Voilà près d’un an que je suis ici. Près d’un an à côtoyer ces créatures venues de je-ne-sais quel monde et ce, dans un anonymat quasi-parfait. Et dire qu’au début, je n’y croyais pas! À présent, voir des chats-garou et des élémentaires de feu fait pratiquement partie de mon quotidien... Ne croyez-pas que j’ai perdu mon objectif de vue, bien au contraire; mon intégration à cette société n’a jamais été aussi profonde qu’aujourd’hui. J’ai même réussi à découvrir l’existence d’une sous-branche de Fairy Tale, cette organisation qui projette de dominer le monde : l’Antithèse. Leur but est plutôt simple : éliminer la race humaine. Je dois m’en méfier. Si jamais ils me tombent dessus...

Mitsuki ne pu s’empêcher de sourire en lisant ces quelques lignes. L’Antithèse. Quelle frayeur elle avait eu en découvrant l’existence de l’association! Elle s’était mise à soupçonner tout le monde, même ses amis de longue date, d’en faire partie. Elle ne savait plus qui croire, qui craindre, et encore moins comment se sortir de ce calvaire. Puis la solution était apparue d’elle-même... le moyen le plus efficace pour être à l’abri de l’Antithèse était bien évidemment... d’en faire partie.

Ça n’avait pas été une partie de plaisir. Il lui fallait d’abord trouver des contacts, des raisons pour lesquelles elle aurait pu découvrir l’existence de l’organisation. C’était un obstacle majeur jusqu’à la redistribution des chambres, où elle ne tarda pas à découvrir que sa nouvelle compagne faisait très probablement partie du groupe. De fil en aiguille, elle lui proposa l’idée d’y entrer à son tour, si bien qu’après quelques semaines, Mitsuki faisait ses débuts comme femme de main de l’association criminelle du Lycée. Son déguisement était simple, mais fragile. Elle se faisait passer pour une hybride, semi-humaine du côté de son père, qui en raison de sa faiblesse écœurante, détestait les humains et tout ce qui y était rattaché. Par chance, on ne lui avait jamais demandé de démontrer ses pouvoirs. La haine qu’elle affichait sur son visage en parlant des hommes semblait avoir convaincu les embaucheurs...

Cette mission était sa première. Elle devait préparer le terrain pour une attaque en règle prévue la semaine suivante. À la base, tout était simple. D’autant plus que le travail en tant que tel constituait à amasser des informations sur les différents modes de vie des humains pour mieux les infiltrer. Étant elle-même humaine, Mitsuki n’y avait vu au départ aucune difficulté majeure. Les choses s’étaient corsées quand elle avait appris qu’elle allait devoir faire équipe. Avec qui, elle l’ignorait. Mais le rôle qu’elle endossait devenait entièrement différent : d’humaine jouant à l’humaine, elle devait maintenant jouer le rôle d’humaine jouant au monstre jouant à l’humain, mais de façon assez convaincante pour que son coéquipier-mystère y croit, sans toutefois être parfaite pour ne pas se trahir. La chose s’annonçait complexe.
Elle aurait voulu avoir une description physique, un visage sur lequel se baser pour identifier son équipier. Mais le véritable test était peut-être justement là. Peut-être attendaient-ils d’elle qu’elle découvre celui ou celle avec qui elle allait devoir travailler.

La jeune espionne se mit donc à observer. À cette heure du jour, le centre commercial était plein. Elle élimina tout d’abord les familles, puis les couples. Il était improbable que l’agent de l’Antithèse soit déjà accompagné. Y passèrent ensuite les personnes âgées. Sans savoir pourquoi, Mitsuki était certaine qu’aucun professeur ou autre adulte ne serait son coéquipier. Les choix étaient donc restreints. Cet homme dans la vingtaine au cellulaire assis au bord de la fontaine. Cette femme entre deux âges observant un mannequin dans une vitrine. Non, vraiment, personne ne correspondait à l’image que la jeune fille s’était fait dans sa tête. Et pourtant, elle passait à côté de quelque chose, elle le savait, elle le sentait . Elle avait beau ne pas avoir de pouvoirs à proprement parler, ses années de formations lui avait permis de développé un sixième sens pour l’espionnage. Et, dans cette situation, elle savait pertinemment que c’était elle, la cible.

