçon qui avait commis la boucherie dans cette resserre. Son regard se posait sur ses quelques ecchymoses, sa veste couverte de sang, ses gants noirs englués d'hémoglobine mais qu'il ne pouvait s'empêcher de fait jouer machinalement. En temps normal, lui aussi aurait essayé de décrypter ce qu'elle était à partir de sa posture, mais ce n'était pas un "temps normal". Il détourna les yeux, peu désireux de voir les émotions affleurer sous son masque facial. Il avait eu son lot de regards horrifiés et dégoutés pour le restant de ses jours ; s'il voulait en voir un de plus, il lui suffirait de se regarder dans un miroir. Et encore, s'il osait un jour plonger son regard dans un miroir.

Il perçut un léger mouvement de l'autre coté du bureau et y reporta aussitôt son attention. La jeune femme semblait avoir mis de coté son masque neutre et lui adressait un léger sourire.
Un sourire. Il venait de tuer deux personnes et elle lui souriait. Normal. Tout était normal. C'était juste un lycée de fous, un établissement où les racketteurs usaient de pouvoirs déments, les vampires s'offraient un petit cou en passant et les souffre-douleurs, quand ils pétaient les plombs, saisissaient une hache pour ét-
Ne pas y penser. Respirer. Se calmer. Ne pas continuer cette pensée.

Vika sembla comprendre son besoin de calme et ne reprit la parole que lorsque sa respiration fut revenue à la normale.

"Avant de commencer, je suis Vika, dirigeante du Comité de Sécurité. Ce qui sera dit entre ces murs n'en ressortira pas, si tu le souhaites. Je pense qu'il y a beaucoup à raconter sur les événements, et j'attends de toi une honnêteté à toute épreuve. J'attends la vérité. Car elle seule peut te sortir du pétrin dans lequel tu t'es fourré. Mais, plus important... Comment te sens-tu? S'il te faut quoique ce soit, dis le moi."

Il respira un grand coup, tâchant de ne pas craquer. Elle avait parlé d'une voix douce et compréhensive, proche en cela de celle de Jimena, d'un ton qui dans son état de fatigue lui donnait juste envie d'exploser en larmes et de tout laisser tomber. Dire qu'il s'était attendu à un interrogatoire musclé voire douloureux... Il aurait préféré prendre des coups que de devoir encore une fois avouer ces morts à haute voix. De révéler le carnage commis à une personne qui lui parlait comme à un être humain, et pas comme un mons- non, comme à un freak.
Ne pas craquer. Juste répondre. Il avait tenu jusque là, il pouvait tenir encore un peu, que diable !
Juste lui dire comment il se sentait. Peut-être qu'en parlant, en lui expliquant à quel point ça n'allait pas, peut-être que la chose lui semblerait plus surmontable.

"Mal. Je me sens mal. Blessé dedans, blessé dehors. J'arrête pas de tout voir, tout entendre, tout découvrir. Juste envie de me rouler en boule dans un coin et d'oublier. Ou de mourir aussi. Je ne sais pas. Juste mal."

Non, toujours aussi difficile, aussi horrible. Il serra ses bras contre sa poitrine dans une maigre tentative pour se réconforter. Les mots ne changeaient rien, rendant juste le sentiment plus réel, plus concret. Affaiblissant son contrôle sur les autres. Rapprochant juste les larmes de la sortie.
Larmes...
Jimena !

Il redressa la tête, fixant pour la première fois dans les yeux l'animorphe.

"Jimena ! Elle est arrivée à l'infirmerie ? On l'a soignée ?!"

Si elle n'allait pas bien, tout ça n'aurait servi à rien. Il fallait qu'elle aille bien !

A peine assis qu’il assurait ses arrières. Il était prudent. Tout le monde finissait par le devenir, ici. Et mieux valait que cela arrive vite. Ou, en général, on finissait dans le ventre d’un autre. Ou pire. Mais Greg était en sécurité ici. Dans l’état actuel des choses, seul un fou oserait l’attaquer sur son propre territoire. Oui, il était vrai qu’une bonne partie du lycée l’était, mais pas à ce point-là. Mais les meilleurs combattants du lycée était au dojo, elle comprise, et c’est pour cela qu’elle s’y trouvait plus qu’à l’intérieur du QG du Comité. Elle ne faisait même pas encore confiance à tous les membres de cette milice scolaire, et préférait pour le moment la présence de ses compagnons de combat à ses côtés.

Il évitait son regard, craignant ce qu’il y verrait. Mais Vika n’était plus vraiment impressionnable. Après avoir « fréquenté » Ruby, et assisté à quelques exploits de l’antithèse, une scène de crime particulièrement harmonieuse était peut-être préférable aux boucheries de la gargouille. Surtout si son intuition se révélait juste. Et l’état global de Greg, et la façon d’en parler, bien qu’elle ne comprit pas tout, appuyait en ce sens, encore une fois. Qu’entendait-il par « J'arrête pas de tout voir, tout entendre, tout découvrir. » ? Qu’il revoyait la scène en boucle, spirale morbide qui lui rongeais le cœur, au point de vouloir effacer, rayer ces instants ? Le contraire aurait été étonnant, s’il était bel et bien « innocent ». Mais oublier, c’était fuir. Et bien que ce soit le premier réflexe de n’importe qui, il valait mieux faire face. On éviter de recommencer, comme cela, ou on y réfléchissait à deux fois, et un choix hâtif et soumis à l’émotion, à l’instant, devenait une décision murement réfléchie. Et si la finalité était la même en acte, moralement, ce n’était plus pareil. Mais ce n’était ni le lieu ni le moment pour parler de ce genre de philosophie. Elle voyait mal comment elle pouvait s’y prendre. Il se redressa d’un seul coup, évoquant Jimena.

Vika se demandait comment la jeune fille arrivait toujours à se mettre dans des situations pareilles. Car ce n’était pas la première fois qu’elle se retrouvait dans un cas comme cela. Mais Flandre était autrement plus dangereuse que Greg. Tout du moins, elle n’était pas sujette aux mêmes états d’âmes. Elle ferma les yeux, comme si elle cherchait quelque chose dans son esprit. Il ne fallut pas longtemps pour avoir la réponse qu’elle désirait.

« Oui, elle est là-bas, et on s’occupe d’elle. J’ai même laissé un de mes hommes non loin, pour être sure que personne ne reviendra lui porter quelconque préjudices. Tu pourras retourner la voir bientôt, sitôt que cette conversation sera terminée.

Elle se pencha en avant, pour se rapprocher de lui, et la métamorphe entra dans le vif du sujet, sans pour autant perdre sa voix rassurante. Elle allait lui demander un gros effort, mais celui-ci était nécessaire.

« Bien. Soit assuré que ce qui sera dit ici n’en ressortira pas. Alors, j’aimerais ta version des faits. Je n’ai que des fragments épars. Le tabassage, la fuite, et ce que j’ai vu dans la cabane. Complète ce que je sais, et rempli les vides. Prends le temps qu’il te faudra, je comprendrais que tu en ais besoin. Mais si tu n’arrives pas à le faire sortir maintenant, tu ne le pourras plus plus tard. Parles moi de tes pouvoirs, tu y es autorisés ici, et de pourquoi il ne faut pas te toucher. Pourquoi Jimena semblait penser que ce n’était pas ta faute ?»

Encore une fois, ne pas le brusquer. Elle serait une oreille attentive, et faisant tout pour qu’il se sente détendu, ce qui, encore une fois, tranchait avec un interrogatoire. Même si actuellement, Vika avait plus l’impression de parler à une victime. Elle s’imagina avec un nounours, parlant à un enfant « allez, dis-moi où tu as découpé le monsieur ! Au bras ? La jambe ? » façon recherche de pédophile.

Elle se leva pour ouvrir la fenêtre, le temps que Greg se jette à l’eau et n’entame son récit, et Naessala entra pour se poser sur son épaule, alors qu’elle lui tendait une friandise. Elle revint doucement à sa place, et son familier se posa sur le bureau, l’œil vif et malicieux. Il observa Greg quelques instants, baissa la tête, chose qui ressemblait le plus à un soupir pour un corbeau, puis se détourna pour aller casser la graine dans sa mangeoire.

Coeur battant, souffle bloqué. Jimena... Elle devait aller bien. Elle était partie avec un membre du comité, n'est-ce pas ? Elle avait dû arriver à l'infirmerie. Mais si elle avait été prise en embuscade par d'autres élèves ? Si elle avait été plus gravement blessée que prévu ? Si son gardien avait décidé de profiter de la situation ? Les pensées pessimistes rebondissaient dans son crâne, fusant de plus en plus vite, de plus en plus fort... Les voix en arrière-fond lui hurlaient des choses qui rajoutaient encore à son trouble. Tout était possible. Tout.
Indifférence à cette agitation, Vika se contenta de lui lancer un regard perplexe avant de fermer les yeux. Elle ne mit que quelques secondes à lui répondre.

« Oui, elle est là-bas, et on s’occupe d’elle. J’ai même laissé un de mes hommes non loin, pour être sure que personne ne reviendra lui porter quelconque préjudices. Tu pourras retourner la voir bientôt, sitôt que cette conversation sera terminée.

L'adolescent se remit à respirer, ne se rendant compte qu'à ce moment-là qu'il s'était mis en apnée. Elle allait bien. Si si. Vika le lui assurait. Tout irait b-

Comment le sait-elle ?

Est-ce que tu peux lui faire confiance pour ça ?

Elle ne peut pas en être certaine. Elle n'y est pas.
Il aurait voulu ne pas les écouter, mais c'était vrai. Comment le savait-elle ? "Elle est", "on s'occupe" et non pas "Elle devrait être". D'où tirait-elle ses informations ? Avait-elle un moyen de contacter quelqu'un sur place - télépathie ? Chez une animorphe ?- ou lui disait-elle ce qu'il voulait entendre pour l'amadouer ? Est-ce que c'était encore un piège ?
Ne pas faire confiance. Ne rien attendre des gens. Il ne devait pas l'oublier.

Vika se pencha alors vers lui, provoquant instinctivement un geste de recul qui manqua le faire tomber de son siège. Sans faire mine de l'avoir remarqué, elle continua de cette voix rassurante qu'il soupçonnait désormais n'être qu'un mirage.

« Bien. Soit assuré que ce qui sera dit ici n’en ressortira pas. Alors, j’aimerais ta version des faits. Je n’ai que des fragments épars. Le tabassage, la fuite, et ce que j’ai vu dans la cabane. Complète ce que je sais, et rempli les vides. Prends le temps qu’il te faudra, je comprendrais que tu en ais besoin. Mais si tu n’arrives pas à le faire sortir maintenant, tu ne le pourras plus plus tard. Parles moi de tes pouvoirs, tu y es autorisés ici, et de pourquoi il ne faut pas te toucher. Pourquoi Jimena semblait penser que ce n’était pas ta faute ?»

Trop d'informations, trop de doutes. Il était fatigué, trop pour s'empêcher de douter, trop pour empêcher les autres de communiquer avec lui.
Elle savait... Le tabassage, la fuite, elle savait...
Mais elle n'est pas intervenue ? Elle l'aurait fait, non ?
La fille a dû le lui dire.
Non, elle n'a pas pu aller voir la cabane et Jimena en même temps.
Alors, son espion qui...
Elle aurait eu la version de la gamine. Elle te traite comme un gosse traumatisé, si elle n'adoucit pas les angles de ton histoire c'est qu'elle ne sait rien d'autre.
Rien de ce qui s'est passé à l'intérieur.
Mais tout ce qui s'est passé dehors.
Un témoin ? Quelqu'un qui aurait pu t'aider ?
Quelqu'un qui aurait pu empêcher qu'ils reviennent.
Quelqu'un qui aurait pu empêcher que tu tues.

Non, ce n'était pas possible... Il se boucha instinctivement les oreilles, tentant de ne pas entendre ces voix qui l'encourageaient à encore plus de paranoia.
Pas paranoia.
Instinct de survie.
Un seul corps, nous devons y veiller.
Le préserver du danger, quel qu'il soit.

Comment empêcher d'écouter ce qui venait de sa propre cervelle ?

Ne lui dis pas ce que nous sommes. Elle en profiterait, comme les autres...

Ignobles autres, qui l'empêchaient de penser par lui même, qui l'empêchaient de faire confiance.

Bruit dehors, bruit de bois. Il tourna la tête vers la porte dans un geste réflexe puis, voyant que le battant n'avait pas bougé, se retourna vers Vika. Celle ci avait un gigantesque corbeau sur l'épaule, volatile imposant aux plumes ébéne et au regard futé.

Corbeau.
Animorphe aux ailes noires.
Corbeau.
Coassements et envol alors qu'ils quittaient la cabane.
Corbeau.
Témoin de ce qu'il s'était passé à l'extérieur, à l'air libre, sous le ciel bleu.
Corbeau.
Surveillance de Jimena à distance.
Corbeau.

-Vous saviez... Tout ça aurait pu être empêché...

Ses pensées ou celles des autres ? Aucune importance. Tout ce qu'il savait, c'est que sa détresse se transformait en colère noire, monstrueuse. Une rage qu'il sentait bouillir dans ses veines, lui rappelant contre son gré des souvenirs de Luka et contribuant encore à sa détresse, donc à sa rage. Cercle vicieux, fou, mortel.
Corbeau.
Tout ça aurait pu être évité depuis le début ! Leur fuite, les soins, l'attaque-surprise, Luka qui prend possession de son corps, le carnage, tout ! Si cette foutue animorphe avait daigné bouger ses fesses et régler le problème !
Putain de corbeau de merde !
Il allait lui faire regretter ce coup-là. A mains nues si besoin, ou il ne savait comment. Mais il allait faire en sorte que jamais, plus jamais, elle ne relaisse un élève dans cette situation. En danger. Pouvant crever. Pouvant tuer. Connasse. Incompétente. Plus jamais elle ne ferait la même erreur, oh non.
Petit corbeau allait apprendre.
Il posa les mains sur ses accoudoirs, y prit appui, et se releva lentement. Elle allait le lui payer. Chérement. Il commença à faire le tour du bureau, cherchant du regard ce dont il pourrait se servir pour ...
Reflet sur la vitre. Un adolescent épuisé, brun, aux yeux assombris par la rage et au sourire de requin.
Non !
Il recula, horrifié, le charme rompu. Luka éclata de rire dans sa tête, ravie de ce qu'elle lui avait soufflé. Elle avait presque repris la place, et cette fois-ci il ne s'en était même pas rendu compte. Elle avait failli... Le rire s'arrêta, alors que Luka se relançait à la charge, essayant d'avancer de cet ultime pas, de saisir ce joli coupe-papier sur le bureau...
Dehors. Ne plus penser. De l'eau, vite.

Il se rua vers la sortie, manquant tomber sur le sol en dérapant. La porte fut ouverte d'un seul geste, la battant claquant contre le mur alors qu'il sortait, détalait. Gardiens encore là ou non, il n'en savait rien, n'ayant qu'une idée en tête : se débarrasser de Luka. La noyer.

Course, toilette, robinet. Tête sous l'eau, et y rester, à tout jamais si possible.

Vika l'avait annoncé en connaissance de cause. C'était peut-être stupide, mais elle ne voulait pas cacher qu'elle aurait pu être la à temps. Et empêcher le sang de couler. Mais les problèmes étaient partout, et ils avaient réussis à fuir selon son informateur, et quand elle avait dépêché des corbeaux sur place, elle n'avait retrouvé aucun des deux groupes, puisque ses corbeaux sont incapables d'ouvrir les portes des vieilles remises. La métamorphe avait donc dirigé ses forces vers d'autres endroits nécessitant son attention. Mais si Greg pensait que c'était sa faute, il dirigerait son ressentiment sur elle, d'une certaine façon, et cela allégerait momentanément ce qu'il faisait peser sur lui.

« Eviter? Surement. Mais les circonstances ont fait que non. Je manquais d'information, ce n'était pas un de mes corbeaux sur place, et quand ils sont arrivés, vous n’étiez plus la. L'incident était clos, et j'aurais retrouvés et punis les coupables plus tard. Je ne pouvais deviner leur retour.»

Mais c'était à peine s'il l'écouter. Le trombinoscope qu'était son aura avait encore monté d'un cran dans la fréquence, ce veinant plus ou moins d'un rouge haineux, alors qu'il se levait. Il n'était plus le garçon traumatisé, mais... autre chose. Vika se tendit immédiatement, prête à toute éventualités, alors que Greg tournait dans le bureau. Elle se leva elle aussi, heureuse d'avoir toujours Sanguine à son côté, hors de portée de ce qui était passé de victime à ennemi.

C'était assez impressionnant. Et le changement s'était opéré à la vitesse d'un cheval au galop. Son visage s'était littéralement transformé et si elle avait mis l'ancien et le "nouveau" Greg l'un à côté de l'autre, elle n'aurait surement pas osé s'avancer sur un possible jumelage. Elle garda une certaine distance de protection, plus pour lui que pour elle. La métamorphe n'aurait pas aimé avoir à le blesser. Il passa devant la vitre à sa droite, et la transition fut encore plus soudaine, alors qu'il bondissait vers la porte. Une fuite? Elle ne le pensait pas. Mais elle le suivit, décidée à ne pas le perdre de vue une seconde fois, intimant d'un regard à celui qui attendait devant la porte de rester la.

