Froid. Il faisait froid et pourtant Jimena traînait dehors. Elle qui était frileuse et qui détestait avoir froid, restait pourtant dehors, juste devant l'école. Pourquoi ? Pourquoi s'infligeait-elle cela ? Tant de chose s'était passé ici. Pourquoi elle ? Toujours les mêmes souvenirs qui affluaient, les mêmes images. Les mêmes pensées. La même culpabilité. Les mêmes questions. Toujours pareil. Elle voudrait tellement pouvoir oublier, mais c'était impossible. Impossible. Elle le savait. Pour combien de temps encore en avait-elle pour passer à autre chose ? Les films d'horreurs, cela durait environ une à deux semaine. Mais c'était des films, pas réel, la, elle était l'actrice, elle était entré dans le film.

Peut-être qu'elle essayait de se refroidir les idées. Absurde. Voilà donc encore une journée qu'elle passerait seule, mais au lieu de la passer dans sa chambre, elle ferait au moins l'effort de faire une petite promenade. Non c'était pas du tout parce qu'il se pouvait qu'Emily l'attende dans la chambre. Elle ne la fuyait pas. Elle n'en avait aucune raison n'est-ce-pas. Elle allait bien de toute façon, tout ça c'était provisoire, ça allait passer. Mais qui essayait-elle de convaincre exactement ?

Son regard vide se posa sur une fille, là-bas au bout de l'aller. Pourquoi elle ? Y'avait d'autres élèves alors pourquoi c'était elle qu'elle regardait? Elle était rousse, Jimena adorait les rousses. Mais plus encore que sa couleur de cheveux, elle avait l'air perdue. Elle regardait autour d'elle, avait l'air de chercher son chemin. Instinctivement Jimena avait marché dans sa direction, et sans s'en rendre compte elle n'était plus qu'à quelques mètres d'elle. La fille détourna son regard sur elle, et Jimena fut gênée, pour quoi allait-elle passé maintenant ? Très vite elle prit la parole.

« Euh... Vous avez l'air perdue... Est ce que je peux vous aider ? »

Elle tentait de faire bonne figure, de reprendre contenance mais c'était pas facile. Elle était jolie cette fille, avait l'air sympathique, mignonne. Si seulement les apparences n'étaient pas aussi trompeuse.

Froid.
Il faisait froid dehors et pourtant Bruna était à l'extérieur. L'air glacé la faisait frissonner et remontait le long de ses sinus, lui donnant l'impression de se noyer dans de l'eau gelée par instant. La bise gelée mordait la peau tendre de son cou et faisait voleter ses cheveux rouges, engourdissant ses oreilles. Frissons dehors, dedans, froid et chaud qui s'entremêlaient... Sensations contradictoires qui la faisaient se sentir pleinement souffrante, pleinement vivante.
C'était désagréable. Et sentir quelque chose de désagréable était bizarrement appréciable, à condition de savoir qu'on pouvait arrêter de le subir à n'importe quel moment. Une porte à passer, un mur pour s'abriter, une écharpe à relever, et tout s'arrêterait. Juste quelques pas ou quelques gestes pour transformer la souffrance en bien-être.
Alors, elle avait froid. C'était désagréable, et c'était agréable.

L'Origine marchait le long de l'allée, savourant la chair de poule qui la faisait frissonner. Sans but aucun, juste pour le plaisir de ressentir. Elle avait déjà cartographié mentalement toute l'école et devait sans doute la connaitre mieux que n'importe qui, directeur excepté. Peut-être. Après tout, lui n'avait aucun intérêt à noter les coins sombres où dissimuler les lambeaux de ses victimes. Elle leva la tête, aspirant encore une bouffée d'air aux relents de givre qui lui brûlerait et gélerait la trachée dans le même temps.

La sensation s'amplifia. Quelqu'un derrière elle s'approchait, souffrant tout autant du froid qu'elle. Mais la morsure du gel restait au second plan, spectatrice, pauvre petite chose devant le monstre qui lui enserrait le crâne et rendait ses pensées difficiles.

Elle se retourna et regarda d'un air pensif la jeune fille brune qui s'avançait vers elle. Une faible, à coup sûr. Une victime en puissance, juste assez forte pour tenir debout et encaisser, subir, prendre les coups, résister jusqu'à s'écrouler... puis se relever et recommencer. Rien à craindre d'elle, mais peut-être quelque chose à espérer ? Au moins une couverture, un alibi pour asseoir le rôle de Bruna Brumelune, gentille élève timide.
Et peut-être...un peu de distraction ? Que pouvait-elle encaisser avant de tomber, cette frêle demoiselle ? Et se reléverait-elle plus forte, ou plus faible ? Voilà qui serait intéressant... Jouer sans en avoir l'air. S'amuser chaque jour. Se trouver une amie à traumatiser.
Amie. Cette pensée lui fit monter un petit sourire aux lèvres. Pas d'ami pour les prédateurs, uniquement des proies et des concurrents. Et elle ne serait pas un concurrent, voilà qui était sûr.

« Euh... Vous avez l'air perdue... Est ce que je peux vous aider ? »

Jolie voix, tendre et frêle comme sa propriétaire. Gêne et envie de s'enfuir, la sensation que personne ne pouvait avoir besoin de son aide.
Appétissant.
La ferrer, la remonter, puis siroter doucement ces sentiments.

Bruna remit son écharpe en place d'un geste doux, cherchant à gagner du temps. Que dire à ce petit bout de femme si gentille qui lui proposait son aide ? C'était déjà tellement gentil de la remarquer... Tellement appréciable... Elle se passa la langue sur les lèvres rapidement, se préparant à parler... et eut une petite grimace. Le froid bien sûr. Les gerçures. Fichue timidité qui faisait mal. Qui l'empêchait de s'exprimer, de parler...
Ses épaules s'abaissérent un peu, pendant qu'elle laissait passer quelques mots, tout bas.