Lentement, très lentement, elle ferma les yeux, respira. Puis elle les ouvrit, et assimila chaque détail qui s’offrait à elle, ne laissant rien lui échapper. Elle ne se contentait plus de voir. Elle comprenait. La robe du magasin avait une tache à la taille. Du café, très probablement de la même provenance que celui composant la tache sur le chemisier de la femme tenant un gobelet à la main. Cette même dame qui vient de croiser un homme, qui la salue comme une vieille connaissance. D’abord hésitante, la femme joue la carte de la reconnaissance. L’homme lui fait la bise puis lui dérobe subtilement son porte-monnaie, le substituant pour un autre identique, sans que la femme ne le remarque. Ils discutent un peu, puis l’homme s’éloigne, sourire aux lèvres. Il n’a même pas remarqué que c’est lui, qui s’est fait embobiner, puisque le complice de la femme lui a subtilisé son propre portefeuille. Tout cas pour une tache de café.

Rotation du regard de dix degrés. Analyse d’une nouvelle scène. Et ainsi de suite. Jusqu’à ce que... là. Une fois qu’on l’avait remarqué, il était impossible de ne plus le voir. Assis sur un banc tout simple, il semblait attendre quelque chose. Son allure n’avait rien de remarquable. En fait, il ne dégageait strictement rien. Comme s’il n’avait pas de présence, pas d’odeur. Ses cheveux bruns biens coiffés n’attiraient ni le regard, ni ne le repoussait. Il était bien habillé, sans toutefois entrer dans la classe supérieure. Il n’était pas pour autant normal. Il était... inexistant.

Et c’est pour cette raison que Mitsuki su qu’elle venait de localiser son acolyte. Que devait-elle faire à présent? Marcher vers lui, se présenter? Non, c’était la dernière chose à faire... Peut-être la cherchait-il, lui aussi? Peu probable. À voir son aire blasé, presque dégoûté, il avait simplement hâte d’en finir pour enfin quitter cet endroit. Il ne la cherchait pas. Il attendait qu’elle le trouve. Et elle l’avait trouvé. Aussi resta-elle assise sur son banc, le fixant de peur qu’il ne redisparaisse dans les méandre d’un quelconque monde insivible.

Alvis tenait sa première mission, un calvaire.

Le doppelgänger devait s'infiltrer parmi les humains, ceux qu'il détestait le plus en l’occurrence. L'infiltration était des plus simples un grand espace remplit de monde qui marchait dans tous les sens sans se regarder les uns les autres. Aucun soupçons ne pesaient sur qui que ce soit, même pas entre eux. Un centre commercial bondé, des magasins aux offres promotionnelles plus attirantes les unes que les autres. Les humains étaient vraiment des êtres à vomir, tous plus cupides les uns que les autres.
Il était arriver tôt, peut-être trop tôt. Observant ces pauvres humains. Alvis devait en plus faire équipe avec un autre membre de l'antithèse. Cela pouvait être une bonne idée, le monstre n'avait aucun préjugé sur les autres membre de l'antithèse mais il avait l'habitude de travailler en solo.
Il s'était renseigné à l'avance, et étant plus haut gradé que son équipier. Équipière même, en portrait rapide Alvis avait pu repéré, avec le peu d'informations qu'on a bien voulu lui communiquer :

- Jeune femme;
- Cheveux roses;
- Plutôt grande, svelte;
- Semi-humaine, pas d'informations sur ses pouvoirs;

Il avait pu la voir rentré dans le centre commercial. Puis s'arrêter pour observer les gens autour d'elle. Une très bonne technique d'analyse, approuva Alvis, mais elle était en évidence et semblait passer au scanner chaque personne autour d'elle. Personne ne la remarqua, mais le doppelgänger si.
Il l'observait comme si de rien n'était, ne se faisant pas remarquer mais ne cherchant pas non plus à cacher sa présence. Alvis l'observait, elle cherchait certainement son co-équipier dans la foule. Puis il sentit qu'elle l'avait enfin remarquer, une fois cela fait elle se demanda certainement comment l'aborder. Il eut alors une idée pour la surprendre, et si une personne avait pu le repéré alors il se devait de ne pas resté statique à ne rien faire.
Le moment opportun allait venir, un groupe de jeune lui passait devant. Alvis se leva alors sans précipitation et disparu parmi les humains. Sans se faire remarquer parmi ce groupe de jeunes gens il en choisit un. Il assimila rapidement ses manières, sa façon de parler et de penser. Puis il prit une attitude différente pour mettre en confiance le jeune homme et enfin le doppelgänger l'attira dans les toilettes,

- Eh ! Attends, je dois te parler d'un truc. On se connait pas mais c'est à propos de tu-sais-qui.