Les toilettes. Again. Elle le laissa la tête sous l'eau, le temps que les teintes rouges se fassent moins présentes. Mais il n'aurait pas toujours l'occasion de se mettre la tête sous l'eau en cas de problème. Elle décidé alors de faire quelque chose de risqué. Très risqué. Après tout, elle avait déjà croisé quelqu'un qu'il valait mieux "ne pas toucher". D'ailleurs, son entrainement avec la fille à la crinière d'or lui avait permis, à force d'effort régulier, de mieux canaliser son énergie. Elle se concentra un peu, se transforma, le laissant sous sa douche, et quand elle fut prête, elle le saisit par surprise, ne sachant si c'était un très bonne idée de le surprendre, et du bout de ses dix doigts, sur les bords de son visages de sa joue, le sorti de sous l'eau, et planta son visage devant le sien.

Vika avait bien fait de ne pas plaquer ses mains dessus. Les forces mises en branle par ce contact était titanesque. Elle n'avait que quelques secondes.

« Je suis désolée, Gregory. Crois bien que si j'avais su, tu n'aurais pas eu à faire ça. Oui, c'est ma faute.»

Elle écarta vivement ses mains de son visage, reculant en titubant. On aurait dit sa première fois avec Chryss. Crachant du sang contre le lavabo, le contrecoup d'un abus de son pouvoir se fit ressentir de sa tête jusqu'au bout de ses doigts, hurlant leurs souffrances d'avoir été ainsi abusé. Greg était un terrible siphon, un aspirateur monstrueux de l'âme. Sa propre force mentale, pourtant conséquente maintenant, n'avait suffit à retenir le phénomène que quelques infimes secondes.

« Oublie mes autres questions, et explique moi comment cela te prends. Si tu le veux bien.»

Si elle devait continuer la discussion ici, elle le ferait. La proximité du robinet salvateur lui offrirait peut-être une impression de sécurité. Son garde fou gelé à portée de main. Mais dans la tête de l'animorphe se bousculait trop de question pour remettre cela à plus tard, même si l'échange se révélait douloureux, autant pour l'un que pour l'autre.

Eau dégoulinante, dégoulinant partout, sa tête, son cou, ses épaules. Poumons inondés, l'eau empêchant l'air de rentrer et sortir, ne laissant passer que de la vapeur d'eau. Bouche qui s'ouvre, tente d'avaler un peu d'oxygène, ne rencontre qu'un rideau d'eau. Elle tente de sortir du flux d'eau, mais il l'y maintient impitoyablement.
Noyée. Bientôt noyée, elle ne peut plus retirer la tête. Plus d'air, plus rien. Elle va crever là, comme un chien.

Dégage ! C'est mon corps !

Justement ! Ton corps, tes poumons, ta vie. Tu n'oserais pas le noyer, on créverait tous les deux.

Greg ne se donna même pas la peine de lui répondre. Il ne bluffait pas, et elle le savait. Deux meurtres et une tentative ; c'en était trop. Il ne voulait pas mourir malgré les souvenirs, les blessures, le sang, mais s'il n'avait pas d'autre choix, il le ferait. Plus jamais il ne lui laisserait la place ainsi. Plus jamais.
Elle tint encore un peu, malgré la terreur qui la submergeait. Résister juste pour le faire chier un peu, lui faire comprendre qu'elle n'abandonnerait pas. Ce n'était qu'une victoire temporaire, elle reviendrait le faire plier, pour tout ce qu'il lui avait fait.

Moi ? Moi je t'ai fait quelque chose ?!

Elle se contenta de lui sourire sardoniquement avant d'enfin lâcher prise. Victoire frustrante, n'est-ce pas, petit con ?

Il resta encore un instant encore sous l'eau, malgré le silence relatif sous son crâne. Pour être sûr.
Et encore un peu. Au cas où.
Finalement, encore plus. On arrête de penser quand on se noie. On arrête d'avoir peur, de réfléchir, de prévoir. On arrête tout, sauf d'espérer respirer, et peut-être de se réchauffer un jour.

Visage gelé et d'un coup, minuscules points chauds sur son visage. Contact. Non !
Il tenta de se dégager, sachant pertinemment que c'était déjà trop tard. Disparaitre encore, laisser la place, abandonner...
On le tira hors de l'eau. A travers ses yeux mouillés, il distingua des mains encadrant son visage. Fines, blanches, avec du cal sur les paumes, doigts sans bagues, peau nue. Des mains de combattante. Des mains qui le touchaient, lui, Greg, qui ne lui transformait pas. Visage tiré un peu plus haut, jusqu'à arriver en face en face du visage de Vika.

Elle était venue. Elle l'avait touché. Et elle s'excusait.
Surprise. Choc. Incompréhension. Il porta ses gants à son visage alors qu'elle le lâchait et reculait.
Touché. Il n'avait jamais vécu le contact d'une autre peau par lui-même, copiant la personne instantanément. C'était... Tiède, mais plus chaud que la peau de son visage. Dur là où les os des doigts appuyait, et pourtant tendre des muscles dehors, infime chatouille sur sa peau. Une minuscule palpitation, comme si un coeur miniature s'était mis à battre près de ses joues. Un contact humain volontaire, entier. Quelqu'un l'avait vraiment touché, lui, Greg. Est-ce qu'elle pourrait...

Elle se pencha vers le lavabo et se mit à tousser. Des rosaces de sang apparurent dans la cuvette, commençant à se diluer dans la fine pellicule d'eau résiduelles. Minces soleils rouges de dessins d'enfants, se multipliant alors que sa toux augmentait et que son corps se crispait.

Non. Bien sûr qu'elle ne pourrait pas. Il était tout aussi dangereux pour elle que pour les autres, mais pas de la même façon.

Il recula d'un pas de plus, cherchant du regard quelqu'un qui pourrait aller aider l'animorphe. Mais personne en vue. Où étaient-ils passés ? Elle ne s'était quand même pas lancée à la poursuite d'un meurtrier potentiel toute seule, n'est-ce pas ? C'aurait été stupide, aussi stupide que de...
De le faire venir dans son bureau sans aucune entrave ?
De venir avouer sa faute ?
De le toucher au risque de cracher ses poumons ?
Il se dirigea vers la porte, espérant presque trouver une horde de membre du comité prêts à lui faire sa fête. Ou même son copain au cou bandé venu prendre une revanche.
Le couloir était vide, désespérément vide. Même la poussière l'avait déserté.

D'accord... Donc on sélectionnait comme chef du comité le plus kamikaze de ses membres. Il ne voyait pas d'autre option. On ne pouvait pas diriger un groupe aussi important dans la politique du lycée -ou du moins, pas longtemps - et être aussi imprudent, aussi casse-cou, aussi... aussi....
Aussi droit. Aussi confiant.
Il secoua la tête. C'était forcément un piège, encore un. C'était bien trop beau pour être vrai.

Vika reprit derrière lui d'une voix étranglée.

« Oublie mes autres questions, et explique moi comment cela te prends. Si tu le veux bien.»

Questions. Réponses. Informations. Donner et réclamer en échange. Il avait déjà une idée de ce qu'il allait demander. Mais donner quoi avant, et dans quelle proportions ?
Il ferma la porte pour que leur conversation reste secréte - il ne put s'empêcher de vérifier si un corbeau ne trainait pas dans le couloir- et donna un tour de verrou. Ils ne seraient pas dérangés, et Vika n'aurait aucun mal à sortir en cas de... en cas de problème. Portes des toilettes rapidement ouvertes, aucun inopportun à signaler

Il finit par revenir se poster devant Vika, restant toujours à distance de sécurité. Ce pouvait être un piège. Malgré les rides de douleurs au coin de ses yeux et les goutelettes de sang éclaboussant la faience, ce pouvait être un piège. Il devait se ressaisir, arrêter d s'exprimer comme un garçonnet traumatisé. Reporter son poids contre le mur, arrêter de trembler à cause du froid - et de cette tiédeur bon sang, cette tiédeur !- et parler calmement.

"Contact physique, stress, danger, fatigue, colère... Je suis une bombe à retardement. C'est pour cela que je me tiens loin des autres. Et que je prends les coups sans les rendre, la souffrance est plus facile à gérer que la colère."

Informations données, répondant à la questions sans donner trop d'éléments. Il avait encore de la marge de manoeuvre pour exiger des informations. Lui aussi en avait besoin. Et déjà, s'assurer que les autres soient protégés à l'avenir. Les autres, humains comme yokai. Et les empêcher de le manipuler. Rester froid, concentré.

"Je serai honnête, mais avant, je veux savoir ce que vous allez faire de moi. Vous ne pouvez pas me renvoyer dans le monde humain, ce serait trop dangereux. Risque que je tue quelqu'un, ou que je révéle à tous l'existence des yokais. Ce qui ne laisse que deux solutions : me garder ici, ou me tuer. Et me tuer risque d'être très difficile."

Il ferma les yeux un instant, déglutissant en repensant à la cabane. Vraiment très difficile. Peut-être impossible. Et Si Luka pouvait être mise en échec, il restait Millie. Et Amina. Et tous les humains copiés avant. Autant de variables, d'inconnues pour quiconque voudrait l'éliminer. Mais lui aurait de toute façon disparu bien avant.
Ne pas y songer, pas maintenant. Il devait paraitre sûr de lui. Les yeux rivés à ceux de Vika, il continua à lui donner son argumentaire.

"Ce lycée n'est qu'un lac plein de requins qui veulent tous agrandir leur territoire. La direction, l'Anti-Thèse, le Comité... Tout ce qui vous intéresse, c'est de gagner de l'influence, de battre les autres. Je refuse d'être un pion manipulable. Je ne veux pas être espion, ou combattant, ou cordon-bleu. Je veux juste qu'on me débarasse de ce pouvoir ou qu'on m'apprenne à le contrôler. Je ne veux pas participer à ces "guerres", juste vivre. Est-ce que c'est trop demandé ? Ou est-ce que je serai réquisitionné comme chair à canon d'un coté ou de l'autre ?"

Elle avait marqué des points. Elle ignorait exactement pourquoi, mais la conversation évoluait enfin dans le sens qu'elle voulait. Un échange, sans faux semblants. Les premiers instants de surprises passés pour Greg, ceux de souffrance pour Vika, c'est une étrange atmosphère qui se propagea dans la pièce. Il ferma la porte, alors que l'animorphe s'asseyait contre l'un de murs, Greg en face d'elle. La chef du Comité reprenait doucement son souffle, maintenant heureuse d'avoir réussi à le sortir de sous son rideau d'eau, et de ne pas avoir fait exploser la "bombe à retardement".

Elle ferma doucement les yeux, serrant les dents. Cela devait être terrible. Ne pouvoir toucher personne était déjà en soi une bien terrible torture, mais son corps était livré avec un esprit sain. Tout du moins, sain dans le sens droit. S'il ne semblait pas combattre son mal, Greg avait eu l'audace de le fuir, plutôt que de s'abandonner à lui. Après tout, il pourrait toucher tout le monde à tout va, et voir ce que cela donnait ! Mais non, il essayait de protéger les autres au même titre qu'il se protégeait lui. Ce n'était pas la solution, mais au moins, il n'empirait pas la chose. Qu'il est supporté de le faire jusqu'à maintenant, sans faillir, impressionnait Vika, et montrait Gregory sous un jour nouveau.

Elle rouvrit les yeux une fois qu'il eut terminé sa première tirade. Il lui avait dit le strict minimum. Elle n'était même pas sure de comprendre les tenants et aboutissants de son pouvoir, avec les paroles de Greg et ses sensations lors du contact. Il continua alors, démontrant sa vision d'ensemble du lycée, que peu de monde n'avait, ou n'osait avouer.

« Il est beaucoup plus facile de tuer quelqu'un, que d'affronter le problème. Il est bien entendu hors de question de te renvoyer du lycée, et encore plus de te tuer. Je ne suis pas devenue ce que je suis pour exécuter une victime. Et même un coupable. Un meurtre de sang-froid n'est jamais une solution. »

On sentait qu'elle en était convaincue. Son ton et ses yeux ne mentait pas. Elle toussa légèrement, puis repris.

« J'aspire à ce que tout le monde puisse "juste vivre". Moi aussi, j'aimerais juste vivre. Et à vrai dire, à la fin de l'année je peux sortir de cet enfer. Mais on ne me laisse pas le choix, et il y a des choses ici qui sont à faire et à régler, et mon devoir m'impose de les faire. J'y resterais un jour, un mois, un an, une vie s'il le faut, mais je ne partirais pas tant que ce lycée ne sera un endroit pour "juste vivre". Je n'abandonnerais cette tâche à personne.»

Elle reprit doucement sous souffle, battant fébrilement des ailes pour faire circuler le sang, que sa position assise, contre le mur, bloquait un peu. Elle remuait aussi les doigts, qui souffraient le plus depuis le contact.

« Alors, oui, le lycée est un échiquier géant aux multiples joueurs et implications. Oui, je ne me voile pas la face, et j'ose dire que je suis l'une des principales joueuses. mais j'estime aussi être dans le camp du Juste. La guerre fait effectivement rage. Les plus chanceux ne la voient pas, et passent à travers elle sans y être affectés. Au vu de tes capacités, je doute que tu fasses parti de ceux-la. Il te faudra du courage pour survivre ici. Ce lycée transforme les gens, en bien, en mal, je l'ignore, mais il transforme les gens. La voie à suivre dépends uniquement de ton propre choix. C'est parce que je ne voulais être un pion manipulable que je suis maintenant la dirigeante du comité, et que je l'ai changé. Chacun de ses membres est maintenant la en connaissance de cause, et personne n'ignore les enjeux de notre combat. Si quelqu'un doit te forcer à rejoindre un camp, ce ne sera pas moi.»

Elle n'était personne pour forcer la main à quelqu'un. On avait toujours chercher à lui faire rejoindre un camp, à son époque de jeune élève. Mais elle n'avait retrouvé ses idéaux nul part. Mais Vika n'était pas du genre à se décourager, et dans son élan, avait balayé un camp pour asseoir le sien. Sa guerre était juste, tout du moins pour elle. Elle rejoignait les principes du lycée, dans les grandes lignes, et en enfreignait d'autre. Il y a toujours eu des humains infiltrés dans le lycée. La solution était normalement de les exécuter. Ce n'est pas officiel, mais elle avait mis fin à cet acte barbare. Après tout, comment pouvait-on dire que le lycée était fait pour cohabiter avec les humains, si ceux-ci sont tués en ces lieux? Le Comité n'a pas toujours été très logique.

« Néanmoins, tu restes et tu resteras une pièce maîtresse pour quiconque connait tes capacités. Je ne peux te promettre de rester indifférente à ce que je sais. Et si je ne compte pas t'utiliser sous la contrainte, et cela quoiqu'il arrive, je dois empêcher que quelqu'un de moins scrupuleux que moi ne le fasse. J'ignore combien de temps tu pourras tenir au milieu des tirs croisés, mais tant que les mauvaises personnes ne sont pas au courant, tu devrais pouvoir t'en sortir.»

Elle espérait qu'il avait compris ses intentions, et sa façon de faire. Façon qui n'était, définitivement, pas très conventionnelle dans ce lycée et son environnement hostile. Malheureusement, et quelque soit la finalité de cette discussion, elle devrait placer Greg sous surveillance aviaire permanente. Ce qui lui posait un nombre incroyable de problème. Car ce n'était pas la solution, tout du moins, pas la solution durable. En effet, si elle prévenait les prochaines crises de Greg, la surprotection du Comité à son égard finirait par se savoir, et les mauvaises personnes en question finirait par s’intéresser à lui. Si elle ne le surveillait pas, ses déboires attireraient aussi l'attention, et le résultat serait le même. La racine du problème, c'était lui. Le tuer aurait été tentant pour n'importe qui, mais pas pour elle. Il était temps d'aborder les sujets qui fâchent.

« Je vais devoir te surveiller. je n'aime pas faire ça, mais je n'en ai pas le choix. A l'extérieur, un de mes corbeaux te suivra où que tu ailles. Il me tiendra au courant en quasi temps réel de ta position, et de s'il t'arrive quelque chose. Et je ne prendrais plus rien à la légère. Mais, malheureusement, je n'ai pas les moyens de te suivre à l'intérieur, et je n'irais pas jusqu'à t'assigner un garde du corps rapproché. Ce serait encore plus stupide que de t'accrocher une pancarte clignotante au dessus de la tête. La meilleure chose que je puisse te proposer, car cela... je ne peux te l'imposer, et le choix de cette protection te reviens, c'est un genre de petite balise. En collier, bague, montre, les choix sont multiples. Un simple bijoux, et si tu sens venir les problèmes, tu appuies sur un bouton secret, qui m'enverra ta position la dessus...»

Elle sortit un genre de radar d'une de ses poches internes, lui montrant. Chaque membre du comité pouvait la faire rappliquer ainsi. Les oiseaux c'était bien, mais la technologie aussi. Elle comptait investir son prochain budget dans le rajout d'une radio. Car cela aurait aussi pu permettre à son informateur du jour de rester sur place, et de suivre Greg blessé plutôt que d'avoir à venir la chercher en personne, ou courir après un de ses corbeaux.

« Et je rapplique immédiatement. Le choix de cela, encore un fois, te reviens.»

Ce point la réglé, elle passerait à la solution au problème. Oh, elle ne pensait pas l'avoir, car il était complexe et bien au delà de son domaine de compétence. mais gérer sa colère était quelque chose qu'elle faisait depuis maintenant bien longtemps, et c'était les arts martiaux qui l'avaient amenée à une telle maîtrise d'elle même. Si elle n'avait pas de solution miraculeuse, elle pouvait toujours l'inviter à rejoindre le club, et à apprendre à ce gérer. Ce serait long, et fastidieux, mais il fallait bien commencer quelque part, non?

