Une soirée calme dans une cour vide. Un coucher de soleil magnifique. Des étudiants au réfectoire. Et Sven sur un banc, dans la cour, en train de fumer une cigarette tout en regardant Kulis. Ce n'était pas à lui de surveiller le réfectoire aujourd'hui, du coup il avait reçu une pause d'une heure et demie. Cependant, il ne devait pas sortir de l'enceinte du lycée, car dès que le repas allait être terminé, les élèves pouvaient sortir librement jusqu'au couvre-feu. Et à partir de ce moment-là, il allait devoir être prudent. Prudent face aux vampires qui sentent l'odeur de son sang sur le bras, face aux élèves possédant des pouvoirs tous plus originaux les uns que les autres, mais toujours plus efficace que Sven et son katana.

Cela faisait maintenant une semaine que le suédois avait rejoint le lycée Yokai. Une semaine depuis sa première affectation pour la sortie scolaire et tout ce qui en a suivi. Le moins qu'il puisse dire, c'est qu'il ne s'attendait pas à cela. En effet, Hemlig, la mafia suédoise, était composé d'êtres sur humains, comme le disait lui-même Smitherson, mais jamais il s'était retrouvé nez à nez avec une guivre de magie. Sven, sur le coup, ne se sentait pas à l'aise et heureusement pour lui qu'il y avait deux élèves surpuissants, Lazarus Flanders et Bruna Brumelune, ainsi qu'Anod Itochi, le psychologue du lycée. Sans eux, il n'aurait jamais été capable de sauver les humains et de tuer la guivre. De plus, cette sortie lui avait fait prendre conscience de la réalité des faits : il est faible. De part sa condition d'humain, mais aussi avec son pouvoir. Et au bout d'une semaine dans le lycée, cette réalité lui sautait désormais aux yeux. Et ce n'était pas les évolutions de Kulis qui lui avait fait changer de point de vue.

En effet, cette sortie a eu une retombée positive pour Sven. Kulis avait évoluée. La première évolution depuis cinq ans. Elle était plus puissante, plus rapide. Ses transformations duraient deux fois plus longtemps qu'auparavant tout en conservant la même puissance et la même perte de sang. Et si Sven s'était plus ou moins exilé, c'était pour pouvoir écrire ses changements dans le cahier familial. Une fois fini, il rangea le cahier dans un sac et sortit une nouvelle cigarette. En la sortant, des souvenirs lui revint en tête, comme notamment la première fois qu'il avait fumé, au sein de la mafia. D'après Endrik, cela lui donnait un côté cool et décontracté. Ce même Endrik qu'il tua 14 ans plus tard. Tout ce chamboula dans sa tête. La mort de ses parents et de ses sœurs, Smitherson, Hemlig, Kulis, le sexe, la drogue, l'alcool, la cigarette, le combat contre Endrik, la révolte contre Smitherson ,la peur, la peur, la peur ...

Sven se réveilla en sursaut. Il était en sueur. Le surveillant avait du s'assoupir. Il faisait toujours le même rêve, celui de son passé, de ses souvenirs. De quand il a prit Kulis à Smitherson. Le rêve se terminait toujours sur Smitherson. Reprenant ses esprits, Sven se disait qu'il n' allait pas tarder à prendre rendez-vous avec le psychologue. Puis autre chose le fit sortir de sa torpeur. Les élèves sortaient du réfectoire et commençait à déambuler dans la cour. Sven remit Kulis dans son fourreau, afin de la cacher aux yeux de tout le monde. Puis tenta d'allumer sa cigarette pour reprendre de l'air, comme il aimait le dire. Seulement, avec cette semaine non stop de travail, il avait à peine eu le temps de sortir s'acheter une vingtaine de paquet de cigarette en oubliant l'essentiel : le briquet. Or le sien venait de tomber en rade. La belle affaire pour un accroc à la nicotine. Il tourna la tête et vit une jeune fille aux cheveux rose. Sven la trouvait jolie, mais ce n'était pas la question. En effet, la jeune demoiselle allait passer non loin de lui. Dès lors, il préparait sa phrase en japonais, une sorte de « excusez-moi, auriez vous du feu s'il vous plait ? » Seulement, à l'arrivé de cette dernière non loin du surveillant, cela donna autre chose.