- Euh ... Ah tu veux me parler d'elle ?

- C'est ça, mais n'en dis pas plus viens avec moi, on rattrapera les autres après.

Le jeune homme le suivit sans hésitation. Une fois dans les toilettes du centre commercial l'humain voulut continuer à parler de cette fameuse affaire dont il pensait pouvoir parler avec cette personne qu'il ne connaissait pas. Mais sans crier gare Alvis sortit son couteau de son pantalon et le planta dans le ventre du garçon en lui apposant sa main libre sur sa bouche pour l'empêcher de crier ou d’appeler à l'aide.
Son visage était fermé, presque blasé, mais progressivement ses lèvres s’étirèrent en un sourire malfaisant et respirant le sadisme. Alvis regarda la vie quitté le jeune homme dans ses bras avec délectation. Puis il prit soin de cacher son corps sans vie dans les toilettes et de prendre son apparence avant de ressortir parmi la foule.
Sa chevelure avait tout à fait changer passant du noisette au blond, avec des épis partant dans tous les sens et des mèches devant le visage. Ses yeux étaient devenus d'un bleu pale brillant. Sa chemise blanche avait laissé place à une veste blanche ornée de carreaux noirs sur l'épaule gauche, en dessous de cette veste il porte maintenant un juste au corps noir à fermeture éclaire remonté jusqu'au niveau du haut de son torse. Son pantalon marron avait été remplacé par un jean large gris sur le haut puis blanc ensuite. Ses chaussures en cuir italienne s'étaient changées en une paire de vans larges noir sur le haut avec des lacets rouges aux semelles grises. En sortant des toilettes Alvis avait pris soin de casser la poignée pour ne pas être dérange par l’effervescence que provoquerait la découverte d'un corps.

Nouvelle apparence d'Alvis:

Paré de sa nouvelle apparence le doppelgänger avança dans la foule pour retrouver la jeune femme qui serait sa co-équipière dans cette mission d'infiltration. Une fois arrivé à sa hauteur il l'approcha doucement en prenant soin de ne dégagé aucune animosité, voire même une certaine sympathie grâce à un petit sourire charmeur,

- Figure de style qui consiste à rapprocher deux mots ou groupes de mots exprimant des idées contraire. Lui dit-il en s'arrêtant derrière elle.

Il était en tout point semblable au jeune homme qu'il avait tué quelques minutes auparavant, un seul point était différent de l'original. Son ombre, en effet Alvis comme tout ceux de son espèce n'avait pas d'ombre néanmoins parmi cette foule compacte personne ne pouvait remarqué ce fait, de plus sous cette lumière artificielle même les humains autour d'eux n'ont pas une ombre très opaque ceci rendant le doppelgänger quasi-invisible, du moins semblable à tout le monde pour être plus précis.

Il ne bougeait toujours pas. Pourquoi ne montrait-il donc aucun signe de reconnaissance? C’en était perturbant...C’était-elle trompée? Non, c’était impossible... il avait ce je-ne-sais-quoi, cette aura qui permettait à Mitsuki de l’identifier. Oh, elle n’avait pas soudainement développé des pouvoirs, non. Elle le sentait, voilà tout. Ce garçon était un monstre, c’était évident. Les monstres... Mitsuki soupira. Comme elle aurait aimé avoir des pouvoirs, dans des situations comme celle-là! Lire dans les pensées, être invisible... que d’atouts majeurs dans sa condition! Mais elle n’était qu’une humaine. Plus lente, moins fascinante et surtout, plus faible. Lorsqu’elle regardait autour d’elle, il lui semblait parfois étonnant qu’elle ait pu survivre tout une année entourée de monstres aux pouvoirs tous plus incroyables les uns que les autres sans se faire repérer. Elle n’aurait pas échangé sa condition pour autant. Lorsque tout allait pour le pire, elle se consolait en se disant qu’elle était normale. Une humaine. Pas de mutation, pas d’expérience ayant mal tourné. Semblable aux autres six milliards de personnes sur la planète. Et ça avait ses avantages, si on savait l’utiliser. En effet, elle avait cru remarquer que les gens dotés de pouvoirs étaient naturellement attirés vers elle dans un lieu empli de monstres, comme si elle avait une odeur différente ou quelque chose du genre. Par chance, rare étaient ceux qui faisaient le lien entre cette attirance et sa qualité d’humaine. Probablement était-ce ce même principe qui lui avait permis d’identifier son collègue. Il dégageait quelque chose de différent par rapport aux Hommes. Un accroc dans une couverture quasi-parfaite...