"Je... Je suis nouvelle ici. Je n'ai pas grand chose à faire alors je... je visitais... "

Visiter. Sous-entendu, personne ne l'attendait ou ne l'espèrait, personne n'avait besoin d'elle, personne ne voulait d'elle. Elle était seule, tout seule, sans amie, sans rien. Pathétique, mais irresistible pour les bons samaritains.

Veux tu être son amie, jeune fille ? Ou oserais tu laisser une pauvre âme seule dans le froid ? Ton petit coeur choisira-t-il la compassion, ou l'instinct de survie ?

"Je... Je suis nouvelle ici. Je n'ai pas grand chose à faire alors je... je visitais... "

Nouvelle, timide à sa façon de parler, perdue, seule. Cela lui rappelait vaguement quelqu'un. Elle quand elle venait d'arriver, ici. Elle aussi avait en grande partie visiter seule les lieux. Pas tous car certains contenaient des points d'eau, et elle les évitaient autant que possible à cause de sa phobie. A vrai dire elle n'avait qu'entraperçue le lac, et cela lui avait donné des vertiges. Rien que d'y penser elle devenait pâle.

Toujours était-il qu'elle avait fait les visites seules. L'une d'entre elle avait d'ailleurs mené à Mizore et à sa première journée assez atypique. Mais celle-ci s'était plutôt bien terminée contrairement à certaines autres plus récentes. Pourquoi fallait-il toujours que ces pensées la ramène à ça ?

Qu'est ce qu'elle devait faire ? Prendre les choses en main ? C'était pas vraiment son genre. En même temps elle n'avait pas très envie de la laisser découvrir le lycée seule comme elle avait du le faire, et puis c'était dangereux. Elle avait l'air si fragile, si... Comme elle. Elle ne pouvait pas, ne voulait pas la laisser seule. Naïve qu'elle était, elle ne se rendait pas compte du regard malsain, de ses intentions néfastes. Alors elle proposa :

"Je peux te faire visiter quelques endroits si tu veux ? Je suis ici depuis quelques temps, je connais assez bien les lieux."

Ainsi elle ne serait plus seule. Elle non plus d'ailleurs. Peut-être pourrait-elle passer une journée normale en compagnie de quelqu'un sans qu'il ne lui arrive des choses compliquées. Une simple journée, ordinaire. Une seule. Etait-ce trop demandé ?

Mais... Mais si elle ne voulait pas ? Et si elle voulait rester seule ? Après tout elle n'avait rien demandé à personne, c'était elle qui était venue la rejoindre. Et si elle l'envoyait balader ? Ca n'avait pas l'air d'être son genre mais... Pouvait-elle faire confiance encore ? Elle se rendait compte qu'elle se lançait une nouvelle fois avec quelqu'un qu'elle ne connaissait pas. Peut-être devrait-elle plus se méfier. Mais elle avait l'air tellement... Devait-elle vraiment se méfier d'une telle fille ? Peut-être qu'elle devenait trop paranoïaque aussi ! Cette fille n'avait rien de méchant ! En même temps, Flandre...

De toute façon elle était lancée maintenant, elle pouvait difficilement reculer. Tant pis.

La brunette hésita quelques instants, la gêne et la compréhension se disputant sur son visage. Elle finit par lâcher, hésitante :"Je peux te faire visiter quelques endroits si tu veux ? Je suis ici depuis quelques temps, je connais assez bien les lieux."

Bingo. Elle l'avait bien cernée, la proie était ferrée. Qui aurait pu résister à un tel étalage de timidité et faiblesse ? Certainement pas elle...
Bruna lui adressa un sourire. Un beau, un vrai, éblouissant, qui s'éteignit vite alors qu'elle détournait le regard sur ses pieds et les fixait. Que devait penser l'autre fille, à la voir être aussi rayonnante pour un simple geste d'intéret ? Qu'elle devait être pitoyable, faible, seule.
Tant mieux. C'était le but.

Elle laissa quelques secondes s'écouler avant de relever la tête. Quelques méches s'étaient échappées de sa queue de cheval et virevoltaient dans le vent, donnant l'impression qu'elle cherchait à se cacher derrière, à disparaitre derrière son rideau de cheveux rouge feu. Elle les écarta d'une main le temps de demander: "Tu es sûre que tu as le temps ? Je pensais aller du coté de ce temple là-bas. Mais si tu ne peux pas, je comprendrai. Ou si tu veux aller ailleurs. Ou si..."

Elle laissa sa phrase se finir dans le vide, se contentant de fixer l'adolescente. Qu'elle la compléte comme elle voulait. Rien n'était aussi convaincant que de laisser son interlocuteur combler les trous. Pas besoin de s'enfoncer dans le pathétisme ; la retenue était plus efficace dans ce cas-ci. Juste quelques mots, une attitude timide, un peu de détresse et voici que l'inconnue en face de vous devient une petite chose qu'on meure d'envie d'aider. Et parfois, qui vous fait mourir tout court. Mais pas aujourd'hui.

Petit mouvement de tête, comme pour en chasser les idées noires. Sa chevelure voleta encore une fois, emmêlée par le vent, découvrant ses oreilles et la faisant grelotter de froid. Désagréable et agréable en même temps.

Elle tendit la main.
La toucher, sentir sa chaleur, son sang pulsant sous sa peau fine, à quelques millimètres de ses doigts. Pouvoir effleurer de son pouvoir sa veste, savoir qu'à la moindre envie elle pourrait l'utiliser à son gré. Être à deux doigts du massacre et devoir se retenir. Désagréable car frustrant, et pourtant cela serait si agréable... A la moindre envie, sa frustration s'évanouirait pendant que le sang coulerait.
Désagréable et agréable en même temps.
Juste une poignée de main. Comme entre deux amis.

"Appelle moi Bruna. Et toi, qui es-tu ?"

Elle avait sourit. Elle souriait franchement, elle était belle quand elle souriait. Elle rayonnait. Comment pouvait-elle douter un seul instant d'elle ?