Plutôt qu'assise, Vika s'était écroulée contre le mur. Ses traits étaient toujours tirés et ses poings se crispaient et se détendaient alternativement, comme si elle essayait de faire passer une crampe intense dans ses mains. La seule bonne nouvelle était que ses quintes de toux sanglantes semblaient être terminées. Visiblement, elle avait pas mal souffert de leur bref contact. Greg ne commenta pas, estimant qu'en tant que combattante elle devait être capable d'estimer si elle avait besoin de soins immédiats ou non, mais resta néanmoins prudent. Si jamais elle tombait inconsciente, il filerait chercher de l'aide. Assez de morts pour aujourd'hui.

Après ses paroles, elle laissa quelques secondes s'écouler, cherchant visiblement quoi répondre. C'est qu'il allait lui en falloir de l'énergie pour le convaincre qu'elle ne le ferait pas tuer à la première occasion. Greg voulait bien lui accorder une chance de le convaincre, mais... c'était une chance. Peut-être la confiance viendrait-elle plus tard. Peut-être pas. Il ne pouvait que laisser une bréche ouverte dans sa paranoia, rien de plus.

« Il est beaucoup plus facile de tuer quelqu'un, que d'affronter le problème. Il est bien entendu hors de question de te renvoyer du lycée, et encore plus de te tuer. Je ne suis pas devenue ce que je suis pour exécuter une victime. Et même un coupable. Un meurtre de sang-froid n'est jamais une solution. »

Il se concentra, repoussant à grand-peine sa fatigue en arrière-fond pour se concentrer sur son paralangage. Le retour du choc serait dur mais il devait penser clairement, sa survie en dépendant. Alors, l'observer, l'analyser...
Son ton sonnait juste, convaincu mais contenant une petite note de regret pour ce que ses principes l'obligeaient à faire. Son regard restait ferme, rivé sur lui et il ne voyait aucun des réflexes inconscients signalant le mensonge. Ses paroles ne lui faisaient pas miroiter de miroir aux alouettes. Elle était soit une excellente menteuse, soit convaincue de ces principes. Il lui accorda le bénéfice du doute en attendant la suite.

« J'aspire à ce que tout le monde puisse "juste vivre". Moi aussi, j'aimerais juste vivre. Et à vrai dire, à la fin de l'année je peux sortir de cet enfer. Mais on ne me laisse pas le choix, et il y a des choses ici qui sont à faire et à régler, et mon devoir m'impose de les faire. J'y resterais un jour, un mois, un an, une vie s'il le faut, mais je ne partirais pas tant que ce lycée ne sera un endroit pour "juste vivre". Je n'abandonnerais cette tâche à personne.»

Elle s'interrompit, il se redressa, prêt à aller chercher du secours si besoin mais elle avait seulement besoin de se détendre les ailes. Et encore une fois de faire jouer ses doigts pour faire passer la douleur. Ses doigts qui l'avaient touché... Il détourna le regard, pris d'un sentiment bizarre. Pas le moment de se laisser aller à des émotions inconnus, il ne resterait pas lucide très longtemps.
Elle venait à demi-mot de reconnaitre que ce lycée était une vaste jungle où la loi du plus fort dominait ; il voulait mémoriser la moindre bribe d'information qu'elle lâcherait. Sa survie en dépendrait. Il nota cependant dans un coin de sa tête de se renseigner sur le "on" qui lui imposait cette tâche – etait-elle une femme de paille ?. Quant à son "devoir", s'il semblait être juste... Un jour, un mois, un an, une vie ? Prévoyait-elle de causer d'autre bouleversements au sein du lycée ? Elle n'aurait pas été la première à renoncer à ses principes personnels pour "le plus grand bien". Rester à distance.

« Alors, oui, le lycée est un échiquier géant aux multiples joueurs et implications. Oui, je ne me voile pas la face, et j'ose dire que je suis l'une des principales joueuses. mais j'estime aussi être dans le camp du Juste. La guerre fait effectivement rage. Les plus chanceux ne la voient pas, et passent à travers elle sans y être affectés. Au vu de tes capacités, je doute que tu fasses parti de ceux-la. Il te faudra du courage pour survivre ici. Ce lycée transforme les gens, en bien, en mal, je l'ignore, mais il transforme les gens. La voie à suivre dépends uniquement de ton propre choix. C'est parce que je ne voulais être un pion manipulable que je suis maintenant la dirigeante du comité, et que je l'ai changé. Chacun de ses membres est maintenant la en connaissance de cause, et personne n'ignore les enjeux de notre combat. Si quelqu'un doit te forcer à rejoindre un camp, ce ne sera pas moi.»

Greg eut un sourire mi-triste mi-sardonique.
Franche sur sa position. Adepte du libre-arbitre. Mais elle lui semblait tellement naïve dans ses convictions... Le camp du Juste ? Personne ne se voyait jamais comme un méchant, il avait en tête d'innombrables exemples de ce fait. Au contraire, les plus grands crimes étaient commis au nom du Bien. Et pour ce qui était de son propre choix... Ah ! Le libre-arbitre n'était qu'une belle illusion. On était toujours en train de manipuler ou manipulant quelqu'un, consciemment ou non. Cette discussion même en était l'exemple-même : Vika avait tenté de le persuader par la méthode douce, lui délivrait ses informations au compte-gouttes pour obtenir des réponses. Et quand personne n'était en face de soi, n'était on pas en train de se manipuler soi-même pour avancer, pour devenir, pour vivre ?

Un bref instant, il eut l'impression de voir une enfant en face de lui, cachée dans un corps d'adulte, lui exposant de sa plus belle voix son rêve d'un monde tout beau et tout rose, où chacun serait son propre maitre et vivrait heureux pour toujours, sans peur ni mort. Enfant naive, innocente, pure.

Non. Ne pas se laisser leurrer par les apparences. Elle avait survécu à trois années ici, à des mois de harcélement, de résistance, de combats acharnés. Elle avait monté les échelons pour passer de pion à maitresse du jeu, et il semblait difficile de croire qu'elle y était arrivée armée uniquement de ses beaux principes. Il n'y avait pas que de la naiveté et de l'innocence chez elle. Elle ne s'était aucunement offensée quand il avait mentionné la possibilité qu'on le tue, ce qui montrait que l'idée lui était passée par la tête – même si elle refusait de la mettre en application. Oubliez la pureté et l'innocence, elle avait les mêmes tendances sombres que le commun des mortels, même si elle semblait savoir le gérer.

Comme il aurait aimé savoir faire pareil. Se maitriser comme ça, se réguler.. Se controler. Ne laisser passer que ce qu'on estime être bon, ne pas entendre les voix et se laisser influer. S'il avait su se contenir, peut-être que...
La fatigue remontait, serait bientôt là. Plus que quelques minutes, moins s'il recommençait à ressasser ses sombres pensées. Ne pas y penser, écouter.

« Néanmoins, tu restes et tu resteras une pièce maîtresse pour quiconque connait tes capacités. Je ne peux te promettre de rester indifférente à ce que je sais. Et si je ne compte pas t'utiliser sous la contrainte, et cela quoiqu'il arrive, je dois empêcher que quelqu'un de moins scrupuleux que moi ne le fasse. J'ignore combien de temps tu pourras tenir au milieu des tirs croisés, mais tant que les mauvaises personnes ne sont pas au courant, tu devrais pouvoir t'en sortir.»

Un signal d'alarme se déclencha sous son crâne. Non, même deux. Il commença à se mordre la lèvre avant de s'intimer de s'arrêter. Froid, stoique, ne pas lui dévoiler ce qu'il venait de comprendre.
Premièrement, elle ne parlait que d'elle dans ce cas-ci, ce qui le laissait penser que d'autres – probablement même au sein de ce Comité – pourraient ne pas partager sa "bienveillance". Si son pouvoir venait à être connu par d'autres... Elle disait être persuadée que tous ses camarades connaissaient les enjeux de leur lutte, mais partageaient-ils tous ses principes ? Il en doutait fortement.
Et deuxièment, qu'elle ne comptait pas l'utiliser sous la contrainte, mais qu'elle ferait tout pour empêcher qu'un autre le fasse. Et s'il tombait sous le joug de l'Antithése, que ferait-elle ? L'arrêterait-elle, ou considérerait-elle de son devoir de le supprimer, de l'effacer de l'équation ? Avec son pouvoir, il pouvait possiblement détenir de très nombreuses informations, ou devenir un espion infiltré, ou même doubler un ennemi et ainsi causer plus de dommages... Que choisirait-elle, face à ce choix ? De préserver une vie et de possiblement causer la perte de nombreuses autres ? Est-ce que 'le camp du Juste" le verrait ainsi ?
Si sa peur était justifiée, sa prochaine proposition serait de ...

« Je vais devoir te surveiller. je n'aime pas faire ça, mais je n'en ai pas le choix. A l'extérieur, un de mes corbeaux te suivra où que tu ailles. Il me tiendra au courant en quasi temps réel de ta position, et de s'il t'arrive quelque chose. Et je ne prendrais plus rien à la légère. Mais, malheureusement, je n'ai pas les moyens de te suivre à l'intérieur, et je n'irais pas jusqu'à t'assigner un garde du corps rapproché. Ce serait encore plus stupide que de t'accrocher une pancarte clignotante au dessus de la tête. La meilleure chose que je puisse te proposer, car cela... je ne peux te l'imposer, et le choix de cette protection te reviens, c'est un genre de petite balise. En collier, bague, montre, les choix sont multiples. Un simple bijoux, et si tu sens venir les problèmes, tu appuies sur un bouton secret, qui m'enverra ta position la dessus...»

Elle fouilla dans une de ses poches, détournant le regard un instant. Greg s'autorisa à déglutir, cherchant comment réagir à ça.
Le faire surveiller. Pour son bien, of course. Elle saurait où il était, avec qui, et ce qu'il faisait. Toujours à portée de main si besoin. Et si le cas s'avérait nécessaire, elle saurait qui utiliser comme moyen de pression. Enfin, elle ou un autre... De l'espionnage pur et dur, mais avoué.
Elle sortir de sa poche une espéce de gadget métallique ; il reprit son expression neutre. Effectivement, ce truc était petit et discret, aisément camouflable. On pouvait même facilement le glisser dans la poche de quelqu'un sans qu'il s'en rende compte. Il tenta de résister à l'envie puérile de mettre les mains dans les siennes pour s'assurer qu'elles soient vides. Trop tard.

« Et je rapplique immédiatement. Le choix de cela, encore un fois, te reviens.»

Choix ? Quel choix ?
Il n'avait qu'une envie, c'est de refuser. Il avait passé son enfance et son adolescence à être surveillé comme un déviant ou un cas psy et rien que le fait de penser être surveillé ou manipulé lui retournait le coeur.

Mais...
Mais cette solution pourrait préserver d'autres vies. Si quelqu'un était venu aujourd'hui, ses deux agresseurs seraient toujours entiers. Et Jimena ne serait pas à l'hôpital. Il ne voulait pas risquer de lâcher prise au milieu d'élèves innocents – ou non, et se réveiller encore une fois au centre d'un carnage.
Mais cette solution ne pourrait pas lui donner matière à chantage. Il n'approchait personne. Il veillait à toujours rester à distance de Tenshi, et Jimena avait déjà été associé à lui. Au contraire, peut-être pourrait-on dépister d'autres agresseurs et les empêcher de s'en prendre à d'autres ensuite.
Mais cette solution ne serait de toute façon être viable qu'à cours terme. Au bout de quelques interventions, l'astuce serait éventée.
Mais cette solution ne pouvait pas être refusée. Il serait de toute façon surveillé, quoi qu'il dise. Et si ses prévisions paranoiaques étaient justes, son espérance de vie risquait d'être bien raccourcie.

Mieux valait l'accepter. Être conciliant lui permettrait de ne pas braquer Vika contre lui et possiblement d'influer sur la suite des évenements.

-J'accepte d'être surveillé par tes corbeaux, de porter ce radar. Mais je veux une condition : tu seras la seule au courant de mes capacités, et la seule à me surveiller. Je ne veux pas prendre de risques. Peut-être as tu des principes, mais tout le monde ne les partage pas. Et il y a toujours possibilité d'une "taupe" qui répandrait ces informations...

Voilà qui semblait logique, mais il voulait vérifier un point avec elle, un point qu'elle avait dû forcément prendre en compte si elle était aussi intelligente qu'elle le pensait. Et le faire vite, parce que les émotions remontaient à toute vitesse.

-Et cette solution ne sera valable que peu de temps. Une intervention, deux interventions, il n'en faudra pas plus pour que ce panneau "allié potentiel du comité" me fasse repérer à un kilomètre à la ronde. Il faudra trouver autre chose, et vite avant que..

Il porta une main à son front, plissant les yeux. Sa froideur fondait à vitesse grand V, le choc reprenait sa place.

-Les autres membres du comité m'ont vu arriver ici. C'est un secret, ce qui veut dire que toute l'école sera au courant dans les deux prochaines heures. Comment on peut justifier ça ? Et les...

Voilà que sa voix se remettait à trembler, encore. Et sa tête à repalpiter. La détresse revenait, réemplissait tout, encore plus fort qu'avant. Le prix à payer pour ce sang-froid temporaire.
-Et les morts ? Comment... Comment on va expliquer ça ?

Une petite victoire. Elle posa le gadget au sol, et le fit glisser jusqu'à lui. Greg était d'un calme froid, quand il s'agissait de parler "technique". Un pragmatisme non feint que Vika appréciait. Il était aussi prudent, très prudent, et elle serait bien la dernière à lui reprocher cela. Oh, il se relâcha bien sur quelques uns des points qu'elle aborda, mais elle fit mine de ne pas l'avoir vu. Mais, quand revint le sujet des agresseurs, il perdit tout son sang-froid, et se remis à trembler, si bien qu'elle cru tout ses efforts réduits à néant. Elle hésita presque à le retoucher, mais elle n'avait pas encore assez récupéré. Elle se demandait d'ailleurs pourquoi il ne lui avait rien demandé à ce sujet la. Elle ne prit pas le risque d'un nouveau contact peau/peau, mais elle ne risquait rien avec un contact peau/plume. Elle se releva doucement et laborieusement, et du bout de ses ailes, elle vint l’effleurer, plus ou moins la où elle l'avait saisi la première fois. Le dôme de ses ailes resserra l'espace, mais elle ne maintint pas cette ambiance fermée, pour se radosser au mur, grimaçante.

« Du calme, du calme. Ce n'est ni la première fois que l'on retrouve quelqu'un dans cet état ici, ni la dernière malheureusement. L'un des deux faisaient parti de l'antithèse, et l'autre était surement un sympathisant. Le Comité en prendra la responsabilité. Les deux qui étaient avec moi ne diront rien. D'une part parce qu'ils sont de chez moi, du club et que je leur fais confiance, et d'autre part qu'ils savent qu'ils n'ont rien à y gagner, et beaucoup à y perdre. Certes, ils ne sont pas à l'abri d'un viol mental, mais ils ne diront rien. Je camoufle cette vérité, mais je n'ai pas vraiment le choix.»

C'était ce qu'elle pouvait offrir de mieux. Malheureusement, elle n'avait pas encore de petite clé USB qui flashait et supprimait la mémoire des gens. Sinon, elle en abuserait presque. Mais après tout, elle finirait bien par trouver un monstre capable d'une telle chose. Ce morceau était lâché, elle tenta de le calmer en revenant sur un sujet plus terre à terre. Il reviendrait surement dessus, après tout, ne venait-elle pas de lui dire qu'elle comptait mentir à la masse ? Méfiant comme il était, il serait capable de ne plus vouloir la croire.

« Je précise bien que la balise est inactive si tu n'appuies pas dessus. Dans les bâtiments, je suis aveugle tant que tu ne m'appelle pas. Autant dire que je préférais avoir à le rester, le plus longtemps possible. Je suis la seule à posséder la carte radar, donc la seule à savoir que tu possèdes cette balise. De plus, mes corbeaux ne répondent qu'à moi-même. »

Il est vrai qu'elle n'était pas à l'abri d'une taupe. Vika faisait pourtant attention aux responsabilités qu'elle donnait, et testait systématiquement les gradés. Elle faisait confiance à tous, mais pas avec tout et n'importe quoi. Il souleva la durée de vie de cette solution. Lui aussi avait compris qu'elle n'était qu'éphémère. Elle esquissa un demi sourire triste.

« C'est la faille de ce petit gadget. Ce que je t'offre n'est pas une solution. Un sursis, tout au plus. Au risque de paraître brutale, le problème, c'est toi. De ce que j'ai ressentis, c'est quand quelque chose de trop fort, comme la colère, prends le pas sur ta raison, et tu laisses ta place à... autre chose?»

Un cas presque typique. Ce genre de "malédiction" était courant dans le lycée. Il y avait ceux qui s'emportait tout seul, comme le bougre de louloup qu'était son copain, ou son pote ange fracasseur de toit. Et ceux du niveau au dessus. Greg semblait en faire parti. Et, en y réfléchissant...

« Ça m'est arrivé une fois. La plus amère des défaites. J'ai failli m'autodétruire, dans une folie meurtrière des plus totales.»

Elle avait manqué de mourir, mais c'était secondaire. Elle avait perdu contre elle même, alors que ses digues mentales, submergées par la peur, la colère, couplés à la haine de Jade, s'effondraient et laissait libre court à ce qu'elle avait jusqu'alors refoulé.