Sven : Tu as du feu ?

L'autre phrase était encore trop complexe pour Sven. Du coup, au diable les bonnes manières. Sven espérait seulement que la jeune fille soit elle aussi fumeuse. Ou alors qu'elle ait un briquet sur elle. Soit, en derniers recours, que sa magie soit celle du feu.

Comme tous les membres de sa famille, Sven était victime d'une dépendance. Certaines étaient anodines, comme celles de ses deux soeurs, le chocolat et la lecture, d'autres étaient plus dangereuses, comme son père avec l'alcool ou Sven lui-même avec la cigarette. Et encore, il pouvait s'estimer heureux, certains de ses ancêtres avaient le meurtre comme addiction ou encore le masochisme, autant dire que le surveillant s'en tirait bien. Et quelle fut sa joie quand la jeune fille fit apparaître une flamme allumant sa cigarette. La remerciant d'un signe de tête, le suédois prit une grande inspiration tout en levant la tête vers le ciel. Il se sentait mieux. Il respira deux trois bouffées, rebaissa sa tête et vit la jeune fille qui se trouvait toujours devant lui. Elle semblait gênée mais en même temps relativement heureuse d'avoir pu rendre service. Le surveillant la regarda avec bienveillance, elle ne semblait pas être une folle psychopathe comme il en avait déjà croisé au sein de lycée. Pour autant, son pouvoir éveillait la curiosité de Sven. Elle avait fait apparaître une flamme, comme cela, comme par magie. Le surveillant se trouva bête de penser cela, surtout dans un lycée comme Yokaï, mais il était vrai que cela impressionnait encore le jeune homme. Puis il reprit une bouffée et se rappela l'adage de la mafia, à savoir que le plus important dans l'affaire n'était pas le comment mais le résultat. Ici, peut importe comment cela s'est passé, mais la cigarette était allumée.

Un silence gêné s'installa entre la jeune fille, qui ne bougeait pas d'un pouce et Sven, qui ne savait quoi dire. Il regarda l'heure, il avait encore 30 minutes devant lui.  Il regarda le ciel. Il ne voulait pas la quitter ainsi, cela serait irrespectueux. Car même si depuis l'histoire de la mafia il avait du mal avec les relations sociales, il ne pouvait décemment pas laisser une personne ainsi, d'autant plus quand cette dernière lui à donner un coup de main. De plus, elle semblait aussi perdue que lui. Le surveillant regarda le ciel. En temps normal, il aurait emmené la personne boire un coup en ville. Sauf que cela était impossible.

Sven : Merci de m'avoir allumé la cigarette.

C'était déjà la première chose à faire. La remercier de vive voix. Le suédois s'en voulait de lui avoir dit cela que maintenant, mais bon, mieux vaut tard que jamais. Puis Sven se rappela de deux choses qu'il avait envie de faire. Visiter la roseraie du lycée, en hommage à sa famille, et aller sur le toit, car tout le monde en parlait en disant que la vue était superbe. Il avait le temps pour faire l'un des deux. De plus, il se disait que cela pourrait faire plaisir à la jeune fille d'aller à l'un ou à l'autre des lieux. Dans tous les cas, Sven se devait de la remercier. Il allait lui demander quand il se rappela qu'il ne pouvait le lui dire en japonnais. Pas encore le niveau. Du coup, il lui fit la demande en anglais, en espérant qu'elle le comprenne.

Sven : Afin de te remercier, cela te dirait d'aller à la roseraie, sur le toit ou peut être ailleurs ?

Le jeune homme regarda l'étudiante, puis sa rappela qu'il avait oublié de lui dire quelque chose.