Mais, qu’est-ce que...? Non! Où était-il passé? Elle ne l’avait quitté des yeux qu’une seule seconde, une seconde durant laquelle... il s’était volatilisé! Du calme. Il fallait étudier les différentes options. Il était un monstre de l’Antithèse en mission d’infiltration. L’invisibilité? Elle regarda autour d’elle, cherchant des indices dans des mouvements anormaux des gens ou des objets. Tout semblait calme... Quoi d’autre? Mitsuki rageait. Elle n’avait compilé que trop peu de pouvoirs! Elle ignorait ce qui était possible, ce qui ne l’était pas, à quoi elle devait s’attendre...

- Figure de style qui consiste à rapprocher deux mots ou groupes de mots exprimant des idées contraires.

Une fraction de seconde. Une décision à prendre.
Premier scénario : Elle sursaute, se retourne vivement pour lui faire face. Il a l’avantage de terrain, et de la surprise. Elle n’en a aucun.
Second scénario : Elle attrape le poignard à sa botte et s’en sert en se retournant. Elle tourne à son avantage la surprise. Elle élimine ou blesse son coéquipier, qui, ne l’oublions pas, est aussi un monstre. De plus, elle se trouve dans un lieu public, et se serait de perdre totalement sa couverture et de faire échouer la mission.
Troisième scénario. Elle ne bouge pas, de fait pas de mouvement offensif ou défensif. Elle trouve quelque chose à lui dire, ne lui montre pas sa surprise. Elle s’y attendait.

- Je craignais de jamais vous rencontrer...

Lentement, un sourire aux lèvres, elle se retourna. N’avoir eu des années de formation derrière elle, elle aurait sans nul doute écarquillé les yeux pour vérifier si le jeune homme aux cheveux bruns se trouvait toujours à sa place initiale. Car devant elle se tenait une toute autre personne. Blond, d’un style plus sport, il semblait aussi un peu plus jeune. S’était-elle donc réellement trompée? Pourtant, il lui donnait lui aussi cette impression d’anormalité... Le sourire toujours aux lèvres, elle le détailla de bas en haut, avant de déclarer :

–J’adore votre nouveau style. Sans être totalement différent du précédent, il vous va tout de même à ravir!

La perspective d’avoir raison quant à l’identité du personnage la fit frémir intérieurement. S’il était bien la personne qu’elle pensait qu’il soit, il serait alors doté d’un pouvoir inimaginable, incroyablement précieux pour un espion... Le pouvoir idéal du maître du déguisement..!

Le comportement du jeune homme changea d’un coup lorsqu’elle lui fit remarquer son changement d’apparence. Haussant un sourcil, il affirma ne pas comprendre ce qu’elle insinuait. Au moins lui confirma-t-il qu’il était bel et bien celui qu’elle attendait. Mais ses propos la laissaient songeuse; s’il n’était pas le brun qu’elle avait repéré tout à l’heure, où était-il passé..? Car il paraissait évident qu’il n’était pas plus humain que le blond qui se tenait à ses côtés... Enfin, elle n’avait pas les informations nécessaires pour mener à bien cette enquête, du moins, pour le moment. Il indiqua aussi qu’elle dégageait autre chose que les humains, se qui eut pour effet immédiat de créer un soulagement indicible dans l’esprit de Mitsuki. Elle ignorait comment, mais son déguisement fonctionnait. Elle avait dès à présent une chance de s’en sortir vivante.

Le garçon se présenta timidement, tendant une main molle vers elle et fuyant son regard. Comment pouvait-il être si gêné à présent lorsqu’il avait osé l’aborder par derrière sans se faire remarquer à peine quelques secondes auparavant? Mitsuki lui serra tout de même la main.

– Mitsuki Satô. Enchantée.