« J'ai bien une idée, qui peut paraître stupide. Je ne suis pas une magicienne, une experte du fonctionnement de tous les monstres, mais s'il y a un truc dans lequel je m'en sors, c'est le contrôle de soi. Ce ne sera pas une solution miracle, car ce sera long, mais... j'aimerais que tu t’entraînes avec moi. Les arts du combat, sans parler de te transformer en guerrier, forge l'esprit comme le corps. Je ne compte plus le nombre d'élèves impulsifs devenu "disciplinés". Si tu contrôle ton corps et tes émotions, tu devrais pouvoir faire barrage à cet... autre chose non?»

Elle fit une autre pause. C'était assez comique comme situation. On attrapait un serial killer en puissance pour lui proposer de l’entraîner. Tout ce qu'il y a de plus normal ! Elle souffrait moins, et la douleur était suffisamment supportable pour qu'elle puisse l'ignorer totalement. Elle se détendit un peu Vika leva les yeux vers le plafond, réfléchissant, comme si elle allait faire un choix crucial, et qu'elle essayait de prendre la bonne décision. Ce qu'elle comptait lui révéler, seul l'infirmier en chef, et Adam étaient au courant. Elle misait gros.

« Depuis ce jour, même si cela n'a rien à voir avec ma perte de contrôle, j'ai aussi un invité dans un recoin de mon esprit. Les premiers moments de cohabitation furent quelque peu... tendus. Et en poussa les limites de mes pouvoirs, ouvrant mon corps à mon esprit, j'ai fini par avoir un contrôle sur celui-ci. Il n'est pas encore très parfait, mais je peux m'y rendre. Jade, puisque c'est son nom, y vit maintenant depuis quelques mois, dans une maison que je lui ai érigée. Je ne te promets pas cela, tout du moins pas dans l'immédiat, car il m'a fallut des années de maîtrises. Mais, à défaut d'en avoir un contrôle total, tu pourras toujours endiguer tes émotions dangereuses.»

Elle avait même l'endroit parfait pour ça. Pour service rendu au lycée, elle avait obtenu certains petits "privilèges". L'accès à un kekkai interne au lycée en faisait parti. Elle s'y entraînait contre les monstres les plus sauvages du zoo du Proviseur, qui avait accédé à cette requête. Loin d'être technique, elle y entraînait surtout sa propre force. Ils y seraient à l'abri. Elle ne lui dit pas, mais son pouvoir lui permettrait aussi d'améliorer le sien. Les différences des affections mentales et magiques étaient vraiment infinies, et elle se devait d'en connaitre et de savoir contrer un maximum d'entre elle pour être capable de réagir promptement face à la nouveauté. Maintenant qu'elle en connaissait le fonctionnement, elle devrait pouvoir multiplier par deux ou trois la durée du contact pour le même effort. S'ils s’entraînaient ensemble, elle pourrait le prolonger d'autant plus. Il suffisait de trouver et maîtriser le schéma parfait de la gestion et la forme de l'énergie. Comme avec les arts martiaux, en pratiquer des dizaines pour avoir une nombre incroyable de contre, d'attaque et de style pour s'adapter à son adversaire.

« Un endroit secret, et sûr, dont je suis la seule, avec le Directeur, à avoir accès. Un endroit où même une possible perte de contrôle ne serait pas un risque. Nous serions seuls, et je serais aussi la seule à pouvoir t'en faire sortir. Tu ne me tuerais donc pas, et je ne te ferais pas sortir si tu n'es pas toi-même. L'un dans l'autre, ça devrait fonctionner pour toi comme pour moi. Qu'en dis-tu?»

Il avait froid partout et mal ailleurs. Son crâne palpitait de nouveau, et son cerveau lui donnait l'impression de chercher à en sortir par tous les moyens possibles. L'impression d'être passé sous un rouleau compresseur physique et mental. C'était l'inconvénient de mettre à distance les choses ; tout revenait plus fort ensuite. Et lui se sentait encore plus faible.

Il tressaillit quand elle se releva et s'avança vers lui. Et avança. Plus que quatre pas. Explosion de voix lui disant de partir, de l'éviter. Trois pas. Il se renfonça dans le mur, ne se sentant pas la force de s'en aller physiquement, refusant de laisser la place... Deux pas. Le monde tournait, sa tête tournait, son coeur tournait. Un pas. Si proche qu'il lui semblait sentir son souffle, sa chaleur ; le miracle s'était produit une fois, pas deux, il allait forcément disparaitre cette fois là et-
Bruissement de plumes, deux murs qui l'encerclent, l'enferment, vont l'étouffer. Ses deux ailes qui se rapprochent de lui et... le touchent, du bout des plumes. Contact doux et frais, légéreté qui effleure sa peau gelée et tendue, juste un frémissement qu'il sent se répandre sur tout son visage, effaçant en partie ce qui l'anesthésie. Plus mobile que les plumes avec lesquelles il se chatouillait étant enfant, plus imprévisible, plus volontaire. Contact, encore un.

Se faire toucher. Trop dur à intégrer, trop de risque. Mais tellement bon... Ou mauvais ?

Fin du contact, elle recula, il était libre. Greg se laissa glisser le long du mur, ses jambes ne le soutenaient plus. Trop de choses. Le choc, les sensations, les émotions, les blessures, les informations, trop de choses. Trop de bouleversements. Il n'allait plus pouvoir rester conscient très longtemps...
Finir cette conversation. Enregistrer les mots, y revenir plus tard, ne répondre qu'aux choses urgentes. Espérer qu'en arrière-fond, Hilfe et Schutz gérent les flux et choisissent bien le prochain locataire. Prier pour revenir ensuite.

Il la laissa parler, laissant les mots ruisseler sur lui et s'inscrire dans sa mémoire.

« Du calme, du calme. Ce n'est ni la première fois que l'on retrouve quelqu'un dans cet état ici, ni la dernière malheureusement. L'un des deux faisaient parti de l'antithèse, et l'autre était surement un sympathisant. Le Comité en prendra la responsabilité. Les deux qui étaient avec moi ne diront rien. D'une part parce qu'ils sont de chez moi, du club et que je leur fais confiance, et d'autre part qu'ils savent qu'ils n'ont rien à y gagner, et beaucoup à y perdre. Certes, ils ne sont pas à l'abri d'un viol mental, mais ils ne diront rien. Je camoufle cette vérité, mais je n'ai pas vraiment le choix.»

Antithèse. Ils avaient son nom. L'avaient filé exprès et tendu une embuscade. Puis l'avaient suivi malgré leurs blessures. Acharnement, ou ordre ? Est-ce qu'il était déjà un pion sur l'échiquier ?
Et Vika qui "camouflait la vérité". Qui pouvait donc mentir, malgré ses principes. Comment lui faire confiance alors ?
Et comment ne pas lu faire confiance, alors qu'elle aurait pu le toucher quelques secondes auparavant ?
Sa tête...

« Je précise bien que la balise est inactive si tu n'appuies pas dessus. Dans les bâtiments, je suis aveugle tant que tu ne m'appelle pas. Autant dire que je préférais avoir à le rester, le plus longtemps possible. Je suis la seule à posséder la carte radar, donc la seule à savoir que tu possèdes cette balise. De plus, mes corbeaux ne répondent qu'à moi-même. »

Il hocha la tête machinalement. Vrai ou non, il ne pouvait de toute façon rien y changer. Pas la peine d'insister. Il avait de toute façon déjà donné son accord.

« C'est la faille de ce petit gadget. Ce que je t'offre n'est pas une solution. Un sursis, tout au plus. Au risque de paraître brutale, le problème, c'est toi. De ce que j'ai ressentis, c'est quand quelque chose de trop fort, comme la colère, prends le pas sur ta raison, et tu laisses ta place à... autre chose?»

Coup au coeur. C'était toujours difficile de s'entendre dire ça, surtout quand c'était vrai. Encore plus dans cet état. Quant à son problème... Pas la cohérence pour l'exprimer, pas maintenant. Sa version suffirait pour l'instant. Il acquiesça, le monde tourna puis devint flou.

Hilfe, vite. Quelqu'un de non dangereux, qui a accepté la situation. Un humain. Peut-être un enfant, plus nature ; Vika aura moins de raison d'agresser son corps s'il se comportait de façon puérile..

« Ça m'est arrivé une fois. La plus amère des défaites. J'ai failli m'autodétruire, dans une folie meurtrière des plus totales.»

Il essaya de se concentrer. Il ne la voyait plus, mais sentait à sa voix que c'était important. Une faille. Une marque de confiance ?

« J'ai bien une idée, qui peut paraître stupide. Je ne suis pas une magicienne, une experte du fonctionnement de tous les monstres, mais s'il y a un truc dans lequel je m'en sors, c'est le contrôle de soi. Ce ne sera pas une solution miracle, car ce sera long, mais... j'aimerais que tu t’entraînes avec moi. Les arts du combat, sans parler de te transformer en guerrier, forge l'esprit comme le corps. Je ne compte plus le nombre d'élèves impulsifs devenu "disciplinés". Si tu contrôle ton corps et tes émotions, tu devrais pouvoir faire barrage à cet... autre chose non?»

Oui. Non. Peut-être. Il avait sa bibliothéque qui lui permettait de survivre. Un endroit de sécurité où paradoxalement il ne devait pas aller. Trop de chance de se faire attraper par son Monstre. Est-ce que c'était ce dont elle parlait ? Un endroit où classer les autres ?
Et contrôler son corps... Arts martiaux, hein ? Il eut un hoquet, trop fatigué pour vraiment rire. Lui qui ne pouvait pas s'approcher à moins de deux mètres de quelqu'un sans paniquer, combattre. Risible. Ridicule.

« Depuis ce jour, même si cela n'a rien à voir avec ma perte de contrôle, j'ai aussi un invité dans un recoin de mon esprit. Les premiers moments de cohabitation furent quelque peu... tendus. Et en poussa les limites de mes pouvoirs, ouvrant mon corps à mon esprit, j'ai fini par avoir un contrôle sur celui-ci. Il n'est pas encore très parfait, mais je peux m'y rendre. Jade, puisque c'est son nom, y vit maintenant depuis quelques mois, dans une maison que je lui ai érigée. Je ne te promets pas cela, tout du moins pas dans l'immédiat, car il m'a fallut des années de maîtrises. Mais, à défaut d'en avoir un contrôle total, tu pourras toujours endiguer tes émotions dangereuses.»

Il redressa la tête, essayant d'accommoder pour la distinguer. Il voulait être sûr qu'elle dise la vérité. Il voulait croire qu'elle disait la vérité. Qu'il pourrait gérer ça avec de l'aide.
Il ne la voyait pas. Juste une forme, blanche et noire. Impossible d'être sûr. Et pourquoi elle lui avouait ça ? Pourquoi lui révéler un point faible ?
Il voulait la croire. Voulait tellement. Encore plus alors qu'il se sentait partir...

Du coté de mes camarades d'école. Avant l'opération. Vérifiez qu'il ou elle soit au courant.

« Un endroit secret, et sûr, dont je suis la seule, avec le Directeur, à avoir accès. Un endroit où même une possible perte de contrôle ne serait pas un risque. Nous serions seuls, et je serais aussi la seule à pouvoir t'en faire sortir. Tu ne me tuerais donc pas, et je ne te ferais pas sortir si tu n'es pas toi-même. L'un dans l'autre, ça devrait fonctionner pour toi comme pour moi. Qu'en dis-tu?»

De l'aide. Elle lui offrait de l'aide. Se montrait vulnérable en le faisant. Des informations, un risque d'attaque physique. Trop beau pour être vrai, envie de pleurer. Pourquoi tout ça ?
Trouvé.
Il allait repartir en arrière fond dans quelques secondes. Et malgré toutes ses réflexions, toutes ses peurs, il ne voulait lui demander qu'une chose.

-Pourquoi ? Pourquoi tout ça pour m'aider ?

Il n'entendit pas la réponse, passant le relais à qui viendrait ensuite. Tomber en arrière, redisparaitre, espérer.

Linda reprit ses esprits. La fille en face d'elle parlait, mais elle ne faisait pas attention à ce qu'elle disait. Elle aurait dû parce que c'était sûrement intéressant, mais ça lui faisait trop bizarre de revenir dans un corps. Avec de l'air qui rentrait par son nez et ressortait, et des doigts qu'elle pouvait bouger. Et puis elle avait mal un peu partout, et froid en haut parce qu'elle était mouillée, et dans le dos mais elle ne savait pas pourquoi.
Quand la fille arrêta de parler, elle la regarda dans les yeux - c'était difficile de ne pas regarder ses grandes ailes - et lui fit un sourire désolé. Il allait falloir faire avec elle, désolée.

"Trop dur, Greg a laché. Il reviendra pas tout de suite, ça fait trop d'un coup."

Elle se redressa tout doucement, essayant de garder l'équilibre. Elle n'avait pas l'habitude d'être si grande. La dernière fois qu'elle avait bougé dans ce monde, elle devait se mettre sur la pointe des pieds pour boire au lavabo. Et puis son corps était bizarre, pas comme le sien. C'était ça être un garçon ? Elle pouvait faire pipi debout ?
Elle verrait ça plus tard. Pour l'instant, elle se sentait juste trembler, enfin sentait le corps trembler. Hilfe lui avait dit que ça risquait d'arriver, qu'il fallait vite trouver un endroit où se reposer avant de tomber par terre et de ne plus pouvoir bouger.

"On a besoin d'un endroit où dormir. Greg a dans sa chambre quelqu'un, pas vraiment un copain même si c'est pas loin, mais quelqu'un, alors se reposer là-bas ça sera dur. Où est-ce qu'on peut aller, et être sûr d'être en sécurité ?"

Comme elle pouvait s’y attendre, le contact de ses plumes n’était pas dangereux. Même si elle avait réussi à lui foutre les miquettes en s’approchant. Voilà qui ne serait pas facile. Mais faisable. Ils retombèrent tous deux au sol, éreinté l’un comme l’autre. Elle observa chacune de ses réactions alors qu’elle parlait, ne sachant trop quoi en penser. L’écoutait-il vraiment ? Il semblait la et ailleurs à la fois. Son aura clignotait plus vite que jamais. Elle avait eu confirmation sur son pouvoir de la part de l’interessé, mais n’expliquait pas la soudaine disparition de Greg, qu’elle perçut et comprit avant que Linda n’intervienne. Elle se tendit, ne sachant si elle aurait à se battre, mais le nouvel hôte du corps ne semblait pas hostile. Devait-il lutter en permanence pour le contrôle de son esprit ? Une concentration trop forte finissait-elle par le forcer à lâcher prise ? Toujours est-il qu’elle n’avait plus Greg devant ses yeux, mais quelqu’un d’autre. Elle espérait qu’il soit parti sur une bonne impression, bien qu’elle ne pouvait en être sure. Sa dernière question, presque implorante, l’avait surprise. Quand quelqu’un avait besoin d’aide, on l’aidait, et puis c’est tout. Et si elle l’aidait, elle rendait aussi le lycée plus sûr, et la vie de Greg plus « facile », si le mot était permis. Son nouvel interlocuteur confirma son départ, et lui indiqua qu’il devait se reposer. C’était bien sa veine, elle en pesta intérieurement, car elle se pensait proche du but. Mais ce rebondissement lui offrait d’autres perspectives. Elle répondit dans un allemand hésitant, ne pratiquant plus tellement cette langue depuis qu’elle vivait au japon. Vika espérait qu’il reprendrait un japonais, qu’elle parlait mieux, maintenant.

« Je vois. A qui ai-je l’honneur en ce cas ? Si je ne pouvais toucher Greg, est-ce que je peux le faire avec toi ? S’il m’entend encore, ou si tu peux lui parler, dis lui « A-t-on besoin d’une raison pour aider quelqu’un ? », et que je prendrais soin de toi en attendant son retour.»

Le nouveau venu semblait docile, et pas hostile du tout, ce qui était un bon point. On aurait dit un gosse, tout heureux de vivre. D’un côté, ce serait plus facile pour elle, car on l’écouterait et ne discuterait pas tout ce qu’elle disait. Vika allait pouvoir en profiter pour abattre certaines cartes sans qu’on puisse les lui contrer. Elle ne connaissait rien de particulièrement sécurisé au lycée. Elle se considérait comme sa propre sécurité, et plus grand monde ne venait lui chercher des noises de toute façon, alors elle n’avait jamais vraiment cherché. Mais ce n’était surement pas ce que le nouveau venu recherchait, la protection.. Ne lui restait qu’une seule option, en vérité. Elle nota la façon de s’exprimer du « locataire », qui n’avait pas dit je de toute sa tirade, confirmant implicitement que l’esprit de Greg n’abritait pas que lui et un tueur, mais bien une myriade d’esprits. Tous ceux qu’il avait touché ? Cela expliquerait la sensation d’aspiration à son contact. Lutter contre un parasite était déjà éreintant, il devait surement déployer une énergie monstrueuse à se défendre en permanence. Elle n’osait imaginer ce qu’il pourrait faire avec celle-ci quand il se sera maitriser lui-même.

« Suis moi, on va trouver ça.»