Sven : Je me nomme Sven.

La délicatesse de ses dire tranchait avec le style direct qu'il utilisait. Et cela, Sven le savait. Elle pouvait prendre cela comme une agression. Et c'était bien la dernière chose que voulait le surveillant. Mais pour Sven, ce qu'il venait de faire relevait déjà de l'exploit. Il venait de dire son nom. Sans savoir pourquoi. Comme s'il sentait qu'il pouvait avoir confiance en elle.

La jeune fille s'appelait donc Sona. Un prénom aussi joli que son visage. Sven commençait à la voir se dérider un peu, notamment lorsqu'il lui avait parlé en anglais. C'était la première fois que parler en anglais procurait autant de plaisir à quelqu'un au sein de lycée. La plupart du temps, il était juste perçu comme un extraterrestre ne sachant pas parler japonnais. Mais bon, parler anglais c'était quand même plus simple pour la compréhension que s'il parlait dans sa langue maternelle.

Le surveillant regarda l'étudiante. Cette dernière avait peur d'enfreindre le règlement en allant sur le toit. Sven repensa au règlement du lycée, et à aucun moment il n'était mentionné que le toit était interdit d'accès. Le suédois regarda la jeune fille et lui parla toujours en anglais.

Sven : Il n'y a pas de problème à aller sur le toi. Et il n'y en aura pas.

En  disant cela, Sven avança vers elle puis la dépassa. Il allait en direction du lycée. Une fois qu'il fut à une bonne dizaine de mètres, il se retourna afin de parler à Sona.

Sven : Libre à toi de me suivre ou non.

Sven venait de gagner un malus de -10 en tact. C'était mieux que d'habitude. Néanmoins, le style était toujours aussi brutal. Le surveillant enleva la cigarette de sa bouche, la jeta, fit un sourire à Sona et se retourna afin de continuer sa route. Elle le suivra s'il elle en avait envie.

Le surveillant avança dans le lycée jusqu'à tomber sur les escaliers donnant sur le toit. Il les monta sans se retourner pour voir si elle se trouvait derrière lui ou non. Puis arriva à une porte, qu'il ouvra en forçant un petit peu. Et ce qu'il vit le subjuga.

La vue était superbe. Les étoiles apparaissaient afin de compléter un tableau ou le soleil, rouge comme le feu, embrasait le ciel de sa couleur et de sa chaleur. La vue donnait sur l'horizon. Une vue que Sven n'avait vu auparavant que dans des films. Lui qui n'était que peu impressionnable il y a encore 2 semaines, c'était une tare dans la mafia, avait l'impression de découvrir tous les jours des choses qu'il pensait irréel. Malgré sa situation dans le lycée, il avait l'impression de réapprendre à vivre. Après 14 ans dans la mafia. 14 années de sa vie perdues, dont une partie de sa jeunesse et son adolescence. Et c'est à 27 ans que sa vie débuta. Enfin, pour être plus précis, reprit. Sven se mit à sourire puis s’essaya sur le bord du toit afin de mieux profiter du paysage et du ciel et prit instinctivement une cigarette. Pour autant il ne se fit pas de soucis pour l'allumer. Sans savoir pourquoi, il pensa que Sona allait le suivre. Elle aussi avait apparemment besoin d'un moment comme celui-ci. Un moment où les mots n'étaient rien face à la beauté du paysage.