Quelque chose clochait, elle le sentait. Pourquoi l’Antithèse aurait-elle engagé un minable comme lui? Il se semblait ni très intelligent ni très fort, et surtout pas porté au meurtre ou à l’espionnage. Mitsuki ne le quittait pas des yeux. Il l’intriguait, c’était indéniable. Le jeune homme fit un tour d’horizon, récupérant durant une fraction de seconde le regard qu’il avait lorsqu’il lui avait adressé la parole la première fois. Puis son visage repris les traits d’un garçon sympathique et insouciant lorsqu’il lui proposa d’aller prendre un café. Quel rôle jouait-il? Il détestait forcément les humains, s’il était dans l’Antithèse. Aussi s’était-elle attendue à voir un homme au visage fermé et dur, comme... comme celui du brun sur le banc. Pouvaient-ils vraiment être la même personne? S’était-elle fourvoyée, comme il le prétendait, ou son intuition était-elle la bonne? Sous le regard insistant de Tralot, elle réalisa qu’elle n’avait toujours pas répondu à son invitation.

– Un... café? Mais oui, idiote, un café. Avec joie. Après tout, nous n’avons pas grand-chose d’autre à faire ici que d’observer ces... Elle jeta autour d’elle un regard empli de dégoût. Enfin bref. J’ignore comment tu fais pour supporter leur présence. Je te suis!

Ils s’installèrent dans un petit café exigu aux couleurs marron, et commandèrent leur consommation. Un silence s’était installé. Mitsuki prit une gorgée de son café – noir, décaféiné – et leva les yeux vers Alvis.

– Tu dois te faire plutôt discret au lycée, je ne t’ai jamais vu... Que penses-tu de cette mission? C’est ta première?

Elle sentait son regard posé sur elle, la détailla, l’examinant, d’un dedans comme d’en dehors. Elle faisait de même avec lui. De l’extérieur, ils n’avaient l’air que de deux amis, d’un couple au pis allé. Entre eux, c’était clair. Ils jouaient. Le défi était lancé, à savoir qui ferait tomber le masque de l’autre en premier. Si c’était informulé, c’était clair dans leurs yeux. La partie était commencée.

Mitsuki considérait son avance comme acquise. Par deux fois, le garçon avait ouvert une faille, alors qu’elle n’avait pas fait d’erreur significative. Du moins, le pensait-elle. Aussi ne put-elle pas réprimer un léger sourire en coin lorsque son interlocuteur commanda un repas plutôt raffiné, assez loin de ce que les jeunes hommes en baskets ont l’habitude de consommer. Mais elle ne le releva pas. Après tout, peut-être avait-il seulement des goûts… particuliers.

Il venait juste d’arriver au Lycée. Intéressant. Comment avait-il donc entendu parler de l’Antithèse, dans ce cas? Il devait avoir des contacts d’avance et dans ce cas, il était redoutable. L’autre possibilité était le mensonge. Pourtant, Mitsuki ne l’avait jamais vu à Yokai. D’un autre côté, considérant la difficulté avec laquelle elle l’avait repéré en le cherchant il était très possible qu’elle ne l’ai jamais vu en survolant les foules. Ce détail était intéressant, intriguant. Il lui parla de leur mission, des humains. Faisant tourner sa cuillère dans son café d’un air désintéressé, elle lui répondit.

- Oui, c’est le mot… Et surtout, sans aucun lien direct avec… elle releva les yeux, le fixant directement. Tu sais quoi.

Il lui avoua ensuite qu’il en était à sa première mission, lui retournant ensuite la question. Pour une énième fois, elle ne sut comment gérer l’information. Elle scruta son regard, tentant d’y déceler une quelconque information. Les gens détournent habituellement les yeux lorsqu’ils mentent. Lui continuait de soutenir son regard, arborant un sourire sympathique et confiant. Soit il disait la vérité, soit il était fort. Après tout, n’était-il pas un agent de l’Antithèse, société secrète d’espionnage et d’assassinat?

Durant sa réflexion, le serveur revint avec la consommation d’Alvis qui la sirota, fort aise. Il n’avait décidemment pas les manières allant avec son allure, ce qui venait confirmer certains des soupçons de l’espionne. Mais il attendait toujours sa réponse. Si elle lui disait la vérité, il pourrait la croire faible et aisément manipulable, à considéré qu’il la croie. Si elle lui mentait, elle aurait l’avantage, dans l’éventualité ou lui disait la vérité. Dans le cas contraire, il saurait qu’elle mentait. Le risque était trop gros.

