Mais quel imbécile ! Quel crétin !

Une longue bordée de jurons échappa au faune arpentant les couloirs en poussant son chariot d'entretien. Ces derniers étaient totalement vides, les chères têtes blondes normalement sagement penchées sur leurs cours en salle de classe.
C'était en partie la raison du courroux du jeune homme qui, pour la première fois de sa vie était confronté au travail. Et pas n'importe quel travail, un travail qui relevait de l'abstraction totale pour lui. C'était absurde ! Il était à peine plus vieux que les étudiants de l'établissement et le voilà en train de passer la serpillière. Pour une fois qu'il aurait souhaité être en cours. Rien que pour pouvoir les sécher bordel !

Un grognement de douleur lui échappa lorsqu'il se baissa pour essorer mollement le bout de tissu humide. Il était beau le gangsta, perclus de bleus et de douleur, à faire le ménage dans un endroit dont il ignorait jusqu'au nom. On le lui avait surement dit mais il avait été incapable de le retenir. Rien qu'y être parvenu lui semblait relever du miracle.

Déjà, comme il s'y attendait, la mine sombre de ses parents derrière le comptoir du commissariat lui avait crié la sentence qui l'attendait. L'exil ! Son âme romanesque, en d'autres circonstances aurait pu en être transportée mais en l’occurrence il était presque prêt à supplier les flics de le garder. Rien qu'un peu.

Mais c'était impossible et, simplement, ses parents l'avaient envoyé loin comme on expédie un cadeau moche à une cousine que l'on déteste. Bon débarras.
Ce n'est pas qu'ils ne l'aimaient pas, ils avaient en réalité une certaine affection (certainement due à l'habitude) pour ce bibelot à poils longs qui squattait leur canapé ; mais il était devenu trop encombrant et le mètre carré vaut de l'or en banlieue parisienne.

Là où ça avait vraiment commencé à merder c'était dans le bus, avec ce chauffeur flippant. Il en fallait plus que ça pour effrayer Léon qui avait des années côtoyé le biker à la batte de base ball de la ligne B. Mais il commençait à sentir la différence. Ce qu'il détestait chez lui était maintenant présent partout.

On lui avait ensuite montré sa chambre, posé quelques questions et le voilà, à présent, courbé sur sa serpillière. Il s'arrêta un instant hagard. Replaçant la serpillière dans son chariot il se dirigea vers un renfoncement sous un escalier où il se lova.

Il avait l'impression d'être un pigeon dans une catapulte. Il y avait un temps de latence, il n'avait toujours pas prit conscience d'avoir été projeté Dieu seul sait où. Tout cela était un mauvais rêve, un affreux concours de circonstance et demain il retournerait sauter les barrières du métro.

Doucement, alors qu'il vouait toute son âme à nier sa nouvelle situation, il sombra dans le sommeil.

Notre chevreau dormait paisiblement sans se soucier du confort discutable qu'offrait le béton nu sur lequel il était lové lorsque l'on vint perturber sa quiétude.

Sentant confusément quelque chose le bousculer, il ouvrit brusquement les yeux, un peu hagard.
Devant lui, une jeune femme adossée à un mur de façon particulièrement nonchalante lui servait un discours plein de moral et de conseils qu'il n'imprimait qu'à moitié.
Il se contenta de l'observer. Tout dans son maintien et son ton transpirait l'arrogance et l'assurance mais il aurait été tout de même tenté de railler sa tenue atypique. Enfin, s'il n'avait pas vu l'arme qu'elle portait à sa ceinture.
Deux choses l'une, soit sa lame était fausse et il était tombé sur une drôle de fanatique de trucs asiatiques, rien de très grave mais juste un peu casse couille.
Soit elle était vrai et il valait mieux écouter ce que la jeune femme disait.
C'était plutôt dommage car arrivé à ce stade de sa réflexion, Léon pris conscience qu'elle avait terminé et attendait sa réaction. C'était plutôt emmerdant.
Il se mit debout devant elle, rajustant son sweat et ses cheveux. Dans le doute, autant être poli et accommodant. Elle l'avait sans doute sermonné pour son petit somme intempestif, il s'en sortirait sûrement bien en reprenant sa serpillière.

« Ok »

C'était pas mal Ok. C'est vague.

Mais à peine avait il saisit son outil de travail qu'il poussa un long soupir. Combien de temps avait-il dormi ? Suffisamment longtemps espérait-il pour pouvoir bientôt s'éclipser et reprendre sa lecture. En plus il avait un peu la dalle, quand allait-il manger ? Et quoi surtout. Parce qu'ici, rien n'était sûr et s'il n'est pas très difficile pour la plupart des choses, hors de question que l'on touche à la bouffe, c'est sacré. Il aurait du mettre quelques bananes dans ses poches avant de partir, c'est toujours sûr une banane.

« Quelle heure est-il ? » demanda-t-il à la jeune femme toujours installée à le fixer.