Le coucher de soleil et la vue qui l'accompagnait venait de laisser place à la lune. Elle venait de rentrer dans le charme du moment, cette lune bien belle, bien ronde, bien pleine. Sven se mit à sourire tranquillement puis regarda sa montre. Il avait encore du temps à tuer. Mais pas tout seul cette fois-ci. En effet, Sona venait de le rejoindre sur le bord du toit. Pourtant, et malgré le fait que Sven la pensait peu dangereuse, il se préparait à tout et n'importe quoi. Qu'elle se transforme en loup garou, qu'elle décide de l'attaquer pour une raison ou pour une autre. Cela lui faisait de la peine de devoir se méfier de quelqu'un qui, de visu, semble plus pacifique que sanguinaire. Mais bon, comme le disait la seconde règle du parfait petit mafieux d'Hemlig : Il faut toujours se méfier quand on est à l’extérieur, car tu ne le sais pas encore, mais dehors tu es peut-être déjà mort. Ah, l'humour de la mafia, quelque chose de si particulier. Dans les escaliers, dans un angle, il avait donc changé Kulis de place. Elle n'était plus dans son dos, mais au niveau de son flanc gauche. Au cas où.

Pour autant, le moment était agréable. Sona semblait elle aussi heureuse d'être là. Puis cette dernière prit la parole afin de demander au jeune suédois ce qu'il faisait dans le lycée. Sven retira la cigarette non allumée de sa bouche puis baissa la tête en direction de la cour.

Sven : Je suis surveillant.

Simple et clair. Le surveillant voulait lui poser la même question, seulement il lui semblait déjà connaître la réponse. Ce devait être une étudiante. Au vu de son visage, de sa taille, elle ne devait pas être trop loin des 18 ans. Dans le doute, il ira vérifier quand même dans le trombinoscope.

C'était maintenant à lui de prendre la parole. Bien qu'elle semblait gênée, elle avait fait l’effort de poser la première pierre de l’édifice. C'était au tour de Sven de continuer. Seulement, il hésitait. Il voulait lui poser une question. Une question très impolie quand on ne connaît pas encore la personne. Une question qui ne devrait pas venir à l'idée de Sven. Tout du moins pas maintenant. Pourtant, Sven avait envie de savoir la réponse. Enfin, plutôt qu'une envie, c'était un besoin.

Sven : Tu faisais quoi avant d'être ici ?

Impolitesse. C'était le mot qui revenait à l'esprit de Sven à la suite de sa question. Pourtant, le suédois avait besoin de savoir. Savoir pourquoi elle était là. Si c'était pour maîtriser ses pouvoirs, ou car elle avait quelque chose à cacher. Sven avait lu des choses sur certains élèves qui lui faisaient dire que lui-même était un enfant de cœur. Mais il n'arrivait pas imaginer qu’elle ait été un jour un monstre dans la société… tout comme elle, qui ne savait pas qu'elle se tenait à côté d'un meurtrier renommé, élu cinq fois mafieux de l'année par Smitherson. Mais la réelle raison qui le poussait à poser cette question, c'est parce que le suédois ne savait toujours pas qui il était et ce qu’il était. Un humain ou un monstre ? Docteur Jekyll ou Mister Hyde ? Se dire que cette jolie jeune fille aurait pu être un monstre dans la ville lui donnerait peut-être une réponse sur sa propre condition.

Egoïsme. C'est le mot qui venait désormais. Il voulait se servir de Sona pour essayer de répondre à sa question. Peut-être qu'en lui posant cette question, des mauvais souvenirs lui sont revenus. Elle est peut-être ici car ses parents sont morts et qu'elle ne pouvait gérer ses pouvoirs seule. Sven voyait en elle la possibilité de se dire que le changement était possible, ancien monstre devenu humain. Seulement il commençait à se dire que si ce n'était pas le cas… ça ferait de lui un être véritablement égoïste. Mais dans tous les cas, il commençait à s'en vouloir. Sven, en quête de réponse sur sa condition, avait voulu impliquer quelqu'un qui n'a peut-être rien fait de mal.

Sven : Oublie ce que je viens de te dire.

Trop tard, le mal venait certainement d'être fait. Et en plus, pas un mot d'excuse. Sven se sentait mal. Pour la première fois depuis longtemps, il avait l'occasion de discuter avec quelqu'un. Dans un cadre magnifique. Sans contrepartie.  Et il commença à avoir peur. Peur d'avoir tout gâcher. Autant sa soirée que celle de Sona. Surtout celle de Sona.