– C’est aussi ma première mission. C’est étrange qu’il laisse deux recrues comme nous seuls ainsi dans le monde humain. Elle regardant autour d’elle, détaillant les autres clients. Tout ce que tu veux qu’on est surveillés.

Elle ne savait pas si c’était vrai en soit. Probablement. Aussi devait-elle être doublement prudente. Si ce jeune bleu ne la démasquait pas, un autre pourrait le faire. Elle reporta ses yeux sur le garçon. C’est qu’il l’intriguait, oui, au plus haut point… Si elle ne se trompait pas, son pouvoir correspondrait aux rêves les plus fous de tous les agents de ce monde. La prudence lui recommandait de ne pas aborder le sujet, sous peine de recevoir les mêmes questions en retour mais, elle voulait savoir, elle devait savoir…

– Je ne me suis pas trompée tout à l’heure, n’est-ce pas?

Sans préciser directement de quoi elle parlait – il y avait tout de même des oreilles plus ou moins discrètes – elle savait qu’il comprendrait l’allusion. Du moins, l’espérait-elle.

Midi sonna, douze longs coups distincts. Le café se remplit encore un peu plus. Des badauds, pour la plupart. Certains habitués, d'autre moins, ils s'asseyaient à une table pour lire leur journal et siroter un café pour oublier un instant la mornitude de leur vie. Rien de nouveau sous les tropiques. À un détail près. À la table tout au fond, une bagarre, un combat. Pas de mains, pas de mots. Pas d'écrits ni de mépris. Un combat d'esprits.

Il soutenait encore son regard, et elle faisait de même. Il semblait réfléchir à ses propos. Probablement analysait-il chacune de ses paroles, comme elle le faisait avec lui. Son visage était un livre ouvert. Aussi, lorsqu'elle lui fit part de ses soupçons, il se crispa, regardant autour de lui comme pour démasquer un éventuel mouchard. Si mouchard il y avait, Alvis venait assurément de couler le test de la discrétion. Puis elle posa sa seconde question, et entreprit de boire son café le temps qu’il y réponde. Une réponse, niaise, dépourvue de sens. Une réponse qui n’avait aucun lien avec la question posée. Une réponse qui se voulait un jeu. Reposant sa tasse, elle aperçut son sourire victorieux, celui d’un enfant qui sait qu’il vient de réussir son coup. Elle rit à son tour. Il voulait jouer? Ils joueraient. Et elle gagnerait. Il n’était pas question que ce garçon, si faible d’apparence, ait le dessus sur elle. Il finirait par lui donner ce dont elle avait besoin. Qu’il lui plaise de jouer les imbéciles, cela de faisait que renforcer son sentiment de vérité. Elle avait raison. Sinon, il l’aurait simplement démentie. Il n’était pas idiot à ce point , quand même. Son jeu était même plutôt organisé… Mitsuki le soupçonnait de vouloir marchander. Information pour information. Jeu dangereux, ses renseignements personnels avaient un besoin vital de rester… personnels. Pourtant, il allait devoir s’y prêter.

- Tu veux jouer? Très bien, allons-y. Une question chacun. Et la vérité, sinon le jeu perd de son intérêt ! Je suis même prête à te laisser commencer! Qu’est-ce que quelqu’un comme doit peut bien se demander à propos de moi? Mes origines, ma race, mes motivations? Vas-y, je n'ai aucune crainte. Soit cependant près à répondre à chacune de tes propres questions, ou des miennes.

Elle s’adossa à sa chaise et reprit sa tasse, tout sourire. Croisant les jambes, elle adressa un regard confiant à son interlocuteur, attendant sa question. Elle n’était pas inquiète. Du moins, pas trop. Elle connaissait son rôle à la perfection, pour l’avoir répété et répété durant des mois. Ce qui l’inquiétait d’avantage, c’était son rôle à lui. Car rôle il y avait, elle en était pratiquement certaine. Restait à savoir lequel. Ce masque d’idiot était-il son véritable visage, ou n’était-ce qu’une parade à la vérité? Elle allait le découvrir. Elle était plus forte que lui. C’était peut-être ça, le but de la mission, tout compte fait. Faire ressortir le plus fort des deux agents. Allons, comme si ce garçon lui arrivait à la cheville. La question se faisant attendre, elle reposa ses yeux sur lui.