Nom d'un chien, 18h45, il avait dormi comme un loir !
Malheureusement, les mots qui suivirent la réponse de la jeune femme furent moins réjouissants. De nouveau un ton sentencieux. Bon évidemment il était en faute, mais il n'avait jamais demandé à être ici lui. Et puis il ne comprenait rien. Comité de quoi ?

Il poussa un soupir discret, il aurait bien eu besoin d'un explication de texte là. Généralement, il n'était pas très curieux mais il avait grandi en milieu hostile et savait pertinemment qu'il valait mieux savoir où l'on posait ses sabots. Or, cet endroit qui lui avait d'abord semblé être un établissement scolaire perdu et ennuyeux devenait un peu plus complexe que ça. Déjà, le côté monstre et choses surnaturelles ne lui plaisaient que moyennement. Imposer un respect fragile mais protecteur aux divers bandes qui lui avaient cassé les pieds au bas des tours, se battre un peu ou s'allier aux bonnes personnes, cela ne lui posait pas de problème. Mais face à une créature qui pour lui n'existait que dans les contes, il ne savait pas très bien ce qu'il pourrait bien faire.

Déjà, celle-là, même si elle semblait plutôt normal à première vue, se baladait avec une arme quil ui semblait de plus en plus réel à mesure que le temps passait. Dans un établissement scolaire. Normal.
En France, cela aurait fait sauter au moins un ou deux ministres mais ici non, visiblement elle faisait même partie des... quoi ? surveillants ? gardiens ? justiciers ?

Ses pensées suivaient ainsi leur cours au moment où la jeune femme reprit la parole.
Et elle parla repas.
Léon leva les yeux vers elle et les ouvrit grands de surprise, ses longs cils frôlant les boucles qui les cachaient presque. Comment cela "avoir le droit de le recevoir" ?!
La possibilité laissée par cette phrase de ne pas recevoir de repas le laissa coi. Pas de repas ? Se rendait-elle compte de ce qu'elle venait de dire ?
Manger, un des droits les plus inaliénable de l'être humain ! Son droit le plus strict ! Il aurait dévoré quelqu'un pour moins que ça !

Bon si on prenait en compte le fait qu'il avait dormi la moitié de l'après midi au lieu de travailler cela pouvait mériter un petit avertissement, une retenue sur salaire peut-être, mais privé de manger ?!
Il senti son estomac se contracter à cette simple pensée. Il voulait bien y mettre un peu du sien mais les informations sur le lieu qui lui arrivaient par bribes étaient sans cesse un peu plus affolante. Pour lui qui n’avait que peu connu les contraintes du système scolaire, il commençait à se demander comme il pourrait survivre ici. Gagner son pain, il connaissait, mais pas comme ça. Les magouilles, les petits services, vivre chichement ne le dérangeaient pas, mais travailler... Lui il voulait juste lire, peindre, manger danser et dormir.
Il poussa un grognement résigné à l'adresse de la jeune femme qui avait tourné les talons puis, après un instant d'hésitation, la retint.

"Excuse moi mais... déjà, sans vouloir te vexer, simplement pour info, qui tu es au juste ? C'est quoi le Comité ? Pourquoi je devrais avoir peur de gens comme eux ? C'est quoi exactement cette école où les gens se baladent avec des armes à la ceinture ? Y'a une bonne bibliothèque ?"

Tout cela en serpillant énergiquement parce qu'il y tenait à son repas, faut pas déconner non plus.

Léon, toujours serpillant avec un enthousiasme affamé écouta avec attention les explications données par la jeune femme. Laquelle toujours sûre d'elle lui expliquait le fonctionnement du Comité de Sécurité. De son humble avis de chevreau des banlieues, laisser tous les droits à un groupe de personnes cela finit évidemment en lutte pour le pouvoir et visiblement cette Vika avait bien l'intention de la remporter. Enfin, ses intentions semblaient plutôt louables et s'il s'était senti investi dans la vie de cette école il se serait sans doute empressé de la soutenir. Sauf que pour l'instant, il n'en avait plutôt rien à secouer.
Le discours glissa alors sur un sujet plus exaltant, d'autant plus que la jeune femme évoquât de nouveau le repas ce qui le ravit. Il avait bien l'intention d'aller farfouiller rapidement au milieu des bouquins, surtout si certains pouvaient l'avertir un peu de sa situation. Il lui faudrait aussi savoir s'il pouvait trouver un endroit pour s'entrainer, mais ça il le trouverait bien tout seul.
Alors que la jeune femme s’apprêtait à le quitter pour retourner à sa mission il la reteint encore quelques secondes.


"Je ne suis pas très au courant de ce qui se passe ici et je ne suis pas versé conflit mais si je peux être utile à quelque chose ça m'occuperait. Sinon, merci beaucoup pour ces infos et bon appétit !"

Ouais, il est comme ça Léon, il propose son inutile aide à des gens n'en ayant visiblement ne le besoin, ni l'envie. Mais peu importait, il s'ennuyait déjà ferme ici et il avait besoin de se trouver une place confortable et pas trop contraignante au cœur de leur système. Autant commencer quelque part et puis elle avait l'air pas trop désagréable cette jeune fille si on la prenait dans le sens du poil.