Sven : Désolé si je t'ai blessé avec cette question. C'est juste … qu'en ce moment je ne sais pas vraiment qui je suis et comment je dois agir. J'ai besoin de repères.

Sven se sentait de plus en plus mal à l'aise. Et cela même si Sona lui avait assuré qu'elle n'était pas blessée. En effet, le suédois s'en voulait encore de lui avoir poser une question aussi indécente.  Et, pour couronner le tout, elle venait de lui faire la morale. Ce n'était pas méchant, loin de là, et Sven prit les paroles de la jeune fille de manière positive, mais c'était le principe. Dans la société suédoise, ce sont les adultes qui aident les enfants, et non l'inverse.

Le surveillant regarda le ciel tout en faisant un geste automatique, à savoir le mouvement de bras caractéristique des fumeurs. Seulement cela ne lui procura aucun effet vu que sa cigarette était encore et toujours éteinte. Le moment où il avait fumé sa dernière cigarette lui semblait être un lointain souvenir. Cela ne faisait que dix minutes tout au plus. Pour Sven, une éternité. Surtout maintenant qu'il ressentait le besoin de fumer pour se détendre. Il lui fallait faire autre chose en attendant.

Le suédois décida donc de se relever et se mit à faire les cents pas derrière Sona. Et se mit à penser à ses paroles. Elle l'avait touché dans sa fierté. Mais aussi dans son être au plus profond. Elle parlait avec sincérité, comme si son histoire avait eu un lien avec celle de Sven. Comme si elle avait vécu une expérience similaire à la sienne. Comme si, elle aussi, ne savait pas où elle allait dans la vie. Seulement, elle semblait ne pas avoir perdu espoir. La preuve en était que dans ses dires elle parlait d'avenir, d'un but dans la vie guidant les faits et gestes, de vie présente et de futur, et non  des expériences passées. Sven se retint de lui poser une autre question impolie, du style : « As-tu trouvé ton but ? ». Mais cette question, qui semblait anodine, avait un tout autre sens dans l'esprit de Sven. Quel était son but, son objectif ? Se venger ? Oublier ?
Cette question sans réponse pour le moment avait un lien avec une autre question, plus important que tout au yeux de Sven : Qui suis-je ?

Le surveillant arrêta sa marche et regarda Sona. Elle venait de poser le doigt là où cela faisait mal, sans pour autant le faire exprès. Et Sven ne lui en voulait pas, au contraire.

Sven : Merci pour ta sincérité. Seulement …

Le suédois pensa à sa famille, à son histoire. Tout s’enchaîna dans sa tête à vitesse grand V. Il essayait de trouver un mot de réconfort pour Sona, afin de lui rendre la pareille. Et éviter que le dialogue s'éternise sur le sujet. Éviter le rapport habituel entre la personne qui aide et la personne qui a besoin d'aide. Surtout qu'elle aussi semblait se poser la même question existentielle que Sven, à savoir celle sur sa propre existence. Pour la première fois depuis la mort d'Endrik, il se sentait moins seul. Comme s'il avait quelqu'un à qui il pouvait parler, et qui le comprenait. Seulement …

Sven : Tu parles de futur … Tu parles d'objectif … Comment peux-tu en avoir un si tu ne sais pas qui tu es ? Mon futur est lié à mon passé. Quand je saurais qui je suis, je pourrais savoir ce que je doit faire. Mon passé me hante tout les jours. Toutes les nuits. Tout le temps. Je n'ai pas de but, personne à protéger à part moi-même. Je suis seul.

Sven se mit à verser une larme. Quand il s'en rendit compte, il se retourna afin de ne pas montrer à Sona sa tristesse. Et, machinalement, continua son mouvement de bras. Il avait besoin d'un cigarette. Et allumée, de préférence.

Calme. Fraicheur. Serénité. C'est l'heure pour les élèves de faire leurs devoirs, de papoter, ou encore
de se rendre aux activités de leur club.