À moins, évidemment, que tu n'oses pas t'avancer... Je comprendrais, tu sais.

Jouer dans l'orgueil avait toujours été payant. Habituellement, les gens hésitants se laissaient convaincre. Les courageux ne voulaient pas passer pour lâches, et les érudits voulaient prouver leur savoir. Dans quelque catégorie qu'il se trouvait, il trouverait à y répondre. À moins qu'il ne décide de jouer encore les imbéciles, ce qui rendrait le jeu fort moins intéressant. En effet, il fallait être deux, pour cette partie. S'il refusait de répondre... elle devrait se contenter d'observer les gens prendre leur café et d'en faire un rapport. Comme si cela avait le moindre intérêt pour elle- ou pour l'Antithèse. Comme si cet agent de sécurité là-bas pouvait offrit la moindre résistance à un loup-garou déchaîné ou je ne sais quel monstre du Lycée. Oui, elle avait foi en la race humaine. Mais il y avait des limites. Des limites physiques.
Dit en ces termes, le sort de l'humanité toute entière semblait reposer sur une simple question provenant d'un jeune homme qui avait franchement l'air de s'en ficher.

Si elle crut un instant qu’Alvis allait refuser de se prêter au jeu, Mitsuki eut bientôt la preuve du contraire. En un instant, son interlocuteur changea du tout au tout, passant de l’idiot plus ou moins téméraire à un jeune homme confiant et arrogant. Déjà une réponse pensa-t-elle. Mais ce n’était pas suffisant. Elle voulait plus. Cependant, elle avait choisi de le laisser commencer, et devait assumer ce choix. Préparer des réponses, crédibles de préférence. La vérité? Évidemment qu’elle la dirait, comme si elle était du genre à ne pas tenir parole! Seulement, il était possible qu’elle la trafique… un peu.

- Alors tu veux la vérité, j'attendrais donc la même chose de ton côté.
Sinon quoi ...

Quoi, il allait la menacer? Il ne semblait pas bien fort physiquement, aucun doute qu’elle réussirait à le maîtriser. D’autant plus que, selon ses informations, il était métamorphe, pas… Une flamme bleue jaillit de ses doigts lorsqu’il les fit claquer. Voilà qui brouillait les cartes. Un élémentaire? Non, c’était impossible. Elle était certaine de ce qu’elle avançait. Pourtant, elle avait la preuve sous les yeux, tandis que ses croyances n’étaient que très peu fondées…
Si sa question la pris au dépourvu, Mitsuki n’en laissa rien paraître. C’était surprenant, oui, mais pas totalement alarmant. Peut-être ne voulait-il pas insinuer ce qui lui avait sauté directement à l’esprit, peut-être ne savait-il pas qu’elle était humaine. Comment l’aurait-il appris? Elle devait quand même faire attention. Ce n’était plus un bleu qu’elle avait devant elle. Il avait à présent l’attitude d’un agent, d’un agent de l’Antithèse dont le seul but est d’éliminer les humains.

– Oh, j’avoue, les cheveux roses, ce n’est pas pratique tous les jours. Mais cachés sous un chignon, il n’y paraît plus, je te jure!

Oui, c’était une moquerie pure et simple. Une revanche pour l’autre question. Elle éclata de rire en guettant sa réaction. Mais si elle voulait continuer de jouer, il lui faudrait quand même s’y prêter un peu.

– Ça va, n’incendie pas le café, je blaguais. Elle baissa les yeux sur sa tasse. J’ignore comment tu as appris pour… ma condition de demi-humaine, mais sache que ça ne change en rien mes motivations, et que l’Antithèse à tout de même besoin de moi tout comme j’ai besoin d’elle. Comment je l’ai intégré donc? De la même manière que tous, à force de rumeurs et de contacts. Évidemment, il m’a fallu chercher durant des semaines, mais l’Antithèse n’a-t-elle pas pour réputation d’éliminer tous ceux qui la découvre, à moins de les embaucher? Comme tu peux le constater, je suis toujours en vie, et je compte bien le rester. Les preuves qu’ils ont besoin, c’est cette mission qui les apportera.

Voilà qui n’était pas si mal. Et entièrement vrai, en plus. D’aucuns pourraient contredire la première phrase, mais en y pensant bien, elle n’indiquait que la vérité vrai. Une pomme n’est-elle pas à demi pomme et à demi… pomme? Si une moitié de Mitsuki était humaine, rien n’empêchait l’autre moitié de l’être aussi.