Ils, ou plutôt elles, traversèrent plusieurs pièces du dojo, petit détour pour retourner au bureau. Mais cela permit à Vika d’attraper le nécessaire pour tenir un siège. De quoi manger, une serviette qu’elle lui tendit immédiatement pour se sécher, une paire de gants, et de prévenir son lieutenant. En cas de problème, il irait trouver Naessala dans son bureau, qui la contacterait, elle, le contact télépathique se faisant à travers les kekkais. Enfin, Vika demanda à ce que Jim soit amenée dans son bureau, sous la garde de Naessala. Elle l’emmènerait ici aussi. Elles terminèrent leur périple là où il avait commencé, et Vika marmonna une brève incantation alors qu’elle activait le portail. Une fenêtre bordée d’éclair s’ouvrit alors les toilettes, dévoilant un genre de prairie, où seule dépassait une maison traditionnelle japonaise. Leur pied à terre. Le soleil y brillait fort, comme toujours. Il ne faisait pas nuit dans cette zone du kekkai, c’est pour cela que la plupart des monstres évitaient cet endroit, protégé par un bouclier de surcroit. La plupart sauf Zaelfyr.

« On sera à l’abri dans la maison, et tu pourras te reposer. Entre, je te suis, je dois passer en dernier pour refermer la porte, et être sure que personne ne nous suit.»

Cette maison, c’était la sienne. Elle avait eu le droit de la construire pour ses entrainements longs, et le proviseur l’avait même faite protéger par un bouclier. Lui-même semblait s’y rendre de temps en temps, avait noté l’animorphe. Il y faisait toujours chaud, et beau. Vika aimait beaucoup cet endroit, il respirait le calme et la sérénité. En général. Le portail les matérialisa quelques mètres devant la porte de la bâtisse, et Vika le referma, se coupant ainsi du lycée.

L’intérieur ressemblait à son bureau, sobre et simple. Quelques cadres de grand maitre, quelques-uns de sa famille, des tableaux d’oiseaux. Des couleurs claires. De toute façon, elle n’avait pas besoin de beaucoup de chose ici. Une cuisine, des toilettes et un endroit où dormir. Elle posa Sanguine sur le présentoir à l’entrée, comme à chaque fois qu’elle entrait ici, et parti installer deux couches dans la pièce principale, où il faisait la meilleure température. Elle-même ne cracherait pas sur un petit peu de repos, bien qu’elle ait déjà beaucoup récupérer, mais elle devait attendre Jimena, et discuter avec elle, et terminer ce qu’elle avait affaire avec Greg avant quoique ce soit. Mais Linda était libre de dormir si elle le souhaitait.

« Si tu as encore froid, je peux t’allumer un feu –pointant l’âtre qu’elle s’était permise de rajouter dans la maison, souvenir de sa terre natale- ici. Repose toi un peu ou visite, mais ne t’éloigne pas trop, au de la d’un certain point, la zone n’est plus très sûre.»

Pour peu que Zaelfyr soit dans un mauvais jour, si Greg, tout du moins, son hôte laissait un peu trop trainer son odeur dans la zone, ce vieux grigou serait capable de rappliquer, et Vika n’avait pas envie de l’affronter encore une fois. Lui prenait ça comme un jeu, maintenant, ayant compris que l’animorphe était plus forte, mais qu’elle ne le tuerait pas. Il prenait un malin plaisir à venir l’embêter au moment le plus inopportun. Et le moment actuel correspondait parfaitement à la description d’inopportun. Mais elle avait le temps de souffler un peu, et de manger un brin.

Vika était drôle. Elle la regardait bizarrement, et elle parlait aussi bizarrement, comme si elle avait quelque chose dans la bouche qui l'embêtait. Et puis elle avait des jolies ailes, elle l'aimait bien.
Mais elle lui avait parlé avant, même si elle n'avait pas fait attention. Elle était presque sûre qu'elle parlait de la toucher. Et puis de Greg aussi.

"Non, on me touche pas, pas le droit. Et Greg va revenir après si tout va bien. J'espère qu'il ne va pas rester coincé quand même, ça serait bête, mais en attendant c'est moi qui reste. Et moi c'est Linda. Lin-daaaaa. Tu vas arriver à le dire correctement ?"

Linda la suivit hors des toilettes en marchant douuuucemeeeeent. Parce que c'était pas facile de bouger avec ce corps, et que ça lui faisait mal quand elle s'appuyait trop sur une jambe. Et en plus, elle voulait tout regarder. L'endroit était bizarre. Certains des murs étaient en papier ! Comme dans les livres ! Elle aurait bien voulu le toucher pour voir si elle pouvait faire un trou, mais Vika l'aurait sans doute grondé alors elle garda ses mains pour elle. Pas touche, comme disait maman. Et en plus on lui avait dit de ne rien toucher sans gants, alors non !

Vika la fit attendre quelques secondes devant une porte. Linda attendit sagement, debout, espérant ne pas croiser quelqu'un ou faire une bêtise. Parce qu'elle ne savait pas trop ce qu'elle devait faire là, Hilfe lui avait juste demandé si elle voulait bien aider Greg - bah oui il était gentil - et ensuite dit de suivre Vika et de faire attention à elle. Elle ne savait pas trop si le "elle" c'était Linda ou Vika, mais dans tous les cas elle ferait gaffe. Parce qu'elle était gentille, et que Vika aussi était gentille. La preuve, c'est qu'elle venait de lui ramener une serviette pour s'essuyer - elle avait froid aux oreilles avec ces cheveux cours - et même des gants.

Et puis elle repartirent dans les toilettes. Au moins, c'était des toilettes normales, comme à l'école ou à la maison. Sauf que Vika dit quelque chose et que un trou dans le monde apparut, comme un tableau dans le vide qui serait devenu vrai. Elle lança un regard émerveillée à la femme ailée : c'était magique ! Pour de vrai ! Trop bien ! Dans le trou, on aurait dit une maison de conte de fée, mais sans les sucreries. Plutôt comme si on l'avait faite avec du papier et du bois, mais quand même merveilleuse. Et du soleil, plein de soleil, avec un ciel tout bleu comme en été.

« On sera à l’abri dans la maison, et tu pourras te reposer. Entre, je te suis, je dois passer en dernier pour refermer la porte, et être sure que personne ne nous suit.»

On pouvait vraiment rentrer ? Vraiment ? Elle tendit une main vers le trou, s'attendant à moitié à toucher quelque chose, mais elle passa à travers. Le soleil lui chauffait la main. C'était vraiment vrai. Elle entra dans le trou en entier, faisant juste attention à ne pas tomber de l'autre coté. Peut-être qu'on ne pouvait pas se faire mal ici, mais elle ne voulait pas vérifier. Ca sentait bon, comme la campagne quand on l'avait emmené. C'était chaud.

Elle entendit un petit pouf derrière elle, et Vika la dépassa et alla ouvrir la porte. Linda jeta un coup d'oeil derrière elle : plus de trou. Bah, c'était pas grave, Vika pourrait le rouvrir en disant son mot magique. Pour le moment, elle voulait juste la suivre et voir comment c'était dedans.

Dedans c'était... vide. Adulte. C'était joli, mais y'avait pas de couleurs et pratiquement pas de choses. Et tout rangé.

-C'est ta maison ? Tu vis là ? Elles sont où tes affaires ?

La femme posa son ... épée ? et puis elle sortit de la pièce. Linda vérifia qu'elle était sortie avant de s'approcher du truc à coté de l'entrée. C'était lourd, et tranchant, pas comme les épées qu'elle imaginait dans les contes de fées. Et puis c'était gros, et ça ne brillait pas. Un gros bout de métal avec une jolie poignée. Une épée de grand ? Elle frissonna un peu, mal à l'aise. Si tout était tout beau, pourquoi est-ce qu'on avait besoin d'une épée ?

Du bruit dans la salle où était allée Vika ; elle reposa l'épée et s'éloigna, se frottant les mains sur sa veste. C'était pas elle, elle avait rien fait ! Mais personne ne vint la voir finalement. Elle jeta un dernier regard à l'épée et alla voir ce que faisait Vika.
Elle... elle mettait des gros matelas par terre. Est-ce qu'elle n'avait pas de lit ici ? C'était vraiment sa maison, ou elle ne dormait jamais ? Peut-être que les oiseaux ne dormaient pas après tout, sinon ils tomberaient de leur branches et on les retrouverait par terre le matin. C'était logique. Mais alors il était pour qui le deuxième matelas ?

« Si tu as encore froid, je peux t’allumer un feu ici. Repose toi un peu ou visite, mais ne t’éloigne pas trop, au de la d’un certain point, la zone n’est plus très sûre.»

Une cheminée. Est-ce que Saint Nicolas venait ici alors, jusque dans les contes de fées ? Et si on y mettait un feu, est-ce qu'il se brûlerait les fesses ?
Pas de feu alors. Mais elle avait froid quand même, surtout au dos. Et en plus, elle était sale : quand elle s'était essuyée les mains sur la veste, elle s'était mis du rouge partout. Ca devait être du sang, Greg avait dû se blesser avant et c'était pour ça qu'il était parti se reposer.

"J'ai froid au dos surtout. Et sur la tête, mais ça doit être l'eau. Par contre, je vais salir ton matelas si je m'allonge, je suis toute sale. Est-ce que je dois me laver ? "

Linda avait faim, soif, sommeil et envie de se laver. Et de faire pipi aussi. Par quoi est-ce qu'elles allaient commencer ?

"On fait quoi maintenant ?"

Vika sourit. Linda était rafraîchissante. Elle hésitait à lui poser des questions sur ce qu'elle savait des pouvoirs de Greg, mais elle estimait que c'était à l'intéressé de répondre et lui avouer ce qu'il souhaitait, et pas à elle d'extorquer ça à ce qui ressemblait beaucoup à une jeune enfant. Alors elle se limita à ce que Linda lui demandait.

« C'est un peu ma maison, mais je n'y viens que rarement, et j'y vis encore moins. Mais il y a ce qu'il faut pour y rester un moment, si je le voulais. Ma vraie maison est loin, loin très loin d'ici. Il y a plein de gens comme moi, des oiseaux, plein de différents ! Moi je suis corbeau, mais il y a aussi des aigles, des pigeons, des hérons ou des cygnes, des vautours et des mouettes. »

Elle cacha les différences de caste que cela impliquait, soupirant tristement. Elle s'était assise sur l'une des couches, s'attendant à ce que Linda fasse de même, mais elle semblait se soucier de la propreté du matelas. Comme si cela importait vraiment. Cela dit, le corps de Greg aurait bien besoin d'un coup de savon.

«Hum, te laver, ça peut-être une bonne idée. Surtout que c'est loin d'être désagréable ici. Une amie de Greg va bientôt venir, tu iras donc te laver en attendant. -elle hésita un peu sur la question suivante- Tu peux le faire toute seule?»

Toujours est-il qu'elle lui montra sa salle de bain. A savoir, une source chaude. C'est assez pratique, de pouvoir modeler son monde à sa guise. Vika n'en avait pas demandé autant, mais elle était bien contente que le proviseur se soit permis cette fantaisie. L'eau chaude était parfaite pour se recentrer et se concentrer. Si l'animorphe devait aider Linda, elle le ferait, même si elle était un peu gênée de faire ça avec le corps d'un garçon. Et Jim ne devrait pas tarder à arriver.

« Je vais chercher l'amie de Greg. Si tu as besoin de quoique ce soit, appelle moi, je ne serais pas très loin. Quand tu seras sortie, tu pourras manger un peu si tu as faim, ou te balader si tu ne t’éloignes pas. Mais avant de faire quoique ce soit préviens moi, que je sache où tu es.»

Elle retourna dans la maison, ouvrit le portail, sachant Jimena dans son bureau, en train d'attendre. Les ordres étaient de l'y amener et de la laisser à la garde de Naessala, si bien que ses hommes ne savaient pas où Vika était en réalité.

« Viens avec moi, Jimena. Gregory, ou, tout du moins, Linda, est ici aussi. On sera en sécurité et on pourra parler tranquillement.»

Elle lui fit signe de s’asseoir sur un des matelas, n'ayant pas grand chose de mieux, en fait.

« Bon, avant toute chose, ça va toi? Tu n'as rien? J'aimerais aussi ta version des choses. Gregory ne m'a pas raconté grand chose, en fait, et il a fini par lâcher prise, et c'est Linda, une enfant je crois, qui a pris sa place dans la maîtrise de son corps. Elle ne devrait pas tarder à sortir du bain, d'ailleurs. Oh, et, ne t'en fais pas. J'ai plus ou moins compris ce qui s'était passé, toi et lui ne risquez rien, c'est le comité qui endosse la responsabilité de l'affaire, et vos noms ne seront pas cités. Évitez donc de raconter tout ça n'importe où, même si je doute que ce soit dans tes projets.»

La tête lui tournait encore un peu. Ou alors c'était le corbeau qui tanguait. Après mûr réflexion elle se dit que ça venait d'elle. L'infirmière l'avait pourtant soignée. Pourvu d'un bandage sur la tête et ayant avalé quelques médicaments, à la sortie de l'infirmerie elle se sentait plutôt bien, enfin mieux, sur le plan physique. Elle avait insisté pour ne pas avoir d'examens supplémentaires, elle allait bien, c'est tout. Maintenant elle attendait qu'on vienne l'interroger sur ce qu'il s'était passé. Dans un bureau gardé seulement par un corbeau. Bon il était clair que Jimena n'était pas du genre à prendre la fuite en de pareilles occasions mais tout de même. Tout de même quoi ? Hein ? Mais à quoi pensait-elle...

Il fallu toutes les peines du monde à la petite brune pour se recentrer dans ses pensées. Tout était plus ou moins brouillon, plus ou moins flou, et sa tête se remettait à lui faire mal. Bon aller, un peu de courage, c'était pas le moment de craquer. On ne tarda pas à venir la chercher. Vika venait de revenir et lui demandait maintenant de la suivre. Greg/Linda y était aussi. Et ils pourraient tous parler tranquillement. Euh... Linda ?

Elle se releva et sans rien dire la suivit. Elle estimait que ce n'était pas le bon endroit pour poser ses questions sur « Linda ». Et de toute façon c'était elle qui allait être interrogée, pas l'inverse. En y repensant elle n'avait pas du tout préparer ce qu'elle allait dire. Aurait-elle du ? Non, il était inutile de mentir, elle allait simplement lui raconter ce qu'elle avait vu, ce qu'elle avait compris de tout ça.

Elle n'avait pas vraiment comprit le changement de « monde ». C'était bizarre, le temps était différent, tout était plus calme, et y'avait une maison... On l'invita à y entrer et même à s'asseoir sur un matelas, ce qu'elle fit sans broncher. Elle n'était plus à ça prêt maintenant. Et puis flemme de réfléchir. Peut-être aurait-elle du se reposer avant de venir, au moins un peu. Histoire d'avoir les idées clairs. Tant pis.

« Bon, avant toute chose, ça va toi? Tu n'as rien? J'aimerais aussi ta version des choses. Gregory ne m'a pas raconté grand chose, en fait, et il a fini par lâcher prise, et c'est Linda, une enfant je crois, qui a pris sa place dans la maîtrise de son corps. Elle ne devrait pas tarder à sortir du bain, d'ailleurs. Oh, et, ne t'en fais pas. J'ai plus ou moins compris ce qui s'était passé, toi et lui ne risquez rien, c'est le comité qui endosse la responsabilité de l'affaire, et vos noms ne seront pas cités. Évitez donc de raconter tout ça n'importe où, même si je doute que ce soit dans tes projets.»

Trop. D'informations. Elle en avait trop dit en même temps. Bon, déjà, première partie, dire qu'elle allait bien.

« Ca va oui. »

Seconde partie, Greg, Gregory, Linda. Lâché prise. Une enfant. Les idées s'éclaircissaient lentement dans sa tête. OK, donc Greg n'était plus vraiment lui-même, mais une enfant du nom de Linda avait prit sa place. Peut-être que c'était ce « elle » dont Greg lui avait parlé. A bien y réfléchir si c'était une enfant... Non, ou alors il avait plusieurs « elle » dans sa tête. Etait-ce seulement possible ?

Ne rien dire à personne, le Comité se charge de tout. En gros, c'est ce qu'elle avait comprit de la dernière partie de sa tirade. Elle était rassurée, Greg n'aurait rien. Et elle non plus. Comme si tout était normal. Elle trouvait étrange que tout soit réglé aussi vite. Ce qui n'était pas pour lui déplaire évidemment, mais que Vika, en si peu de temps, discrédite Greg, sans même que Jimena n'ait rien dit, elle trouvait ça étrange. Peut-être avait-elle d'autres informations. Bon, c'était à son tour de parler. Dire tout ce qu'elle savait. Tout ce qu'elle avait vécue ? Du début alors ?