Tiens, d'ailleurs, c'est la nouvelle lune ! Le club d'astronomie en serait ravi. Ah bah tiens, c'est justement le jour où ils se réunissent sur le toit pour observer les étoiles.

La porte grince, et un freluquet arrive sur le toit, téléscope sous le bras. Il vous voit.

"Eh ? Mais on a pas le droit d'être sur le toit à cette ... Oh. D'accord."

Il regarde fixement Sven, puis Sona avant de faire demi-tour à vitesse grand V.

"Je vous laisse, hein !"

Clac. La porte que vous aviez pris garde de laisser entrebaillée se referme derrière lui et vous l'entendez beugler dans l'escalier à l'attention de ses potes : "Eh les gars, on se casse ! Y'a un mec du comité qui emballe une nana !". Calvacade alors qu'ils s'en vont, vous laissant coincés sur le toit puisque la porte ne dispose pas de poignée de votre coté. Bien joué les z'amoureux.

Le surveillant était triste. Il venait de se rendre compte qu'il était seul. Seul avec sa malédiction. Seul avec lui même. Personne pour venir le réconforter. Pas de famille à aller voir ou à appeler, pas d'ami comme Endrik qui se démène pour lui faire oublier son quotidien. Il n'était pas du genre à s’apitoyer sur son sort, loin de la même, mais il fallait avouer qu'une fois de temps en temps il avait du mal. Du mal à supporter son passé, à supporter Kulis, à se supporter. Et, dans son esprit, cela était logique que personne ne veuille venir le voir. Il était froid, peu bavard, pas asocial, mais avait peur du contact avec les autres. Peur de s'attacher à quelqu'un. Peur de devenir un monstre et de lui faire du mal. Avec sa cigarette toujours éteinte, ce qui le rendit plus triste, le suédois leva les yeux au ciel et pensa à tout ceux qui sont morts par sa faute. Que ce soit volontaire ou non. Surtout volontaire dans le cadre de la mafia. Il se mit à haïr sa faiblesse. Il n'arrivait pas lui même à savoir de quel côté il allait pencher en faveur de la monstruosité ou de l'humanité. Et surtout, il ne savait pas quand cela allait arriver. C'était pour cela qu'il voulait voir le psychologue. Afin de faire le vide dans son esprit.

Puis quelque chose le fit sortir de cet état. Sona venait de lui attraper le bras. Sven la regarda. Elle venait afin de le réconforter. De lui apporter son soutien.

Sona : Tu n'es pas quelqu'un juste parce que tu as un passé qui te le dit. Tu es ce que tu décides d'être, ce que tu montres aux gens. Tu es par tes paroles et par tes actes, pas simplement par ton passé. Je sais ce que tu ressens, je l'ai vécu aussi... Mais j'ai appris à m'en détacher, à oublier cette douleur amer qui reste incrustée dans les souvenirs, pour pouvoir enfin avancer, et devenir quelqu'un d'autre.... Quelqu'un dont je pourrais être fière.

Sven sentait qu'elle parlait avec sincérité. Elle s'était réellement trouvée dans la même situation que lui. Enfin, certainement pas exactement la même, mais en ce qui concernait le fait de ne pas pouvoir se donner une identité propre, lié au fait de ne pas avoir de réponse sur son existence, cela semblait acté. De plus, la jeune fille avait raison. Et Sven le savait. Seulement c'était plus facile à dire qu'à faire.

Le surveillant avait toujours son regard fixé sur Sona lorsque la porte du toit s'ouvrit. Un jeune garçon, très maigre, arriva sur le toit avec dans ses bras un télescope. Puis regarda Sven, Sona, puis de nouveau Sven avant de faire demi-tour en lançant un explicite « Je vous laisse, hein ». Puis il referma la porte derrière lui. Avec un clac significatif. La porte venait-elle réellement de se fermer?
Il faudra aller voir, mais de cette intervention pour le moins surprise, Sven avait bien l'impression que la soirée allait se continuer sur le toit.