Mon tour. Qui t’as informé quant à ma condition? Pourquoi as-tu eu droit à des informations de base?

Comme elle l’avait anticipé, Tralot n’avait pas une parcelle d’humour en lui. Ses blagues et ses sourires provenaient eux aussi de son rôle précédent, comme une multitude d’autres détails tous plus significatifs les uns que les autres. Il voulait jouer les froids? Très bien, elle ne garantissait pas de faire de même. Elle devrait toutefois renoncer à guetter des réactions lors de ses questions ou de ses réponses. Probablement était-il totalement maître de lui-même, et ne laisserait rien paraître… Un indice de moins. Pourtant, lorsqu’elle répondit à sa question, elle cru apercevoir l’ombre d’un sourire se dessiner sur le visage du jeune homme, comme une victoire malicieuse et imprévue. Mitsuki s’en inquiéta : un adversaire confiant était un adversaire puissant. Elle lui avait donné une réponse qui lui avait plu. Il trouverait certainement un moyen de la retourner contre elle… Elle allait devoir se méfier.

Il affirma ensuite être son supérieur. Étrange, considérant qu’il avait déclaré quelques minutes plus tôt en être à sa première mission. Il devait mentir sur un des deux points. Et s’il avait reçu des informations sur elle, il y avait tout à parier qu’il s’agissait du premier point… Il n’avait certes pas répondu directement à la seconde question, mais le simple fait d’être plus haut qu’elle se l’échelle hiérarchique lui garantissait certainement des informations supplémentaires.

Mitsuki réalisa qu’elle s’était totalement trompée en imaginant que le visage de son interlocuteur allait rester de glace jusqu’à la fin de l’entretient. Car Alvis souriait maintenant à pleine dents, d’un sourire mauvais, mais confiant. Ce n’était pas tant ce sourire carnassier qui glaça le sang de Mitsuki que le fait de s’être fourvoyée sur les intentions du jeune homme. Elle relâchait ses défenses, et allait se faire prendre si elle continuait ainsi. Elle tenta néanmoins de ne rien laisser paraître de ses émotions. Question de survie. Et lorsqu’Alvis remit en doute la réponse qu’elle lui avait offerte, elle plongea son regard profondément dans le sien afin d’y scruter les intentions avant de répondre. Il savait ce qu’il faisait, ou du moins, le croyait.

– Oui et oui. Si tu veux mon avis, tu perds ton temps à poser les mêmes questions... Mais bon, si c’est ta manière de jouer, tant pis pour toi!

Elle ne le laisserait pas miner sa confiance. Inébranlable, elle sourit à son tour, cherchant une question appropriée à poser, une question qui le ferait réfléchir et, qui sait, perdre appui le temps qu’elle récupère le sien. Ses pouvoirs l’intriguait, certes, mais elle restait assez sûre de ses informations pour ne pas gaspiller une question là-dessus. L’Antithèse ne l’intéressait pas non plus. Elle ne voulait pas avoir l’air ignare devant lui.

Sous l’éclairage tamisé du café, elle joua un moment avec un sachet de sucre avant de le jeter négligemment sur la table. Son cerveau roulait à cent milles à l’heure, cherchant la question à poser. C’est alors qu’elle remarqua un détail qui lui avait échappé jusqu’à présent. Un détail presqu’invisible, tellement improbable… Pourtant, elle n’avait plus de doute. Elle était certaine de ce qu’elle voyait, ou plutôt, ne voyait pas, entre la main d’Alvis et la table…

– Tu n’as pas d’ombre. Dit sous cette forme, c’était plus une affirmation qu’une question. En exprimant cette pensée, toutes ses interrogations sur ses pouvoirs lui revinrent en mémoire. Dis-moi pourquoi, explique-moi comment tu fonctionnes, comment ta race fonctionne.

Elle avait beau se dire qu’elle gaspillait ses questions, elle voulait tellement savoir. Le détail de l’ombre avait déclenché en elle une soif de savoir inextinguible. Quel lien cela avait-il avait le changement d’apparence, avec la flamme? Elle avait beau fouiller dans son esprit à la recherche d’une réponse, il ne lui en venait pas. Parmi les créatures des différentes mythologies, aucune ne correspondait à cette description. Qui était-il?