"Tu es sûre que tu as le temps ? Je pensais aller du coté de ce temple là-bas. Mais si tu ne peux pas, je comprendrai. Ou si tu veux aller ailleurs. Ou si..."

Du temps elle en avait. Par contre, retourner vers le Temple... Elle aurait sincèrement préféré éviter. Trop de mauvais souvenirs qu'elle tentait en vain d'oublier depuis quelques jours. Alors remarcher sur les traces de toute cette histoire était loin de l'enchanter. Elle avait presque envie de refuser. Mais... Elle venait de lui proposer de lui faire visiter, elle n'allait pas changer d'avis maintenant, au dernier moment. Ca n'était pas très gentil. Pas très respectueux. Elle se retrouverait de nouveau seule et que penserait-elle ? Qu'on venait une nouvelle fois de l'abandonner ? Nan, hors de question. Incertaine elle répondit finalement :

"Si je te propose c'est que j'ai le temps ! Tu as... D'autres endroits à visiter à part le Temple ?"

Ne savait-on jamais, peut-être qu'elle changerait d'avis et voudrait voir autre chose. Jimena avait du mal à détacher son regard des cheveux de la jeune femme, ceux-ci s'animaient au gré du vent, et le peu de soleil qui perçait à travers les nuages les faisaient s'illuminer davantage. Elle aurait rêvé d'avoir une telle couleur de cheveux.

La voilà qui tendait sa main à la petite brune. Elle mit un instant à réagir et la saisit timidement. Dans son pays d'origine, la France, les poignées de mains ne se faisaient qu'entre hommes. Les femmes elles, se tapaient la bise. Au Japon, on ne se tapait pas la bise. Elle n'avait pas eut trop de mal à s'en accommoder, au vue de sa timidité. Elle s'appelait Bruna. Un joli prénom, au sonorité qui lui plaisait, mais ce n'était pas Japonais. De toute façon elle n'avait pas l'air d'une japonaise. Peut-être penserait-elle à lui demander d'ou elle venait.

"Moi c'est Jimena. Enchantée."

Elle rompit la poignée de main, contact furtif mais étrange sensation. Pas désagréable.

"Alors le Temple ?"

Finalement, elle n'avait pas eu l'occasion de le visiter ce Temple. elle était passé à côté, mais c'était tout. Alors elle tenterait de faire abstraction de tout ce qui s'était passé, et en avant.

Le souffle de Jimena accéléra à la mention du temple, tentative pour compenser la douleur sourde qu'avait fait jaillir la mention du temple. Quelque chose n'allait pas au sujet de cet endroit là. Qui l'avait affecté. Du danger ?

Intéressant.

Bruna fit mine d'ignorer l'hésitation de la brunette. Si ça avait été interdit, elle le lui aurait dit. Donc elle avait le droit d'y aller. Donc elle voulait y aller. Et si accessoirement, elle découvrait ce qui mettait si mal à l'aise – doux euphémisme – la jeune fille, ce serait tant mieux.

Et puis, sa réaction l'intriguait. Quel événement avait pu faire si peur, si mal à la jeune fille et cependant ne pas la blesser physiquement ? Que s'était-il passé là-bas ? S'agissait-il de quelqu'un de fort ? D'intéressant ? Et... pourrait-elle faire mieux que cette personne ? Non. Elle ne devait pas penser à ça. On ne pouvait pas la vaincre en ce domaine-ci. Et elle ne devait pas se dévoiler, agit ainsi. Surtout pas. Rester calme, observer mais ne pas agir. Pas de jour, en tout cas.

Son interlocutrice finit par lui serrer la main délicatement, de peur de faire mal à la frêle poupée de chair qu'elle était. Mignonne attention, tellement gentille. Peau douce, fine, chaude, presque transparente, la laissant ressentir du bout des doigts la folle course de son sang dans ses veines. Jimena... Elle se souviendrait de ce nom. De cette chaleur.

Contact rompu, bien trop rapidement à son goût. Bien qu'elle n'en montra rien, la rousse dut se retenir pour ne pas lui reprendre la main. Elle prenait goût à cotoyer des gens vivants plus que de quelques minutes ; ce lycée lui réservait bien des surprises, décidément. Elle n'aurait jamais pensé avoir ce genre de relation – enfin, plus d'une fois avec la même personne. C'était agréable. Frustrant mais agréable.

-Alors le Temple ? Demanda Jimena d'une petite voix.

Oui. Toujours le temple. Parce que cela lui donnera l'occasion de connaitre officiellement ce coin-là du lycée. Parce qu'il était possible qu'elle découvre ainsi quelque chose de dangereux – pas un concurrent, mais une proie intéressant. Parce que Jimena l'accompagnerait et qu'elles pourraient ainsi faire plus ample connaissance. Et l'idée lui semblait bien plus attrayante qu'elle ne l'aurait pensée au premier abord.

Ce fut donc avec un petit sourire, léger mais indiscutable, qu'elle lui répondit : "Le Temple, ce sera parfait. Tu veux bien me guider ?". Ce faisant, elle tendit lentement une main vers elle, paume ouverte vers le bas. Qu'elle lui donne donc la main. Sa chaleur serait plus facilement perceptible ainsi, sa douleur aussi. Il lui serait bien plus simple de comprendre ce qui s'était passé dans ce lieu.

L'excursion devenait plus intéressante que prévue. Une source de chaleur et de souffrance à proximité, et une possibilité de trouver puis chasser quelqu'un d'intéressant plus tard. Le froid n'était pas la seule chose qui valait le coup d'être supportée...

Bon, très bien. Faire abstraction de tout ce qu'il s'était passé là-bas. Peut-être que comme elle était accompagnée, elle n'y penserait pas trop. Au pire elle y passerait rapidement, sans trop s'attarder.

"Tu veux bien me guider ?"