« Bah... Greg se faisait tabasser par deux gars, je suis intervenue pour qu'ils arrêtent. On s'est enfuis, caché dans le... La cabane. J'ai du soigner Greg parce qu'il était bien amoché. Il avait affreusement peur que je le touche, mais il avait une grosse blessure dans le dos alors j'ai pas eue le choix, je l'ai soigné avec les moyens du bords, j'ai trouvé une boîte avec des pansements et du désinfectant. Il m'a fait un peu confiance et je l'ai pas touché... Puis comme il avait mal je suis allé chercher une boite de médicaments à l'infirmerie, je l'ai volé parce que si j'avais ramené l'infirmière elle l'aurait sûrement touché, ce qu'il redoutait par dessus tout. Alors je l'ai volé et je l'ai donné à Greg. Et ils ont finit par nous retrouver et.... Trou noir. J'ai finit par me réveiller en dehors de la cabane. Y'avait du sang par terre, du sang sur Greg et moi je.. Il m'a interdit d'ouvrir la porte. Alors je l'ai pas fait et on est partie jusqu'à ce qu'on nous... Arrête. »

Elle avait tout déballé comme si Vika n'avait plus été là, et qu'elle était seule, s'avoue à elle même ce qu'elle venait de vivre. Relevant les yeux, elle se rendit compte que Vika la regardait toujours. Elle se rendit compte que son récit devait lui paraître un peu décousue, qu'elle n'avait peut-être pas été très clair sur certains points et qu'au contraire elle aurait pu en taire d'autres, notamment le vol de médicaments. Mais ce qui était dit était dit, elle aurait peut-être droit à des remontrances mais tant pis. Elle enchaîna ensuite avec ce qu'elle pensait qu'il s'était passé :

« Je crois pas que Greg... Soit le fautif de ce qu'il s'est passé là-dedans je.. Je pourrai pas l'expliquer mais il a parlé d'une fille, il a dit que c'était elle qui avait agit. Enfin tu dois bien être au courant, tu as parlé d'une certaine Linda qui avait prit la place de Greg dans son corps. Tu dois probablement en savoir plus que moi... »

Une maison pleine de gens à moitié oiseau... Ou même une ville ? Avec des cygnes, des moineaux, des poules, des canards, des zéros, des corbeaux, des pigeons, des... des... des perroquets ! Est-ce qu'ils avaient des vraies maisons, ou des nids dans les arbres ? Parce que Vika était grande, et elle n'avait encore jamais vu de nid assez grand pour elle. Surtout si on y mettait toute une famille.... Linda réfléchissait en suivant Vika dans la maison. Maintenant qu'elle lui avait parlé de ça, elle ne pouvait pas s'empêcher de chercher dans la maison un perchoir, ou des oeufs. Des trucs d'oiseaux, quoi. Pour le déjeuner, est-ce qu'elle mangeait des graines ? Ou des vers ? Beurk...

Mais elle arrêta d'y penser quand Vika lui ouvrit une porte. Derrière, il y a avait de l'eau qui coulait dans le creux d'un rocher, et plein de fumée au dessus. Mieux qu'une baignoire, comme une mini-piscine. Chez elle, elle n'avait qu'une douche et cela faisait longtemps qu'elle ne rentrait plus dans la petite baignoire que sa maman utilisait pour laver sa petite soeur. Alors ça rien que pour elle ! C'était génial ! Un sourire aux lèvres, elle commença aussitôt à enlever ses chaussures crasseuses sans les dénouer – elle ne savait pas encore bien attacher ses lacets. Mais même si Linda était petite, elle savait se débrouiller toute seule, et c'était même pour ça qu'elle avait refusé l'aide de Vika pour se laver avant. Elle n'était pas un bébé, elle !

« Je vais chercher l'amie de Greg. Si tu as besoin de quoique ce soit, appelle moi, je ne serais pas très loin. Quand tu seras sortie, tu pourras manger un peu si tu as faim, ou te balader si tu ne t’éloignes pas. Mais avant de faire quoique ce soit préviens moi, que je sache où tu es.»

Elle hocha la tête sagement. Elle ferait attention, oui. Mais d'abord, se laver ! Elle se sentait sale avant, mais maintenant qu'elle voyait l'eau fumante, elle avait envie de se gratter partout.
La porte à peine rabattue, elle ôta tous ses vêtements, peinant juste à ouvrir la chemise bizarrement serrée sur son corps et les laissa en tas par terre, à coté des chaussures. Elle se rua vers l'eau, se laissant tomber dedans plus qu'y pénétrant... et poussa un petit cri. C'étai chaud ! Et le fond était en caillou !

Mais c'était bon, elle sentait tous ses muscles se détendre, comme s'ils fondaient. Son dos se réchauffait presque partout, et ses jambes ne tremblaient plus. Elle inspira un grand coup, se pinça le nez et mit la tête sous l'eau comme pour plonger.

C'était drôle. Elle faisait ça lorsqu'elle était toute petite à la piscine, se laissant flotter dans l'eau, toute molle, comme une méduse, avec ses longs cheveux bruns qui allaient partout comme des tenten... tenquen... comme les bras de la méduse. Et puis elle regardait la lumière rentrer dans l'eau bleue et faire plein d'éclats blancs qui bougeaient et sautaient partout. Sauf que maintenant, elle avait les cheveux courts et qu'ils flottaient plus. Et que y'avait presque pas de lumière, et que l'eau était pas bleue, non; mais plutôt...rose ? Rouge autour d'elle ?

Elle sortit la tête de l'eau vite et se sortit du bain, se faisant mal aux genoux sur le bord de pierre. Oui, l'eau était devenue rose foncé, comme de la grenadine, alors qu'elle était claire avant. C'était aussi de la magie ? Non, Vika elle l'aurait dit. Ca devait pas être ça.
A l'école, la maitresse avait montré que quand on mettait un truc rouge, comme de l'encre ou du ketchup avec du blanc, ça faisait du rose. Est-ce que c'était elle qui avait amené du rouge dans l'eau ? Elle avait eu du rouge sur les mains tout à l'heure en touchant la veste, non ? Et si c'était du sang ? Et si son corps s'était fait très très mal et que personne ne l'avait soigné ? Et s'il tombait et que personne n'était là pour appeler les pompiers ?

Elle était trop petite pour régler ça, elle ! Elle avait besoin d'un grand, ou d'une grande !

-Vikaaaaa ?

Mais Vike n'écoutait pas, ou elle faisait autre chose de plus important, et Linda restait toute seule. Elle avait peur, mais elle ne voulait pas pleurer, parce que sinon c'était faire le bébé et Linda voulait bien être une petite mais pas un bébé. Et puis pleurer quand personne ne peut venir demander pourquoi, ça ne sert à rien.

Alors elle commença à regarder ce corps si étrange, regardant si quelque part elle trouvait une blessure. Elle avait plein de bleus, de verts et de violets sur le ventre et les bras et les jambes. Et des écorchures aussi, mais elle s'en était fait en jouant à chat et ça ne saignait pas beaucoup. Par contre il y'avait plein de vilaines marques plus pâles ou foncées , mais c'était vieux. Ca comptait pas. Alors ça voulait dire que si elle saignait encore, c'était là où elle pouvait pas voir. Le dos, ou la tête. Et elle voyait pas de miroir...

Elle se rapprocha de l'eau qui était redevenu plus clair, et regarda le visage à la surface. C'était très bizarre de voir que c'était pas le sien – elle, elle avait des cheveux longs et des yeux bleus et des tâches de rousseur – et elle avait envie de voir ce qu'elle pourrait faire comme grimace avec, mais pas maintenant. Encore des écorchures comme si ses joues avaient embrassé le béton, et puis un peu de bleu, mais rien d'autre. Mais avec ses grosses cernes, on aurait dit un panda... Elle gonfla les joues comme les ours des livres, sourit devant la tête qu'elle faisait dans l'eau avant de regarder autour d'elle, pour être sûre que personne l'avait vu faire.

Alors le dos ? Elle chercha à se toucher tout le dos, mais c'était dur avec des bras pareils, trop longs, et les épaules qui faisaient mal. Elle ne sentait rien de bizarre avec ses doigts, sauf qu'à un endroit c'était tout froid, comme un glaçon. Et puis à cet endroit, magie ! Elle sentait plus ses doigts, même si elle chatouillait. C'était bizarre, mais pas une blessure, puisqu'elle avait pas mal. De la magie encore ?

Elle retourna dans l'eau tout doucement, regardant de quelle couleur elle devenait. Mais l'eau restait transparente, juste un peu rose par moment. Alors ça ne devait plus saigner, c'était pas grave ? Elle s'assit dans l'eau, commençant à jouer à faire des vagues. En agitant les mains, elle pouvait faire bouger l'eau, en haut, en bas, en haut, en bas...Presque jusqu'au bord, presque jusqu'à faire déborder le bain.

Mais elle ne le ferait pas. Parce qu'elle était sage. Et gentille aussi. C'était pour ça que Hilfe lui avait dit qu'elle pouvait sortir. Et c'était pour ça aussi qu'il y a trèèèès longtemps, elle avait décidé de jouer à la ronde avec Gregory, le petit garçon du fond de la classe qui faisait des choses bizarres et qui était des fois très grand et des fois très petit. Elle avait bien fait, parce qu'après elle était devenue son amoureuse, parce qu'il aimait tous les deux les rondes, et les dessins, et les bonbons à la fraise. Mais c'était il y a très longtemps, avant qu'elle reste coincé dans le coeur de Gregory, et puis qu'elle dorme, et puis qu'elle revienne. Très longtemps.

Maintenant, elle était dans le corps du grand Gregory. Un corps de garçon – elle jeta un oeil entre ses cuisses et rougit, se demandant comment on faisait pipi avec ça. Un corps qui avait mal partout, mais qui devait être tout propre. Elle ne salirait pas le matelas pour dormir. Elle arrêta de faire des bulles dans l'eau, et sortit.
Sauf que... elle n'avait rien à se mettre, à part les vêtements pleins de crasse qu'elle avait otés avant de sauter à l'eau. Ca ne servait à rien de prendre un bain si c'était pour se resalir ensuite. Elle n'allait pas remettre ça, ça serait bête.

-Vika ?

Toujours rien.
Elle lui avait bien dit qu'elle avait le droit de sortir et se balader une fois finie ? Elle pouvait aller la chercher alors ? Elle avait le droit ? Elle s'essuya, mit la serviette autour de sa taille et sortit de la pièce. Vika aurait sans doute des vêtements propres à lui donner. Une robe lui irait très bien.

Dans la salle centrale, elle retrouva Vika en train de parler avec une jeune fille bruna. Elles parlaient une drole de langue qu'elle comprenait presque, mais elle ne voulait pas écouter ce que les grands disaient. Ce n'était pas bien. Et pas poli.

Elle attendit donc que la jeune fille finisse de parler pour demander timidement à Vika : "Vika ? J'ai froid... Est-ce que tu aurais des vêtements propres ? S'il te plait ?"

Hrp- on m'a enlevé la moitié de mon rp ! Vilain gregou ! J'ai un peu la flemme de le refaire en fait u_u.

Je présentais donc Linda à Jim et inversement, en l'envoyant s'habiller puis dodo !

Oui, elle n'avait vraiment pas l'habitude des enfants. Elle ne savait pas ce que c'était que de lâcher une gamine dans la nature. Vika allait surement l'apprendre à ses dépends. Le beau temps extérieur, qui tranchait avec le début de printemps maussade qu'ils avaient au lycée, leur ferait surement du bien. Le soleil était toujours chaud ici, et elle espérait que cela leur réchaufferait un peu le coeur. Elle reprit sa conversation avec Jim pendant que Linda s'habillait.

« Je pense, de ce que j'en ai compris, qu'un contact avec sa peau nue entraîne l'aspiration de l'esprit de celui qui le touche. J'ignore si c'est mortel, ou si c'est une copie. Mais c'est extrêmement puissant. Pour t'avouer, j'ai pu le toucher, mais le temps de quelques secondes, tellement la puissance de ce pouvoir est monstrueuse. En cas de trop grosse émotions, ou concentration, Gregory ne parvient plus à se maintenir au contrôle de son corps, et laisse la place à quelqu'un d'autre. J'ignore les raisons qui poussent telle ou telle personne à sortir, si ce sont les émotions, ou la puissance de ces esprits la, mais, il y en a plusieurs, c'est sur. Nous avons donc Linda, et cette "Elle". Et le pire, dans tout ça, c'est que Greg, même s'il n'est plus aux commandes, assiste en spectateur à tout ce que les esprits font avec son corps. Impuissant.»

Et l'impuissance est une chose terrible. C'était bien l'une des rares choses qui lui faisait peur. C'était surement pour ça qu'elle s’entraînait sans relâche, maintenant. De beaucoup de chose dépendait maintenant sa propre force. Elle ne pouvait plus se permettre d'être impuissante. Son impuissance, c'était la mort. La sienne, ou de gens qui se trouvaient sous sa protection. Et elle se trouvait encore trop impuissante pour son rôle.

« C'est fâcheux que tu n'en saches pas plus. Il faut maintenant attendre le retour de Gregory pour en savoir plus. Car je dois avoir le fin mot de l'histoire. Et il ne partira pas d'ici la. Je vais le prendre sous mon aile, de toute façon. Je dois faire en sorte que cela n'arrive plus. »

C'était pas le bon moment visiblement. Vika fit un instant une drôle de tête avant de faire un sourire. Elle montra du doigt la fille brune à coté d'elle.

« Linda, voici Jimena. L'amie de Greg qui était avec lui avant de venir me voir moi. Et oui, je dois avoir des vêtements, même si je doute que ça colle réellement avec ce corps.

Elle acquiesça en regardant la nouvelle fille. Elle avait des cheveux marrons tout raides et un nez pointu. Et l'air un peu perdue aussi. Et la bouche grande ouverte. C'était une amie de Greg ? Celle qui était avec lui avant ? Alors c'était elle qui avait dû le soigner pour qu'il ne saigne plus. Une magicienne ?
Vika regarda Jimena en parlant dans cette autre langue bizarre, qu'elle comprenait presque. Elle entendait les sons, entendait des mots bizarres mais elle comprenait vaguement le sens, comme si on lui soufflait dans sa tête. Elle disait son nom, disait qu'elle n'avait pas fait de bêtise, et qu'il y avait des gens dans la tête de Gregory ? Non ?

Et puis la fille-corbeau sortit, en laissant Linda toujours avec sa serviette et la fille qui la regardait toujours bizarrement. Pourtant elle était propre, et elle n'avait rien sur le visage ? Elle vérifia quand même d'une main, mais non tout allait bien. Mais elle se sentait mal à l'aise à être regardée comme ça. En parlant, ça irait mieux. Ca allait toujours mieux, même si la maitresse n'aimait pas ça.

Elle balbutia quelques mots avant de se rendre compte que non, elle ne savait pas comment parler à la fille. Elle ne connaissait que l'allemand, elle ! Elle avait bien vu quelques mots en anglais et français à l'école, mais est-ce que c'était utile ? Mais d'un autre coté, qu'est-ce qu'elle pouvait faire d'autre ? A part regarder ses pieds, y'avait rien à faire, et elle sentait qu'on la regardait toujours. C'était dur.
Elle avala sa salive et commença : "Bonjourhello, mon nom is Lindaaaaaaaa. Merci you..." Plus de mot. Pourquoi est-ce qu'on n'apprenait pas des choses vraiment importantes à l'école, plutôt que les chiffres et les lettres ?
Alors elle se passa une main dans le dos et fit un tour sur elle-même, pour montrer à Jimena. Parce que c'était vraiment gentil de l'avoir soigné, et que ça devait être grave avant, mais qu'elle ne savait pas comment la remercier. Surtout qu'elle avait même plus mal, alors que ça devait être de la magie et que.. De la magie ?
"Wingaaaaardium Leviossssa ?"
Vu la tête de la fille, ça ne devait pas être ça. Mais Vika revint à ce moment là en tenant des vêtements dans ses mains.

« Va t'habiller à côté, je n'ai que ça pour l'instant. Tu peux compléter avec ce qu'il avait déjà sur lui, pour les sous vêtements. Dis moi si tu as besoins de quelque chose d'autre. Sinon, tu peux aller dormir dans cette pièce la »

Linda acquiesça, trop heureuse de s'éloigner de la fille brune. Elle la regardait vraiment trop bizarrement, ça la mettait mal à l'aise. Elle se rua presque vers l'autre salle, fermant la porte derrière elle.
Une... Robe. Vika lui avait donné une espèce de robe, mais qui s'ouvrait entièrement et n'avait pas de boutons. Comment on faisait ? Ca ne devait pas être si dur. La serviette tomba : elle l'enfila, une manche puis l'autre, et la fit glisser jusqu'à être vraiment dedans. Sauf que maintenant, elle avait froid dans le dos et aux fesses, avec l'ouverture derrière. Ah, mais il y avait un bout de tissu ? Elle en fit le tour autour de sa taille, et serra : la robe se referma. Bien. Sauf qu'elle ne savait pas faire les noeuds, alors comment on faisait ?
Elle songea à appeler Vika à l'aide, mais à travers la porte Linda les entendait discuter. Discussion de grands, dans cette autre langue bizarre. C'était pas le moment de les embêter.
Alors, peut-être qu'elle pouvait au moins aller se mettre dehors, au soleil, pour avoir chaud ? Et demander de l'aide ensuite ? Elle avait même parlé de se promener, tout à l'heure, non ? Se promener ça serait bien...

Elle alla donc se mettre sur la terrasse tout en tenant toujours sa ceinture, fermant presque les yeux sous le soleil. C'était bon. C'était chaud. Elle voulut s'asseoir, mais elle s'arrêta. Parce que ça pendouillait entre ses jambes, et qu'en plus elle avait le bas du ventre plein. Il fallait qu'elle fasse pipi !
Mais Vika parlait toujours...
Tant pis, elle se débrouillerait. Comme une grande. Elle avait déjà vu des copains faire pipi contre un arbre, et elle aussi pouvait le faire ! Sûr !