Sona ne réagit que peu à l'arrivée pour le moins fracassante du garçon, et de son départ tout aussi fracassant. Elle semblait surtout blasée par la tournure des événements. La jeune fille se tourna ensuite vers le surveillant, lui adressa un sourire, et lui dit qu'il n'était plus seul désormais. Et elle voulait même devenir son ami. Devant cette attention, Sven lui prit la main.

Sven : Je suis désolé, je ne suis pas du genre en temps normal à m’apitoyer ainsi sur mon sort, c'est juste … que j'ai eu un coup de moins bien. Ensuite, je serai ravi de devenir ton ami. Merci Sona. Je te ferrais découvrir le lycée. Dan tout ses recoins. Enfin … sans arrières pensées hein.

Le suédois se mit à sourire à la jeune fille. Cette soirée lui avait fait du bien. Seulement, il y avait toujours ce petit hic. Cette petite chose qui faisait en sorte que cette soirée risquait de s'éterniser. Le surveillant lâcha la main de la jeune fille et se dirigea vers la porte. Avant de se dire « merde »

Sven : C'est bien ce qui me semblait. On est coincé. Pas de serrure, pas de poignée. J'espère que tu as une idée pour partir d'ici, car pour le moment nous sommes bloqués. Et moi, a part détruire le toit, je n'ai pas de solutions en tête.

Lorsque Sona se mit à rire, le surveillant se disait que la soirée n'avait pas été bénéfique qu'à une seule personne. La jeune fille était ravie. Cela semblait être la première fois depuis bien longtemps qu'elle avait réussi à parler ainsi, un peu comme Sven en fait. Ce dernier se trouvait toujours devant la porte, en train de se demander comment ils allaient faire pour sortir d'ici. Enfin, ils étaient déjà dehors, mais être coincé de nuit sur un toit n'est pas la position la plus confortable. Surtout qu'il commençait froid. Sven, en bon suédois, s'en moquait, mais il se disait que Sona commençait peut être à avoir des frissons.

Le suédois regardait toujours la porte. Il ne voulait utiliser Kulis, car la seule solution viable ici était la masse. Et du coup la destruction du toit était une blague sans en être une. Puis Sona prit la parole. Elle voulait utiliser ses pouvoirs pour ouvrir la porte. Et avant même que le surveillant ne lui dise quelque chose, une poignée se matérialisa sur la porte. Sven eu des frissons. Sona venait de faire apparaître une poignée. Plutôt efficace comme pouvoir. Le surveillant ne savait quel type de pouvoir ceci était, mais le moins que l'on puisse dire c'est qu'il semblait assez puissant. Faire apparaître du feu, puis une poignée … Il regarda la jeune fille qui souriait. A côté d'elle, Sven ne se sentait pas faible, mais il se disait que si son pouvoir se base sur l'imagination, alors elle n'avait aucune limite. Contrairement à lui.

La jeune fille prit la poignée, ouvrit la porte et proposa au suédois de continuer la conversation dans le lycée plutôt que dehors. Ce qui sur le principe ne gênait que peu le suédois. Seulement il n'avait plus le temps. Il allait devoir reprendre son travail, notamment dans les dortoirs. Dortoirs que, sur le principe, elle aurait déjà du rejoindre. Sven accepta la proposition de la jeune fille et pris les devants dans les escaliers. Après avoir refermé la porte, le surveillant prit la parole.

Sven : Merci pour la porte, seulement évite à l'avenir d'utiliser tes pouvoirs ainsi. De une car c'est interdit par le règlement et de deux car si tu venait à tomber sur quelqu'un de malveillant, cela pourrait mal se passer pour toi. Ça, c'est ma version surveillant. Car en soit je m'en fiche que tu utilise tes pouvoirs ainsi pour aider les gens. Par contre, fait vraiment attention avec qui tu les utilisent. Ça, c'est la version de l'ami.