La voilà qui lui tendait la main de nouveau, mais cette fois, ce n'était pas pour une simple poignée de main. Non cette fois elle espérait une étreinte plus longue, elle espérait lui prendre la main. En France on ne faisait pas tellement ce genre de chose, tenir la main d'une inconnue comme ça et il ne lui semblait pas d'ailleurs qu'au Japon ils le fassent non plus. En même temps elle n'avait pas l'air plus japonaise que Jim. Ce serait une bonne idée pour engager la conversation que de lui demander d'ou elle venait. Mais en attendant elle prit timidement sa main et hésitant encore un peu -oui c'était vraiment bizarre de lui tenir la main- elle prit la direction du Temple.

N'allait-on pas les croire.... Ensemble à se tenir ainsi la main ? A cette idée Jimena prit des couleurs au niveau des joues. Déjà elle ne pensait pas être de ce bord-là, et puis irrémédiablement l'image de Noïd lui apparut. Elle n'allait pas penser à ça maintenant quand même... Enfin c'était toujours mieux que de se remémorer ce qu'il s'était passé dans la cabane... D'ailleurs elle empruntait exactement le même chemin que la dernière fois, longeant les carrés d'herbes. Sauf qu'elle n'était plus seule. Il fallait alors qu'elle se concentre pour faire bonne figure, malgré le fait qu'elle approchait irrémédiablement du lieu de sa rencontre avec Greg, du lieu ou elle s'était battu pour la première fois contre ses types qui...

Non, non, non, LA FERME. Revenir sur Bruna. Revenir sur elle. Elle tourna légèrement la tête vers elle, lui tenir la main la gênait toujours autant, mais elle n'osait pas briser ce lien, de peur de la... Froisser ? Peut-être le prendrait-elle mal ? Peut-être le prendrait-elle comme une sorte de rejet. Elle ne voulait pas qu'elle pense cela. Parce que c'était pas vrai. Juste que... C'était bizarre de se tenir ainsi la main.

"Je peux te demander... D'ou est ce que tu viens ?"

Elle accompagna cette question d'un petit sourire, elle ne voulait pas lui sembler trop... Intrusive, trop curieuse... Elle voulait juste lancer un sujet de conversation, ainsi elle ne penserait peut-être pas au fait qu'elle venait de dépasser l'endroit ou Greg avait commencer à se faire battre. Elle tentait de ne pas regarder, mais c'était plus fort qu'elle et par moment ces yeux déviaient sur cet endroit. Qu'en serait-il alors en passant devant la cabane ? Est ce que Vika l'avait fait nettoyer ? L'avait-elle isoler d'une quelconque manière ? Probablement.

"Moi je suis française, j'ai déménagé ici il y a quelques années déjà, parce que mon père travaille au Japon maintenant."

Hésitation, questionnement face à la main tendue, inquiétude... Et finalement, main saisie par la brunette. Luna se délecta un court moment de ces sentiments avant que leurs peaux rentrent en contact une fois de plus. Paume de main un tout petit peu plus moite, pouls un tout petit peu plus fort, sensations toujours aussi prenantes. Le froid recula encore un peu alors que la chaleur semblait lui remonter le long du bras, doucement. Elle se sentait irrésistiblement attirée par ce contact, voulant à la fois l'approfondir et en même temps se contenter d'en profiter. Effrayant et fascinant en même temps.

Toute à l"analyse de ses sensations, elle se laissa guider par Jimena. Celle-ci marchait un tout petit peu trop vite, lançant des regards furtifs à droite et à gauche, des effluves de honte et de culpabilité flottant autour d'elle. La rousse ralentit un peu plus, l'obligeant à tirer plus fort, que sa poigne se resserre autour de ses doigts, que ses muscles rentrent en action, que ces émotions négatives se fassent encore plus fortes. Délicieux. Si faible, en sureté et pourtant elle la faisait se sentir tellement bien avec son mal-être et son corps chaud.

Si elle avait su qu'on pouvait tellement apprécier de cotoyer quelqu'un, elle aurait peut-être cotoyé plus souvent des gens vivants. Ou du moins, plus longtemps avant leur mort. Elle aurait pu tenter d'autres jeux avec eux...

Un peu plus loin, des pré d'herbe, quelques chemins. Une pression plus forte mais controlée autour de ses doigts. Un regard figé vers l'avant, mais son corps tout entier semblait tendre vers un croisement de chemin sur la gauche. Et surtout, de la l'horreur, de la terreur, de la douleur qui se mélangeaient en une tresse incroyablement complexe, tellement goûteuse, saupoudrée de copeaux de culpabilité...Les brins se rompaient par moments, s'affadissaient mais revenaient toujours, plus forts et savoureux que jamais. Que s'était il passé ici pour lui laisser une telle impression ? Le chemin ne se distinguait à priori pas des autres sentiers de gravillons croisés auparavant. Y avait-elle vu quelque chose, croisé quelqu'un ? Que n'aurait elle pas donné pour savoir lire les souvenirs et pensées en cet instant plutôt que de juste goûter à leur souffrance !

L'interrompant dans ses pensées, Jimena se tourna légérement vers elle. Elle avait un petit sourire timide aux lèvres. "Je peux te demander... D'ou est ce que tu viens ?"

Luna cilla, essayant de revenir sur terre, de se concentrer sur son histoire officielle. Ne pas dire de bêtise... Bruna Brumelune, vampire inférieur, venant d'Italie. Qu'y avait-il marqué de plus dans son dossier, déjà ? Ne pas se contredire surtout, garder profil bas.

Jimena reprit d'un ton un peu plus nerveux :"Moi je suis française, j'ai déménagé ici il y a quelques années déjà, parce que mon père travaille au Japon maintenant."

Française ? Elle avait croisé des Français par le passé. Un couple qui avait le coeur sur la main notamment. Après son passage, ils avaient également le foie sur la main et le pancréas répandu un peu partout autour. Elle eut un petit sourire nostalgique en y repensant. Le bon vieux temps, celui où elle pouvait créer des rivières de sang sans s'inquiéter d'être repérée.