Elle s'éloigna de la maison, un peu intimidée mais décidée. Elle ne faisait rien de mal. Et elle allait même arroser des plantes pour les aider à pousser. C'était bien. Non ?
Encore un peu plus loin : elle jeta un oeil derrière, pour être sûre que personne ne lui criait de revenir. Mais non. Et c'était normal puisqu'elle ne faisait rien de mal.
Et un arbre. Grand, brun, arbre. Là où elle pouvait faire pipi. Sauf que...
ON FAIT COMMENT QUAND ON EST UN GARCON ?
Sautillement d'une jambe sur l'autre. Elle était pressée, il fallait qu'elle trouve. Alors, déjà, elle allait avoir besoin de ses mains... Sauf que la ceinture partait et que la robe se rouvrait si elle partait, et que du coup elle était toute nue. Et ses copains ne s'étaient JAMAIS mis tout nus pour ça. Même une fois, au chalet.
Elle se débrouilla pour coincer la ceinture en mêlangeant les bouts, et remonta la robe. Donc, après, il fallait attraper le... le robinet. Mais c'était pas facile, parce qu'elle ne voyait rien avec le vêtement, et que c'était pas comme ça d'habitude. Et pourquoi elle avait un tuyau et autre chose en dessous ? C'était là qu'était le ... Beuh.
Alors, viser l'arbre, comme les copains. Eux, ils cherchaient à aller le plus loin, mais elle elle voulait juste vite faire pipi et retourner dans la cabane avant de se faire gronder. Alors elle le dirigea vers les racines.
Et puis... Faire pipi. Et c'était dur, parce que c'était bizarre. Mais elle avait envie.
Penser à de l'eau. De l'eau qui coule, vite, pchhhhhhh. De l'eau qui coule du robinet et qui fait ploc ploc ploc et empêche de dormir. L'eau avec les bulles qui saute quand on ouvre le bouchon, Psssssst !
Mais rien, mais elle avait envie !
Cri derrière elle, très fort. Et du bruit, comme si on s'approchait, et que c'était lourd, très gros, venu pour la manger dans ce pays de conte de fées.
Maintenant elle faisait pipi, mais elle n'avait plus vraiment envie.

Il y avait quelque chose derrière elle.

On pouvait dire que Linda était arrivé en fanfare. En effet celle-i déboula dans la pièce avec seulement une serviette autour de la taille, tout trempé et sans plus aucune jeune. Jimena le regarda interdite. C'était pas Greg. Pas celui qu'elle avait connu. Celui qu'elle avait connu, il ne se serait jamais autant... Autant... dévêtit... Pas sans gêne... Oh Mon Dieu. Elle finit par détourner la tête, arrêter de regarder ça ! Elle fit un bref signe de la main lorsque Vika les présenta. C'était donc elle, Linda. Dans le corps torse-nu de Gr... BON. Plus penser à ça.

"Bonjourhello, mon nom is Lindaaaaaaaa. Merci you..."

Elle reposa ses yeux sur elle. Lui. Elle. Bordel ! Elle s'était approché, maintenant sur son corps, on pouvait y voir quelques cicatrices. Elle fit un tour sur elle-même. La plaie dans son dos... La plaie, elle n'était plus ouverte. A la place une grosse cicactrice pour le moins étrange. Comment avait-il fait pour guérir aussi vite ? C'était étrange. S'il avait eut un pouvoir de guérison, il l'aurait utilisé avant que Jim' ne se glisse dans son dos. Peut-être devait(elle aussi parler de ça à... A Vika. Tête qui tourne, elle réfléchissait trop. Tiens, elle ne l'avait même pas vu se lever, elle n'était plus là.

"Wingaaaaardium Leviossssa ?"

Harry Potter. Sorcier. Magie. Jimena comprit le sens général. Enfin probablement. Elle supposa plus qu'autre chose en fait. Bah, elle ne lui en voudrait pas. Le contraste entre le vrai Greg et le Greg possédé par Linda était saisissant. La petite fille n'avait pas peur de s'approcher un peu plus, de s'exhiber aussi. Une enfant quoi Une enfant dans le corps d'un ado. Comment le vivait-elle... Et comment le vivait-il ? Avait-il conscience de ce qu'il se passait ? Finalement Vika revint avec des vêtements, et demanda à Linda d'aller se changer dans la pièce d'à côté.

" Je pense, de ce que j'en ai compris, qu'un contact avec sa peau nue entraîne l'aspiration de l'esprit de celui qui le touche. J'ignore si c'est mortel, ou si c'est une copie. Mais c'est extrêmement puissant. Pour t'avouer, j'ai pu le toucher, mais le temps de quelques secondes, tellement la puissance de ce pouvoir est monstrueuse. En cas de trop grosse émotions, ou concentration, Gregory ne parvient plus à se maintenir au contrôle de son corps, et laisse la place à quelqu'un d'autre. J'ignore les raisons qui poussent telle ou telle personne à sortir, si ce sont les émotions, ou la puissance de ces esprits la, mais, il y en a plusieurs, c'est sur. Nous avons donc Linda, et cette "Elle". Et le pire, dans tout ça, c'est que Greg, même s'il n'est plus aux commandes, assiste en spectateur à tout ce que les esprits font avec son corps. Impuissant."

Oh.... Oh ! Tout devenait soudainement plus clair. Plus compréhensible. Greg ne voulait probablement pas qu'on le touche pour cette raison, de peur d'aspirer l'autre.

"Il... Il doit alors copier la personne, ainsi que ses pouvoirs. La blessure dans son dos, elle est cicatrisée. Bizarrement certes, mais la plaie n'est plus ouverte. Elle date pourtant d'aujourd'hui, j'ai dû le soigner moi-même. Le pouvoir de se soigner ne lui appartient pas..."

Elle se souvenait vaguement d'un moment ou elle s'était énervée contre lui parce qu'il ne voulait pas de son aide. Culpabilité. Elle ne pouvait pas deviner, mais elle aurait pu être plus compréhensive disons...

"C'est fâcheux que tu n'en saches pas plus. Il faut maintenant attendre le retour de Gregory pour en savoir plus. Car je dois avoir le fin mot de l'histoire. Et il ne partira pas d'ici la. Je vais le prendre sous mon aile, de toute façon. Je dois faire en sorte que cela n'arrive plus."

Le retour de Gregory, oui, mais quand reviendrait-il ? On ne pouvait pas vraiment le savoir. Elle se demandait là, si elle avait le temps pour un petit somm'. Elle était... Fatiguée. Cela dit elle était aussi soulagée d'apprendre que Greg était entre de bonnes mains. Elle s'était tellement inquiétée pour lui. Mais Vika était quelqu'un de bien, sans nul doute, sachant regarder au delà des apparences. Jimena l'admirait. Elle était si forte... Et si jolie aussi. Mais ça c'était autre chose.

"Et tu crois que... Ca va durer longtemps ? Qu'est ce qu'on va faire en attendant ? Tu as.... d'autres questions à me poser ?"

Comme elle l'avait elle-même fait remarquer, Jimena n'en savait guère beaucoup plus à ce sujet. Elle ne voyait pas trop ce qu'on pourrait lui demander de plus. Un silence s'installa l'espace de quelques secondes. Puis Vika se releva, trouvant que Linda mettait bien du temps pour enfiler un simple kimono. Elle demanda à Jimena de rester là un instant, de toute façon la petite brune n'avait aucune envie de bouger de là. Et elle se laissa tomber lentement sur le matelas, laissant tout de même ses chaussures en dehors du lit. Et elle ferma les yeux. Juste quelques secondes, parce que ses paupières étaient lourdes. Ensuite elle les rouvriraient. Il ne fallait pas s'endormir. C'était pas vraiment le moment, ni l'endroit. Quoi que ce matelas était tout à fait confortable. Rouvrant deux ou trois fois les yeux encore, elle finit par les clore au bout de quelques minutes après le départ de Vika. Elle s'endormit rapidement, sans même à avoir à ressasser toutes ses images d'horreurs qu'elle avait vu aujourd'hui.

Que le corps de Greg soit complètement soigné était une bonne chose, bien qu'elle ignora qu'il n'était pas tout à fait comme à l'origine. Tant qu'il ne rendait pas l'âme dans l'instant, c'était déjà une bonne chose. Si elle n'en avait pas appris plus sur le fonctionnement du pouvoir, elle savait maintenant qu'il avait un moyen de se soigner via quelqu'un d'autre dans son attirail. Mais que ce quelqu'un d'autre ne devait pas être très docile vis à vis de lui, sinon, il n'aurait pas demandé à Jim d'aller chercher de quoi le soigner.

Pour le moment, elle connaissait donc avec certitude Linda, et celui ou celle pouvant se soigner mais qui ne le faisait pas sur commande. C'était assez léger, comme info. Mais c'était un bon début. En y repensant, elle aurait du s'occuper de lui, niveau blessure, mais il ne s'était plaint de rien, donc elle n'avait pas demandé. Et il fallait croire que quelqu'un d'autre l'avait fait à sa place, de toute façon. Songeuse, elle reprit :

« Copier je ne sais pas. Il ne me l'a pas dit, mais il se pourrait aussi qu'un contact entraîne la mort de la personne et que son esprit se retrouve coincé dans celui de Gregory. Lui seul nous le dira, encore une fois. J'ignore combien de temps cela prends. Pas des heures, puisque il était de nouveau lui même quand vous vous êtes réveillés. Sauf s'il prends son temps pour se reposer. Je ne sais pas. on est obligé d'attendre et de voir.»

Elle se releva, alors qu'elle estimait le départ de Linda un peu longuet. Qu'était-elle encore allée faire? Tsss, elle perçut son aura dehors. Un peu loin. La métamorphe espérait qu'elle n'avait pas passé la limite. Et que l'autre ne débarquerait pas au plus mauvais moment.

« Je vais la chercher. Restes la, j'imagine qu'avec tout ça, tu n'as pas pu te reposer plus que ça. Profites en. Je reviendrais s'il y a du nouveau, puisque tu m'as dit tout ce que tu savais, de toute façon.»

Elle sortit par la chambre. Linda aurait du lui dire si elle sortait, mais c'était un peu tard maintenant. Elle se dirigea vers l'aura, quand celle celui qu'elle aurait ne pas croiser aujourd'hui fit son apparition. Le petit enfoiré. Quand il ne comptait pas se battre, elle était quasiment invisible, et voila qu'elle explosait de mille feu. Vika décolla aussitôt, ne cherchant pas à savoir qui était la nouvelle proie. Elle le savait déjà.

la créature était devant un Greg complètement débraillé. Lind avait voulu faire pipi? Vika pesta de ne pas y avoir pensé. La bête rugit. Elle l'avait toujours trouvé beau. Zaelphyr devait être le dernier représentant de son espèce, dont elle ne savait même pas le nom, si ce que le proviseur lui avait dit était vrai. Il était très vieux, et son age n'avait d'égal que son espièglerie et sa faim. Il pouvait être très drôle quand il avait mangé. Mais la, il fallait croire qu'il avait le ventre vide. Vika ne prit pas le temps de le contempler, elle ne le connaissait que trop bien.

Aussi long qu'un camion, sans même compter la queue, à peu près aussi lourd, aussi, il était juste gigantesque. Comme la plupart des monstres sauvages, en fait, qui compensait leur manque d'esprit par la force brute et la puissance pure. Sauf que Zaelfyr vivait depuis si longtemps qu'il était devenu "sage", ce qui le rendait bien plus intelligent que n'importe lequel des monstres de la zone, et le catapultait maître incontesté des lieux. Vika le considérait presque comme un ami, après leurs premières rencontres un peu musclées. Il avait comprit qu'elle ne le tuerait pas, et que lui ni arriverait pas, et avait fini par se battre par amusement plus qu'autre chose.

Sauf que là, on ne déconnait pas. Il avait six pattes massives, ce qui lui permettait de coller des mandales, ou de ruer sans perdre sa stabilité, qui se terminait par des griffes énormes, taillées pour broyer le sol pour les deux paires arrières, et plus effilées pour celle de devant. Un corps puissant, musclé par des années et des années de combat. Elle imaginait bien ses yeux fous emplis d'une faim insatiable. Deux petits yeux noirs, au dessus d'une énorme gueule garnie d'un râtelier de dent qui ferait mourir un T-rex de jalousie et remplie d'une bave noire et violacée, et en dessous d'une paire de corne qui se recourbaient comme celles d'un bouc. Vika avait toujours imaginé que c'était avec elles que les mâles s'affrontaient pour la domination ou les femelles, car ce n'était pas aussi efficace que les armes qui parsemaient son corps.

Sur chaque articulation le permettant, un genre de lame osseuse et tranchante prolongeait la patte ou le "bras", et le bout de sa queue était dotée du même genre de joyeuserie. Il ne lui aurait plus manqué qu'une paire d'aile pour être parfait, et bien que ne crachant pas de feu, il aurait pu tenir tête à des dragons majeurs sans sourcilier. Mais heureusement, il n'en avait pas. Elle s'interposa juste à temps, alors que le coup l'enfonçait à moitié dans le sol.

« Linda, c'est maintenant qu'il faut courir. Vers la maison. Fais le tour, mais tu ne dois surtout pas t'éloigner plus. Sinon, tu croiseras d'autre comme lui. Allez, cours ! A la maison !»

Elle dut hurler pour ne pas se faire recouvrir par le second cri rauque de Zaelfyr, furieux et à la fois amusé de l'intervention de Vika. Il fallait dire que c'était la première fois qu'il croisait un être aussi faible en ces lieux, et ne s'étonna pas de le voir sous la protection de la métamorphe. Mais ça n’empêchait qu'il avait faim.

« Et toi, va chasser ailleurs ! Ce n'est pas une proie !»

Comme si ça le gênait. Tout ce qu'elle pouvait faire, pour le moment, c'était de couvrir la retraite de Linda. Tant que Vika se trouvait entre elle et lui, c'était bon. Un fois dans la maison, Zaelfyr ne lui ferait plus rien. Il savait parfaitement que s'il la détruisait, Mikogami comme Vika ne viendrait plus jouer avec lui. Et elle savait qu'il savait. Rayonnante de puissance, relâchant son aura sans aucune inhibition, elle sortait le grand jeu. Il suffisait juste que Linda s'en sorte. Et elle aurait intérêt à faire vite, aussi forte soit-elle, Vika ne pouvait encaisser indéfiniment les coups d'un monstre aussi fort que Zaelfyr, et tant que la petite n'était pas hors de danger, elle ne pouvait se permettre d'esquiver. Cours, Linda, cours !

Un monstre. C'était un monstre.

Les monstres n'existaient pas.
Les femmes oiseaux non plus.
Les monstres ne se relévent pas pour manger les enfants.
La magie n'existe pas.
Les monstres ne tombent pas sur les petites filles pour les manger.

Mais elle n'était plus Linda la petite fille. Elle était Linda-dans-le-corps-de-Greg.

Vika existait. La magie existait. Le monstre existait. Ses griffes brillantes existaient. Sa bouche qui sentait la viande pas fraiche existait.

Un monstre. C'était un monstre. Et il voulait la manger.

Linda hurla, se recroquevilla sur elle-même. Elle ne voulait pas être mangée ! Elle ferma fort les yeux, si fort que des soleils violets-verts brillèrent sous son crâne. Elle ne voulait pas le voir, elle ne voulait pas qu'il s'approche, elle ne voulait pas ouvrir les yeux et voir ses dents pleines de sang s'approcher.
Elle ne voulait plus être là.
Linda recula sans même s'en rendre compte, laissant la place libre aux autres. C'aurait dû être Greg, mais il était encore trop fatigué pour lutter et... tous s'entremêlèrent, cherchant à dominer ce corps.
Coups de griffe mentale, insultes et coups bas, baston immatérielle...Pas de pitié, pas de quartier, rien qu'un premier.

Et le vrai coup de main aurait frappé le corps de Gregory si Vika n'avait pas surgi de nulle part pour s'interposer. Le corps rouvrit les yeux, écarquillant les yeux pour savoir ce qu'il se passait.

« Linda, c'est maintenant qu'il faut courir. Vers la maison. Fais le tour, mais tu ne dois surtout pas t'éloigner plus. Sinon, tu croiseras d'autre comme lui. Allez, cours ! A la maison !»

Plus de Linda. Plus d'ordre à recevoir. Plus qu'à survivre.
Et chacun comptait le faire à sa manière.

Millie prépara un sort de feu, le plus puissant possible.
Maria voulut détaler à toutes jambes en lieu sûr.
Ernie aurait voulu observer sous toutes ces coutures ce truc inconnu.
Frederick tremblait de peur, de cette chose qui était sortie de son placard.
Amina tenta tant bien que mal de préparer une illusion.
Gerald contempla, médusé, cette chose sortie de ses pires cauchemars.
Luka se lécha les babines à l'idée de lutter contre une aussi grosse proie.
Karin se retint de glousser et de tourner sur place, heureuse de montrer au monde qu'elle n'était pas folle finalement.
Kristoph tenta de courir vers le monstre et enfin mettre un terme à cette vie pourrie.

Centaines, milliers, légion qui voulait prendre place et s'imposer, gagner, vivre.

Tourbillons d'aura, va-et-viens d'intentions, corps qui lutte et tressaute... A l'intérieur, seuls Hilfe, Schultze et une poignée d'autres tentaient d'obtenir le calme et de soutenir Greg pour qu'il reprenne sa place... Mais en vain. Trop de mêlange, trop de mouvement, trop d'égoisme.

Et puis, Vika libéra son aura. Puissante, pure, se répandant en ondes de choc alentours. Faisant taire un instant la basse-cour affolée qui voulait prendre place.
Occasion unique. Greg fut propulsé à l'avant, pas rétabli mais suffisamment fort pour garder quelques minutes la tête. Flots de souvenirs de Linda, et voix le harcelant.

Ne pas réfléchir. Courir. La maison. Un abri.
Se redresser, accrocher machinalement le peignoir pour ne pas tomber. Détourner le regard de la bête. Courir, poser le pied à plat, ne pas le tordre. Courir, vite, ne pas forcer sur le genou, ne pas tomber. Courir, survivre.