Le surveillant parlait tout en continuant de descendre les escaliers. Il se devait de la prévenir. Après tout, c'était son travail. Même si, dans le fond, il s'en foutait royalement. Tout du moins tant qu'elle utilisait ses pouvoirs pour autrui.

Une fois en bas des escaliers, Sven se retourna afin de regarder la jeune fille. Puis regarda sa montre. Il devait vraiment retourner travailler.

Sven : Je suis désolé Sona, mais je vais devoir te laisser la car je vais devoir retourner travailler. Quand à toi, tu ferrais mieux d'aller dans ton dortoir, à cette heure-ci tu devrais déjà y être. Tu dira à ton surveillant référent que tu était avec moi, il ne devrait pas avoir de problèmes. Dans tout les cas, merci pour cette soirée. Tu es une jeune fille formidable. J'espère que l'on aura de nouveau du temps pour traîner ainsi. Vi ses. A bientôt en suédois.

Le surveillant regarda le jeune fille puis se retourna et parti en direction du bureau des surveillants. Cette soirée lui avait vraiment fait du bien. Il avait l'impression d'avoir trouvé quelqu'un qui pouvait le comprendre. Qui pouvait l'écouter et lui parler. Une amie comme l'aurait dit Endrik. Pourtant, et même si la soirée était très bien, il y avait toujours quelque chose qui ne s'était pas arranger. Quelque chose d'insignifiant pour beaucoup, mais qui pour Sven était très important. Dans sa bouche se trouvait une cigarette. Toujours éteinte. Et toujours rien pour l'allumer. La poisse. Il venait de battre son record d’abstinence depuis bien longtemps, mais il commençait à avoir du mal à résister. Déjà tout à l'heure il avait du mal. Mais il était avec Sona, donc il pensait à autre chose. Mais là … Sven repensa à Sona. En espérant pouvoir avoir de nouveau du temps en commun avec elle pour de nouveau traîner et discuter. Et qu'elle puisse allumer sa cigarette.

Sona s'attendait à une remarque du surveillant concernant l'utilisation de ses pouvoirs. Il était dit et répété dans le règlement que c'était interdit, mais bon... Ils n'allaient pas rester sur le toit indéfiniment à cause de ça! Cependant sa remarque calme et attentionnée lui fit plaisir, car c'était bien une des seules fois où quelqu'un la conseillait et se préoccupait de sa sécurité. S'il savait... Sona était bien une des dernières personnes à avoir besoin de protection après tout. Elle savait tuer de façon discrète, simple et efficace, sans hésitation et sans laisser de preuves. La jeune fille aux cheveux roses se mordit la langue alors qu'elle refusait de penser à ça d'avantage.

" Ne t'en fais pas Sven, je ne fais pas usage de mes pouvoirs à la légère, ni devant n'importe qui. Mais... merci. "

Sona lui adressa un sourire franc et descendit silencieusement les escaliers à ses côtés. Sven reprit alors la parole, pour lui expliquer que leurs chemins devaient se séparer là pour cette fois car il avait du travail et que le couvre-feu était passé pour elle. La jeune fille s'apprêtait à acquiescer et à le saluer quand il prononça cette phrase " tu es une fille formidable ". Cette phrase si chère à son coeur. Ce dernier manqua un battement d'ailleurs et elle mit quelques secondes à se remettre de ses émotions. Sona ouvrit la bouche sans qu'aucun son ne s'en échappe pendant un moment, puis elle réussit enfin à lui dire:

" Oui j'espère aussi... "

Sa voix se brisa légèrement sous l'émotion et après un salut rapide de la main en direction de Sven elle s'éloigna en vitesse. Ses yeux s'emplissaient de larmes à mesure qu'elle s'éloignait. A mesure qu'elle pensait à Leo et à cette douleur qui persistait dans sa poitrine. Mais elle était heureuse. Heureuse de pouvoir entendre de nouveaux ces mots de la bouche de quelqu'un d'autre....

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