Mais retour au nouveau temps, celui où elle devait être calme, gentille, souriante, et ne pas étriper la jeune fille qui venait de lui rappeler naivement à quel point elle aimait massacrer tout ce qui bougeait. Voilà qui allait être difficile.
De sa main libre, elle alla effleurer sa tache de peau sur son cou – l'empreinte résiduelle de la morsure de la louve-garou qui avait tué Bruna- puis redescendit plus bas jusqu'à tripoter son rosaire. Souvenir de ce qu'elle était et en même temps, alibi de sa situation actuelle.

-Je viens d'Italie, mais j'ai beaucoup voyagé. Je ne pouvais pas rester longtemps au même endroit, on m'aurait vite repérée, alors... j'ai vu du pays, pour ainsi dire.

Sa main se crispa autour du crucifix alors qu'elle reprenait en français : "J'ai passé une fois ou deux la frontière aussi. L'errance n'a pas de frontière, après tout."

La recherche de victime non plus. Ah, cette fois-là, au chalet...

Elle secoua légérement la tête, fermant les yeux comme pour chasser un mauvais souvenir. En réalité, pour ne pas que Jimena se rende compte qu'elle avait un frisson à absorber tout le mal-être qu'elle ressentait en se mettant à sa place. Mal-être qui ne faisait d'ailleurs que s'accentuer alors qu'elles avançaient vers...

"Tiens, il y a des cabanes par là-bas ? A quoi servent-elles ?"

Réaction de panique instantanée. Jimena lui lâcha subitement la main - froid soudain - et recula, comme si elle venait de se transformer en un quelconque monstre de cauchemar. Vu la terreur peinte sur ses traits, cela aurait bien pu être le cas. Une horreur sortie du fin fond de ses peurs les plus profondes, apparue sur terre pour la replonger dans l'enfer d'où elle était sortie. La refrapper en plein coeur encore une fois, sur ses blessures à peine cicatrisées.
Tellement vrai et faux à la fois.

Bruna recula elle aussi d'un pas, sous le coup de la surprise. Elle lui faisait... peur ? Elle ? Mais elle n'avait rien fait pour ça, rien du tout ! Ou alors... est-ce qu'elle avait découvert ce qu'elle était, et qu'elle lui faisait horreur ? Une suceuse de sang incapable de se contrôler, un rebut qui tentait de survivre. Est-ce que c'était ça ? Encore un pas en arrière, alors que son visage se crispait, retenant ses larmes. Ca devait être ça.

Le sentiment de malaise de Jimena grandit encore, emplissant Luna de joie mauvaise.

La brune fit volte face d'un seul geste vif qui fit sursauter Bruna. Faible ou non, elle semblait avoir de bons réflexes et bien bouger. Est-ce qu'elle savait combattre ? Est-ce qu'elle était une proie intéressante ? Peut-être que cela valait le coup de déposer le masque et de sortir le grand jeu ?

Mais elle arrêta tout de suite de penser à cette solution quand Jimena se retourna vers elle, après cette fausse alerte. Si la douleur était de la nourriture, cette fille était un gâteau de mariage - ou d'enterrement - à trois étages avec guimauve, coulis et sorbet inclus. Mal partout, à la tête, dans la tête, au corps, dans le corps. On ne gâchait pas un chef d'oeuvre pareil en l'avalant d'un coup. On le savourait, voire on le mettait de coté pour le bonifier.

Sa guide balbutia péniblement quelques paroles en essayant de ne pas la regarder directement : « Je... Cet endroit me rappelle de mauvais souvenirs, il ne vaudrait mieux pas traîner dans le coin. ». Visiblement, c'était ce lieu qui avait causé la souffrance qui avait tant attiré son attention plus tôt.

Luna voulait en savoir plus, à tout pris. Mais gentille Bruna était mignonne et attentionnée, et n'irait pas faire mal à  Jimena exprès. Il allait falloir ruser.

"D'a.. D'accord" souffla-t-elle lorsque Jimena la dépasse pour s'éloigner à grands pas de la cabane. Elle la suivit, un pas, puis deux, posa le pied sur un tuyau d'arrosage presque dissimulé par l'herbe haute.
Manipulation. Déplacement le long du tuyau. Et l'embout derrière la cabane qui se redresse et tape deux fois contre le mur.

Bruna s'arrêta sur place.

-Jimena ? Tu as entendu ?

Un autre coup, plus fort. Elle se retourna vers la cabane et lança d'une voix hésitante : "Il y a quelqu'un ?"

L'embout s'éleva plus haut, frappa le mur de bois, redescendit en raclant les planches. Une fois, deux fois, trois fois, puis un dernier coup léger avant de retomber sans plus de bruit. On aurait pu croire que quelqu'un, coincé dans la cabane, essayait de sortir en grattant à la porte.

La voix de Bruna, apeurée, s'éleva alors : "Y'a quelqu'un. Je peux pas le laisser comme ça. Il est peut-être blessé. Il faut aller voir... Je peux pas partir...."

Elle s'avança d'un pas résolu mais tremblant vers la cabane, sans vérifier que Jimena la suivait.

Marchant d'un pas vif, elle tentait vainement d'enrayer tout le flot de sentiments négatifs qui l'envahissait. Pensées sombres, horribles souvenirs, tout cela se remettait à tourner en boucle dans sa tête sans qu'elle ne puisse rien y faire. Elle n'aurait jamais du remettre les pieds ici ! Comment avait-elle pu se croire assez forte pour affronter ça de nouveau ? Elle avait été stupide ! Et trop gentille avec ça. Elle ne pouvait plus reculer. Quelle désastre. Pitoyable, pathétique fille qui tentait de faire la fière. Sauf que dans sa tête c'était la pagaille. Et c'était pas finit. 