Cours Greg, cours?

Pendant l'espace d'un instant, Vika crut que c'était peine perdue. Linda ne réagissait pas. Puis elle comprit rapidement ce qui se passait, et fut heureuse de voir que c'était quelqu'un qui maîtrisait son corps qui avait pris le contrôle. Était-ce Greg? Vika ne le savait pas, et cela l’embêtait un peu. Pour peu que ce soit l'autre tarée sanguinaire, Jimena courrait un grave danger. Mais elle même avait d'autre préoccupation, et ne pouvait que prendre se pari risqué.

S'interposant une nouvelle fois entre le monstre et sa proie, elle crachait déjà du sang sous l'impact. C'était mauvais. Très mauvais. Mais elle avait enfin le champ libre. Elle décolla, évitant de justesse de se faire empaler sur la queue du montre, pour se poser sur son dos. Aussi malin qu'était Zaelfyr, c'était une position dans laquelle il était quasiment impuissant si celui qui tentait de faire un rodéo était attentif à sa pointe caudale. C'était d'ailleurs comme ça qu'elle le calmait quand elle en avait eu assez de jouer avec lui.

Sauf que Sanguine était dans la maison, et qu'elle était à mains nues, cette fois. Son "camarade de jeu" commença à ruer et gigoter dans tous les sens pour tenter de la déloger, avant de darder sa queue, signe d'un empalage en préparation. Et Vika avait moyennement envie de se retrouver avec un trou à la place de l'estomac.

Mais c'était une feinte. Oh le vieux grigou, il avait compris... Alors qu'elle se préparait à esquiver la queue, concentrée sur celle-ci, il roula sur le côté, la déséquilibrant. Tombant vers le sol, et une douloureuse mort par écrasement, elle se tira d'affaire d'un coup d'aile. Ce que Zaelfyr attendait, puisque cette fois, la queue fit mouche, manquant de la tuer de quelques centimètres, alors que son flanc s'ouvrait, libérant un flot de sang. Elle n'avait pas vu la manœuvre et n'avait pu ériger ses barrières, surprise par cette nouveauté.

Un coup d'oeil lui indiqua que Greg était hors de portée du monstre, et en théorie, en sécurité dans la maison. Il était temps de prendre la tangente. Enfin, avant, elle devait lui faire forte impression, car il serait capable de continuer. La métamorphe retourna se poser un peu plus loin, l’éloignant toujours plus de la maison. Elle grimaça en compressant sa blessure. De toute manière, elle ne pourrait combattre longtemps avec un truc pareil. Ne lui restait qu'une fuite en bonne et due forme. mais une fuite percutante.

« Zaelfyr. Je sais que tu me comprends, tête de pioche. Va chasser ailleurs. Je reviendrais jouer plus tard, mais ce n'est pas le bon moment. Alors, va-t-en !»

Il se rapprochait bien trop vite pour laisser entendre qu'il était de cet avis. Mais cela avait permis à Vika, à grand renfort d'onde calmante de Jade, de se concentrer un maximum. L'intégralité de son aura était maintenant concentrée sur son poing. Vraiment l'intégralité. Même pour un humain, elle serait visible, en fait.

Elle chargea elle aussi, ce qui surpris Zaelfyr qui lui connaissait des approches plus subtiles. La demoiselle corbeau bondit au dernier moment, espérant qu'elle ne finirait pas tranchée en deux par un coup de dent, mais elle fut assez rapide pour éviter ça, et alors qu'elle passait au dessus de sa gueule, lui enfonça le poing sur ce qui devait lui servir de front, entre les deux yeux. le choc fut tel qu'il faillit interrompre sa course, mais il continua dans son élan, laissant Vika s’écraser derrière lui. Elle décolla immédiatement pour aller se réfugier entre les murs salvateurs, laissant un énorme monstre sonné et affamé derrière elle, avec une leçon des plus assommantes.

Elle se rua dans la maison, se jeta sur un placard pour y sortir le premier vêtement qu'il y trouva, pour l'appuyer sur sa blessure. Vika en enroula un autre autour du poing avec lequel elle avait frappé. Celui-ci était en sang, et elle ne doutait pas qu'il y ait eut de la casse. Elle n'avait même pas fait attention à Jim ou Greg, et ne savait pas où ils étaient. Mais eux devaient le savoir, car elle maintenait son aura pour réduire les dégâts qu'elle subissait. Elle allait en subir le contrecoup bientôt.

Et ce bientôt fut la, alors qu'elle retournait dans la pièce principale. Les derniers vestiges d'adrénalines se dissipèrent, et la douleur la submergea, stoppant sa concentration qu'elle ne pouvait maintenir dans ses conditions. Elle s’écroula en plein milieu de la pièce, sa main encore valide crispée sur sa plaie. Sa respiration était faible et rauque, son aura aussi. Moins contrôlé, son flux sanguin s’accéléra et elle saignait plus vite, n'ayant plus vraiment la force d'appuyer correctement. Elle n'avait pas été dans un tel état depuis ses affrontements contre Ruby.

Cours Greg...

Il atteignit la porte de la maison à toute trombe, s'attendant à tout instant à entendre les pas lourds du monstre dans son dos. Mais Vika devait l'occuper, les bruits de combat retentissaient derrière lui. Rien ne s'approcha de lui... pour l'instant.

Survivre. Vika lui avait dit de réfugier dans la maison, mais comment tiendrait une maison de ce type face à une chose de cet acabit ? Le refuge n'était que temporaire ; il n'avait pas d'autre choix que de fuir, combattre, ou soutenir Vika. La fuite ? Impossible, Vika était la seule à pouvoir le faire sortir d'ici. Combattre n'était même pas une option. Quant à la soutenir...

Souvenir de Linda. Entrée, épée. Celle que Vika avait dans son bureau. Greg posa la main sur le pommeau et la souleva à grand peine, devant utiliser ses deux mains pour ça. Un humain ne pourrait jamais manier efficacement une telle arme. Mais une animorphe... Il ressortit de la maison en trainant l'épée derrière lui. Trop tard. Une onde de choc devant lui, souffle d'air qui lui ébouriffa les cheveux, monstre inerte et une furie ailée qui le dépassait en trombe, se ruant à l'intérieur. Elle avait... gagné ? Contre ce... Truc ? C'était effrayant de penser que cette frêle jeune femme pouvait envoyer ce mastodonte à terre. Et si jamais elle décidait de s'en prendre à lui, qu'est-ce que...

Paranoia. Ne pas y penser. Pas le choix de toute façon.

Il retourna dans la maison, essayant de se calmer. Mais la vue du placard entrouvert, des vêtements en vrac et du sang par terre le stoppa dans son effort. Elle était blessée. Et probablement gravement. Merde, merde et remerde. Sans elle, il était sans défense et ne pourrait jamais ressortir de là. Il la retenait son idée du kekkai !
Tu vas crever ici petit...
Et nous avec...

Laisse nous-

La. Ferme. Vous avez déjà causé assez d'ennuis comme ça !
Tête froide. Empêcher les autres de remonter. Retrouver Vika, évaluer les dommages. La soigner si possible.

Il suivit les traces de sangs jusqu'à la pièce principale, là où elle avait étendu les futons. Elle s'était effondré en son centre, une main ensanglantée, l'autre serrant contre son ventre un linge qui rougissait très rapidement. Inconsciente. Respiration hachée et rapide, paupières tressautantes, mouvements spasmodiques, une plaie grave à traiter. Gé-ni-al. Ca dépassait son seuil de compétence propre.
Laisse-moi la place, je suis infirmier !
Et moi, je maitrise les premiers soins !

Moi j'aime bien les oiseaux...

Le linge était entièrement écarlate. S'il n'agissait pas vite, il avait peur qu'il soit trop tard. Foutus esprits, trop occupés à se battre pour leur petite personne pour se battre pour leur survie collective. Sans même s'en rendre compte, il se mit a grogner de colère : "Alors filez moi un coup de main au lieu de vous battre ! Expliquez moi comment faire, on a pas de temps à perdre ! La dernière fois, deux personnes sont mortes, vous croyez que c'est le moment de recommencer ?!" Dans le même temps, il sentit quelque chose céder dans sa tête, comme une membrane tendue qui viendrait d'être percée.

Silence inattendu dans son crâne, vague de calme.
Puis une pensée, collective.
Va chercher tes gants et les antidouleurs qu'il te reste. Vite.

Il se rua vers la salle de bain, ne cherchant pas à comprendre. Les soins d'abord, les questions ensuite. Il fouilla rapidement dans ses affaires, remit ses gants et s'empara de la boite d'anti-douleur dans la poche de son pantalon raide de sang. Quoi d'autre ?

Le drap du futon. Ciseaux ou couteau pour les bandages. Et de l'eau, beaucoup d'eau. Pour les médicaments et les soins.

Il fouilla dans la cuisine, récupérant un grand couteau et une bassine pleine d'eau, ainsi qu'un verre. Retour dans le salon, en marchant lentement : si les voix étaient plus calmes, lui se sentait de plus en plus épuisé. Ne rien faire tomber, ne pas se déconcentrer. Ne pas ciller devant la flaque de sang qui commençait à s'étendre. Ne pas réagir devant Jimena endormie, visiblement inconsciente du drame qui se jouait. Seulement découper en lanière. Seulement s'empêcher de trembler et se rapprocher de Vika. Seulement lui tenir la main et vérifier son état de conscience.

-Vika ? Fit-il d'une voix trop fatiguée pour trembler.

Pas de réaction. Peut-être le souffle plus rapide, mais sans certitude.

-Si tu m'entends, serre ma main.

Légére pression sur son gant. Une fois, deux fois. Consciente. Elle pouvait avaler les anti-douleurs. Combien ?
Vu sa morphologie...
Et ses blessures.
Mais elle n'est pas humaine !
Et tu veux la traiter comment ? Comme une mesange ?
Et si c'est mortel pour elle ?

Non mais...

COMBIEN ?!
Essaie deux.

-Anti-douleurs. Bois.

Greg lui releva la tête, l'aidant à avaler la gorgée d'eau. Trop faible pour tousser, visiblement. Maintenant... Les doigts étaient soit cassés, soit démis, donc non prioritaires. Donc traiter la plaie... Tant pis pour la décence, il découpa son kimono et nettoya le sang qui masquait la blessure. Il siffla entre ses dents. La plaie était moche, elle aurait besoin de points, mais au moins pas de corps étranger. Avec un peu de chance, aucun organe vital de transpercé.
Compression directe, pas besoin de point. Appuie. Fort. Quand ça ne saignera plus, tu pourras maintenir avec les bandages.

-Désolé, ça va faire mal.

Il prit une des bandes de tissu, prit appui fermement sur ses jambes et reporta tout son poids sur la plaie. Appuyer, juste appuyer. Le linge devint rouge, et la vision de Greg noire. Ne pas craquer, pas maintenant.

Dans sa semi conscience, Vika n'avait même pas peur. Elle saignait, elle avait mal, mais, elle sentait que ce n'était pas encore son heure, et que quelqu'un allait l'aider. Greg, Jim? Elle ne le savait pas vraiment. La métamorphe n'avait pas besoin de grand chose, pour guérir. Juste qu'on lui maintienne suffisamment sa blessure en place pour qu'elle retrouve assez de force pour se recontrôler. Alors, elle pourrait réduire d'elle même l'arrivée de sang, voir se soigner avec l'infirmerie dans le placard de la salle de bain. Mais en attendant, elle se vidait de son sang et n'avait plus assez d’énergie pour pouvoir endiguer le flot de douleur que cela entraînait. Seule, elle serait surement morte. Quoiqu'elle soupçonnait Mikogami de savoir ce qui se passait en temps réel, et qu'il aurait bien pu se déplacer pour lui filer un coup de main.

Au loin, elle ressentait les signaux de détresse de Naessala, qui aurait voulu être à côté d'elle plutôt que de décrépir dans son bureau. Jade tentait tant bien que mal d'endiguer les flots noirs de douleur qui coulaient, en crue, dans les canaux mentaux de Vika. Son nom retentit dans les méandres de son esprit. Jade reprit espoir, car elle savait n'être plus seule à tenter de sortir Vika de la noyade. On sollicita sa voix, puis sa main, et ne put offrir que la seconde. C'était une voix masculine, donc Greg. Si c'était lui aux commandes, ce dont elle ne pouvait être sure. Elle avait, de toute façon, d'autres chats à fouetter en l'instant.

On releva sa tête, et on porta un verre à ses lèvres. Antidouleurs? Elle n'aimait pas vraiment les inhibants, mais elle n'avait pas le choix. Elle sentit le liquide froid descendre le long de sa gorge, entre deux inspirations difficiles. Faites que l'effet soit rapide.

Nouveau pic de douleur. la compression reprenait. Et il faisait pas semblant. Vika tressaillait en crispant sa main maintenant libre. Avec la zébrure qui parcourait son dos, elle venait surement de gagner une nouvelle cicatrice, qui gagnerait n'importe quel concours de vantardise, tout catégorie. Paradoxalement, le flot, bien que plus intense, se retrouvait à batailler contre des digues plus hautes et plus résistantes, mur de calme et de confiance, car on l'aidait, et qu'elle n'allait, bel et bien, mourir. Elle en avait l'intuition auparavant, de sa présence, mais en avoir la certitude l'aider bien plus que la compression en elle même.

Le flot de sang, comme de souffrance, commençait à se tarir. D'une part parce qu'une bonne partie du liquide vital était sur le sol et sur des linges, et parce qu'elle commençait à reprendre un peu le contrôle psychique d'elle même. Elle n'osait pas bouger, ni ouvrir les yeux. Tout ce qu'elle devait faire, c'était se calmer, doucement, mettre son corps en pause, et le laisser se débrouiller tout seul. Vika se concentra sur son poul, doucement, puis sa respiration qui allait de paire. Réduire le tout au minimum, ignorer les alarmes des endroits délaissés, qui réclamaient, au contraire, un afflux plus rapide. Mais c'était signer son propre arrêt de mort, tant que la blessure ne serait pas bandée et immobilisée. Sa respiration se fit plus profonde, mais plus lente. Elle osa enfin prendre la parole, d'une voix un peu étouffée, cherchant à faire le moins d'effort possible.

« Greg? C'est toi? »

Elle n'osa rien dire de plus, car elle ne le connaissait pas encore assez pour oser lui demander d'autre chose. Elle était à sa merci, et le laisserait faire. Pouvait elle faire autrement?

Le monde se remit en place. Probablement pas pour longtemps, mais Greg n'avait pas le choix. Visiblement, diriger les voix consommaient pas mal de son énergie et il n'était déjà pas bien vaillant à l'origine... Pas grave.

Tenir, encore un peu. Vika était bel et bien consciente, il voyait sa main désormais inutile se crisper, griffer l'air. Ca faisait mal, il le savait de première main. L'écrasement, la pression... mais ça voulait aussi dire quelqu'un était là, prêt à aider. Ca compensait la douleur, aussi forte qu'elle soit, d'avoir quelqu'un à proximité, normalement. Alors ne pas lâcher.

Tenir ferme. Vika se calmait. Il sentait son corps se détendre, son pouls ralentir, sa respiration se calmer. Plus lent, plus calme, limiter la perte de sang, cadrer la douleur. Lui aussi fonctionnait comme ça, bien souvent. Mais dans son cas, ça ne suffirait pas si la blessure n'était pas vite soignée. Ce qui voulait dire...
Confiance. Elle lui faisait confiance ? A lui ?
Non. Impossible.

« Greg? C'est toi? »

Phrase courte, coup au coeur, vision trouble. Il se sentit basculer et se pencha un peu plus en avant. Plus fort, plus mal, mais c'était ça ou tomber.
Elle l'avait reconnu. Elle comptait sur lui pour la soigner. Et ça, malgré le fait qu'il ait failli la tuer plus tôt. Et qu'il soit aussi dangereux. Et qu'il... qu'elle...
Elle savait qui il était, ce qu'il était, et comptait sur lui. Confiance ?
Pas le moment d'être sensible. La soigner, les larmes et les doutes seraient pour plus tard.

"Oui, c'est moi, répondit-il d'une voix controlée. Pas pour très longtemps, mais c'est moi. Je vais essayer de te bander cette plaie, mais je ne pense pas pouvoir faire plus avant de... Faudra te débrouiller pour ta main."

Tenir pour un dernier temps. L'hémorragie diminuait. Il attrapa deux bandes de tissu : rapidement, il enleva le tampon ensanglanté et le remplaça par un propre. Vika n'avait pas assez de force pour le maintenir et aucun objet lourd n'était à portée...
Tant pis, pas le choix. Ton genou pour appuyer, et pour la panser tu dois....

"Désolé, pas le choix. Serre les dents"

Il s'exécuta, serrant les dents en voyant la blessée se crisper. Lui même n'allait pas bien, le monde avait tendance à devenir gris sur les bords... Vite, faire passer la bande dans son dos, remonter de l'autre coté, rejoindre, nouer... Serrer, encore un peu, retirer son genou, finaliser. De toute façon, il n'avait plus assez de force pour serrer plus.
Ca devrait tenir. Pas le choix, il se sentait partir. Il n'y aurait personne pour prendre la place, ce corps était tout bonnement à bout. Il allait s'écrouler d'ici quelques secondes comme un pantin dont on avait enlevé les piles.

"Peux pas faire mieux, dit-il en s'éloignant de Vika. Sors pour avoir de l'aide, je vais attendre. Me reposer. Ca tient plus, trop de blessures d'être fatigue, trop..."

Noir.

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