Bruna avait arrêté de la suivre et fit s'interrompre la marche de la petite brune en demandant si elle n'avait pas entendu. Entendu quoi ? Elle n'en avait aucune idée. Et elle s'en fichait complètement. Elle voulait juste partir, loin d'ici. Agacée qu'elle stop ainsi la marche, Jimena se retourna, ne cherchant même pas à le dissimuler. Mais un bruit étrange la fit sursauter, un bruit qui venait tout droit du lieu maudit. Bruna sembla appelé mais Jimena n'entendait plus. Ne voulait pas entendre. 

Son coeur rata un battement. Quelqu'un semblait gratter à l'intérieur de la bâtisse. Jimena recula d'un pas. Impossible. IMPOSSIBLE. Elle se mit à penser que c'était peut-être ces deux types, qu'ils n'étaient pas mort, et qu'ils souhaitent sortir de là. Ou alors que c'était ces deux types, qui étaient mort vivant ou elle ne savait pas quoi d'autre. Ou alors que... que.... STOP. Stop. Non, ce n'était pas possible. Ce n'était pas eux. Ils étaient morts. Pourquoi cette pensée la soulageait ? Elle l'avait tant haït et maintenant, elle tendait à la calmer. S'ils étaient morts, ils ne viendraient plus pour se venger. Ils ne viendraient pas pour la tuer. 

Elle n'avait rien vu du massacre, mais c'était tout comme. Son estomac se noua à l'idée de retourner la dedans. Bruna se dirigeait pourtant dans cette direction.  Elle n'allait pas l'en empêcher, elle faisait ce qu'elle voulait. Après tout y'avait ptetre bien quelqu'un là-bas. Mais elle n'était pas sûre de vouloir le savoir. Aider, ne pas aider. Jimena tenta un premier pas, puis un second. Son ventre se noua de nouveau, se retourna même. Non, ça n'allait pas, pas du tout. Ses anciennes blessures, celle à la tête surtout se remirent à faire mal, comme si elle revivait l'instant du drame. Douleur physique mais pourtant irréelle. Comment était-ce possible ? Alors elle laissa Bruna s'approcher seule de la cabane. Elle se sentait faible. Non. Elle était faible. Tellement faible. Et pathétique. Elle était nulle. Vraiment nulle.

Quelques pas encore vers la cabane de bois. On n'entendait que les gravillons que foulaient les pieds de Bruna, et son souffle haché. Le bruit de raclement avait cessé, mais le silence semblait pire encore, faux manteau de sérénité dissimulant une catastrophe. La tension semblait s'épaissir, au même rythme que la peur de Jimena derrière elle qui devait paniquer.

Encore un pas, plus près de la porte. Derrière elle, un petit couinement suraigu. Un cri étouffé, un appel à l'aide avorté. Une gorge qui se ressert inexorablement, les poumons qui brulent et la tête qui menace de tomber alors que le coeur s'emballe. La panique pure, envahissant le corps, le paralysant tout en le rendant totalement conscient de son environnement. Tellement connu. Tellement bon.

Une enjambée supplémentaire. Bruit de chute alors que la semelle se pose au sol, que les minuscules cailloux crissent de douleur semble-t-il, de conserve avec la jeune fille derrière.

Bruna s'arrêta et se retourna, l'air déboussolé. Derrière elle, Jimena était visiblement tombée sur les genoux. En appui sur ses bras, elle tremblait, donnant l'impression que son torse allait tomber d'un instant à l'autre au sol. Entre les méches chatains, son visage apparaissait blanc d'albatre mais dégoulinant de sueur.

La rousse tourna la tête vers le cabanon, puis vers Jimena. C'était le fait de s'approcher de cette cabane qui l'avait rendue comme ça ? Mais il n'y avait rien d'anormal, rien de dangereux ? A moins que se cache à l'intérieur quelque chose d'anormal ou de dangereux... mais ces bruits ? Elle hésita visiblement, son regard allant de l'un à l'autre. Aller porter secours à ce qui était dans le bâtiment ou s'occuper de Jimena ? Elle se mordit les lèvres, se rendant compte qu'aller au secours de l'un signifiait laisser quelqu'un d'autre en danger, possiblement. C'était trop dur de choisir, trop dur pour elle !

Panique qui monte, monte, douleur qui ressurgit véritalement chez la jeune fille. Un délice. Sans même la toucher, sans même porter une main sur elle, une souffrance qui ressurgissait d'elle-même. Jimena se laissa tomber, une main venant s'agripper à sa tête pour contenir la douleur.Trop bon. Elle pouvait probablement la faire craquer maintenant, mais ça serait gâcher ce potentiel de douleur.

Bruna tourna une dernière fois sa tête en direction de la cabane : "Je suis désolée, je reviendrai !" avant de revenir au pas de course vers la brune. Elle s'agenouilla précipitamment à coté d'elle et l'étreignit à bras le corps, pour l'empêcher de tomber autant que pour profiter de sa chaleur et de ses tremblements. D'une voix nerveuse, elle essaya de la calmer : "Chut, calme toi. Jimena, respire. Tout va bien. Il n'y a pas de danger, pas de raison d'avoir peur. Chut."

L'impression d'avoir une poupée de cire figée dans les bras, tremblant de froid et irradiant d'ondes de douleur, de peur, de culpabilité, de désespoir, dans un succulent bouquet d'horreur. Luna en profita encore quelques secondes en lui calinant distraitement les cheveux avant de continuer, en français cette fois-ci : "Ca ira. Tu vas voir, ça ira. Si quoi que ce soit arrive, je... " elle déglutit, laissa un frisson la parcourir - oh, comme elle devait être terrifiée pour prononcer ces paroles "... je te protégerai. Tu ne crains rien, d'accord ? Alors calme toi, détends toi, laisse la panique s'en aller..."

Nostalgie maintenant, une nostalgie poignante à entendre cette langue, avec un regret et une douleur atroce. Petite saveur épicée qui rehaussait le tout et le rendait encore plus délectable. Luna serrait l'adolescente contre elle avec une affection non feinte. C'était véritablement délicieux de jouer avec elle, de l'agiter et de la rassénérer, comme un marionnettiste ferait danser son pantin du bout de ses doigts. Un sentiment de puissance et de contrôle total. Ce qu'elle serait belle en train d'hurler de douleur, le sang lui dégoulinant le long du corps...

Mais il était temps d'arrêter, Bruna poussait au fond de son crâne pour l'empêcher de continuer. Elle n'avait pourtant pas à s'inquiéter. Luna ne casserait pas ce jouet ci de suite, il restait tant de choses à découvrir à son sujet.

"Chuuuuuut, tout va bien... Dès que ça ira, je t'emménerai à l'infirmerie, ne t'en fais pas..."

"Chut, calme toi. Jimena, respire. Tout va bien. Il n'y a pas de danger, pas de raison d'avoir peur. Chut."


Se calmer ? Oui c'est vrai. Pourquoi paniquait-elle déjà ? Elle n'avait rien vu de vraiment traumatisant. Finalement c'était son imagination qui faisait tout le travail. Elle avait vu du sang et Greg lui avait dit de ne pas entrer là-dedans. Son imagination avait fait le reste. Là, il n'y avait plus de sang, mais la cabane était toujours interdite d'accès. Aller, un peu de courage bordel ! Qu'est ce qu'elle pouvait se détester d'être aussi faible. Beaucoup de gens ici avait du voir pire qu'elle, bien pire. vivre bien pire aussi, et elle faisait toute une histoire pour un peu de sang sur le sol ? Quand bien même elle avait du se battre, ce n'était pas sa première fois. Elle avait déjà combattue, et ça ne l'avait jamais traumatisé. Pourtant l'idée qu'il y ait pu y avoir un massacre dans cette cabane... 


Et elle se retrouvait sur le sol, à se faire cajoler par quelqu'un qui la connaissait à peine. Elle lui en était reconnaissante mais s'en voulait d'accaparer son intention ainsi alors qu'il était tout à fait possible qu'elle ait raison. Peut-être y'a t-il bel et bien quelqu'un dans cette cabane, et peut-être cette personne est-elle en danger. Jim' elle, allait bien. Alors pourquoi se soucier d'elle comme ça ? Il fallait lui dire. Lui dire de la laisser, qu'il était inutile de l'aider, que tout allait bien. Mais elle n'y parvenait pas, les mots ne sortaient pas. Et au fond, elle sentait que ce serait mentir que de dire tout va bien. 


 "Ca ira. Tu vas voir, ça ira. Si quoi que ce soit arrive, je... je te protégerai. Tu ne crains rien, d'accord ? Alors calme toi, détends toi, laisse la panique s'en aller..."


Elle avait envie de la croire. Elle avait envie de lui faire confiance. Elle avait envie de se reposer sur elle, un instant. Juste un petit peu. Elle avait parlé dans sa langue maternelle, et cela la confortait dans l'idée que Bruna ne pouvait pas être une mauvaise personne. Absurde comme raisonnement, bien sûr. Mais entendre parler en français lui redonnait toujours un peu de baume au coeur. Même si d'un autre côté, cela éveillait en elle des souvenirs, agréable mais qui lui paraissaient lointain, tellement lointain que cela finissait par lui faire mal. Du temps ou elle était heureuse. Du temps ou elle était insouciante. Du temps ou... 


Non, c'était pas le moment de se replonger dans ses souvenirs. Bruna devait s'inquiéter, il fallait la rassurer. Et puis lui dire qu'il était inutile de l'emmener à l'infirmerie. Qu'est ce qu'elle y pourrait elle ? Et puis, après lui avoir volé des médicaments, elle ressentait toujours une petite angoisse en retournant dans son cabinet, l'angoisse qu'elle ait deviné même après tout ce temps qu'elle lui avait fauché ses pilules. On ne sait jamais, après tout, on est à Yokaï... Elle secoua donc la tête et recula légèrement de la douce étreinte de Bruna. 


"C'est pas la peine, je vais bien, t'en fais pas. Désolée pour ce moment de... Panique."


Elle tentait d'être la plus convaincante possible, peut-être pour se convaincre elle-même. De toute façon il était hors de question de retourner à l'infirmerie, d'abord parce qu'elle se sent toujours aussi coupable de ce qu'elle avait fait, mais aussi parce qu'elle n'avait aucune raison valable de s'y rendre. Elle n'était pas malade, elle était même en parfaite santé. Puis il fallait agir, s'il y avait bien quelqu'un là-dedans. Elle commença par relever la tête et se redresser, puis par se mettre debout. Elle se frotta les genoux pour y retirer la terre qui y était. 


"Excuse-moi, ça va maintenant."


Toujours un peu fébrile, elle tendit sa main à Bruna pour l'aider à se relever. 


"Donc... Il y a... Il y a quelqu'un là-bas ? ..."



Elle pointait la cabane du doigt. Tenir, tenir, tenir. C'était tout ce qui comptait. Tout allait bien. Elle n'était pas seule en plus. Bruna était là. Bruna était là...

Valse des émotions et sensations, tumulte interne. Les larmes n'étaient pas loin, mais recouvertes d'un masque de sourire. Non non, ne pas s'inquiéter. Tout va bien. Regardez mon sourire, regardez mes fossettes. Oubliez les larmes. Ne me voyez pas, moi, restez en au masque. S'il vous plait. Ne me regardez pas... Ne me regardez plus. Je vais bien.

Si Jimena allait bien ? Oh non. Oh non, elle n'allait pas bien. Pour le plus grand bonheur de Luna d'ailleurs. Son coeur pulsait encore tellement fort, intimant à corps de prendre la fuite loi, loi, très loin de ce danger potentiel, de ces souvenirs certains. Détaler, déguerpir, filer comme le vent, petite proie tentant d'échapper à l'impitoyable prédateur.

Celui de Luna battait à l'unisson, d'ailleurs. Copiant, épiant cette petite chose si fragile, boule de fourrure roulée en boule dans ce monde si cruel. Prêt à bondir simultanément pour la ramener si jamais la panique faisait surface et qu'elle tentait de s'en aller.

Non. Non. Pas le coeur de Bruna. Bruna aussi devait avoir peur. De la cabane. Pour Jim. Unisson de deux gibiers d'un même troupeau, unisson de pensée, unisson de survie.

Se souvenir d'être Bruna, pas Luna. Compassion, pas sadisme.

La rousse se releva, difficilement. De la terre maculaient ses jambes, terre fraiche de forêt. Sur ses mains, de l'eau tiède, eau de larmes. Jimena, déjà debout, l'aida à se redresser. La jeune fille vacilla un instant, elle l'étreignit briévement pour la maintenir debout. Pouls simultanés, comme un doux ronronnement de réconfort, puis elle s'éloigna, lui offrant un peu d'espace. Toujours proche néanmoins, prête à apporter une main secourable si besoin.

"Donc... Il y a... Il y a quelqu'un là-bas ? ..."

S'il y'avait... Bruna secoua la tête, plus par réflexe que pour réellement signifier sa négation. Même dans cet état, Jimena s'inquiétait de savoir si quelqu'un pouvait être là dedans ? C'était... incroyablement gentil. Humain. Stupide. Mais vu ses yeux pleins de larmes mais obstinés, elle ne partirait pas sans avoir eu une réponse certaine à cette question.

"Eh oh ? Y'a quelqu'un ?" lâcha Bruna d'une voix un peu chevrotante. Que devraient-elles faire si la réponse était "Oui" ? Ou pire, si la réponse était "Non !" ? Si Jimena était si terrifiée, il devait y avoir une raison... Et elle l'était terrifiée. Son coeur repartait de plus belle, plus vite, plus fort.
Non, elle devait rester forte. Pour Jimena. Même si ça devait la faire se sentir encore plus coupable d'être effrayée.

Sa voix se fit plus assurée, plus forte, alors qu'elle reposait une main sur l'épaule d'une Jimena tremblante." Personne ? Faites du bruit si vous m'entendez !"

Le vent continua de souffler, sifflant dans les branches feuillues qui les entouraient. Au loin, comme venant d'une autre dimension, quelques cris légers d'adolescent s'amusant. Décalés dans cette situation, effrayants par leur innocence.

"S'il y avait quelqu'un, ils auraient réagi... Non ?"

Pas de réponse de Jimena, ou de la cabane. Figé, tout était figé.
A part ce coeur si fort, cette respiration sifflante et haletante, cette peau moite de sueur.

"Ecoute, je te ramène à ta chambre, et je préviens qu'il y a peut-être quelqu'un de coincé. Pour être sûr. Même si on a dû se tromper. Mais maintenant, c'est toi la priorité. Regarde, tu ne tiens même plus debout."

"S'il y avait quelqu'un, ils auraient réagi... Non ?"

A deux reprises, Bruna avait lancé un appel vers la cabane. Et effectivement, personne n'y avait répondu. Jimena en était soulagée, même si elle sentait toujours une boule d'angoisse dans son ventre. Elles allaient pouvoir partir ?

"Ecoute, je te ramène à ta chambre, et je préviens qu'il y a peut-être quelqu'un de coincé. Pour être sûr. Même si on a dû se tromper. Mais maintenant, c'est toi la priorité. Regarde, tu ne tiens même plus debout."

C'était encore la meilleure solution.

"Oh, je vais bien ! Désolée, j'ai eut un peu peur, mais vraiment, je vais mieux..."

Elle voulait la rassurer, ne pas qu'elle s'inquiète. Bien sur, elle accepterai volontiers qu'elle l'accompagne jusqu'à sa chambre. Mais il était inutile de l'angoisser un peu plus. Et puis ça allait mieux maintenant qu'elle savait qu'elle n'avait pas à remettre les pieds dans cette cabane. Elle repensa à Greg l'espace d'un instant. Comment allait-il maintenant ? Et Vika ? Il s'était passé tant de choses...

"Je suis désolée pour la visite du Temple... On fera ça une prochaine fois d'accord ?"

Elle espérait secrètement que d'ici à ce qu'elles se revoient, elle aurait fait le tour du temple toute seule. C'était égoïste et la petite Brune s'en voulu de penser une telle chose, quelque part elle avait encore l'impression d'être inutile et faible. Surtout inutile. Elle prit le chemin du retour, à la fois soulagée et culpabilisante. Elle était pas croyable. Elle n'osait plus dire un mot tellement elle était honteuse de son comportement. Paniquer pour rien, c'était vraiment médiocre. C'était comme sa phobie de l'eau. Ca n'avait aucun sens. Elle ne savait même pas d'ou cela pouvait provenir. Un silence pesant s'installa, la petite sorcière se sentait de plus en plus mal. Elle venait encore de montrer ses faiblesses à une inconnue, heureusement que celle-ci était amicale autrement elle n'en aurait fait qu'une bouchée de pain.

Jimena entra dans le bâtiment du dortoir suivit de Bruna qui semblait ne plus vouloir la lâcher.

"Je vais m'allonger dans mon lit et ça ira mieux après. Encore désolée pour tout ça... C'est juste une vieille histoire qui a refait surface."

"C'est pas facile tout les jours de vivre ici !" allait-elle ajouter. Mais elle ne voulait pas lui faire peur. Et puis les apparences pouvaient être trompeuse. Bruna pouvait très bien être douée en magie ou elle ne savait quoi d'autres. Si ça se trouve c'était un vampire, ou même un gros monstre à trois bras et quatre yeux. On voyait de tout dans cette école !

"Euhm... Merci pour tout Bruna. Vraiment."

Sa chambre était au bout du couloir. Et lorsqu'elle releva la tête, son coeur fit un bond.