Après une nuit agitée [PV : Lucien Delare]

Chryss marchait dans un long couloir noir, un long couloir sombre qui semblait sans fin, où rien ne semblait différencier deux pas après de deux pas avant, et où chacun de ses pas résonnait comme si elle avait été hébergée dans une cloche. Elle avançait de plus en plus, et puis au bout d'un moment elle s'arrêta devant un gouffre plus noir encore que le couloir lui même. Elle y jeta un coup d'oeil prudent, avant de se rendre compte qu'elle avait les mains attachées dans le dos. Alors elle fit la chose la plus logique qui lui vint en tête à cet instant : sauter dans le gouffre. Et oui, en même temps, c'est la logique de Chryss. Et donc, elle sauta, se laissant entraîner dans une chute digne d'Alice au Pays des Merveilles, tandis que des lumières diffusent semblaient s'allumer un peu partout, éclairant le tunnel dans lequel elle s'était jeté. Et elle tombait, tombait encore et toujours, sans s'arrêter... Et puis le sol apparut sous ses pieds, comme ça. Un sol carrelé de blanc. Ses mains n'étaient plus attachées. Mais devant elle se tenait une silhouette voûtée, sombre, comme auréolée de noir, qui lui tournait le dos. Un liquide doré gouttait sur le sol, devant la créature. Chryss s’avança timidement... Et la chose se retourna, lui dévoilant le visage angélique de son frère adoré, une plaie monstrueuse au cou dont coulait abondamment le sang maudit des Alchimistes. Ses lèvres bougeaient comme pour l'appeler au secours, ses yeux brillaient d'un étincelle vive de peur, de détresse et de désespoir. Chryss se figea. Incapable de bouger.

Mais dites moi, ce cauchemars que faisait Chryss... Vous imaginez un instant si elle avait fait une crise de somnambulisme pendant ce cauchemars ?

Si je vous disais que la salle commune à cette heure matinale était bondée d'élèves incrédules, qui se demandaient pourquoi l'assistante de physique-chimie venait de se figer devant un élève particulièrement mal réveillé qui peinait à saisir la raison de l'immobilité totale de la jeune femme devant lui, l'air horrifiée, les yeux peints d'une couleur unie, d'un or intense.

Chryss poussa soudainement un grand cri.

Son frère devant elle venait de prendre une figure tout autre. Une figure de mort qui marche, un zombie putréfiant et immonde qui lui tendait un sourire déformé par sa chair à moitié décomposée et tendant une main vers elle. Par réflexe, elle donna un grand coup de pied dans le thorax du zombie qui s'éleva étonnamment loin, jusqu'à heurter un mur. Puis soudainement, Chryss se rendit compte que la salle entière était remplie de zombies qui la fixaient avec un grand sourire immonde.

C'était la panique. Un élève venait de se faire projeter à travers la pièce d'un magistral coup de pied et gisait à présent au sol, évanoui. Tout le monde chercha à s'enfuir, tandis que Chryss cherchait à tout prix à faire de même pour fuir les... Élèves ? Personne ne comprenait mais tout le monde cherchait à s'éloigner d'elle... Jusqu'à ce qu'un surveillant pose une main timide sur son épaule, pour la réconforter. Le regard qu'elle lui lança le fit reculer de trois pas. Mais il ne put éviter le coup de poing rageur qu'elle lui retourna.

Mais où était donc le professeur quand on avait besoin de lui ?

Dans les tréfonds de son laboratoire, animé d'une transe de huit heures consécutives, passées à compulser un incunable du XIIIe siècle, la copie manuscrite de l'Atalanta Fugiens d'un des disciples de Paracelse et les fragments d'un obscur grimoire Araméen, Lucien Delare se préparait à aller se couch... à retourner en salle de classes. Trop tard pour une sieste ! Son emploi du temps lui prévoyait deux heures de Travaux Pratiques, et la réunion pédagogique prévue le lendemain semblait nécessiter plus de préparation que la précédente. En effet, l'essentiel de son argumentaire ayant été employé, à cette occasion, à faire comprendre à des enseignants vétérans que " non, pour obtenir des élèves un travail assidu, la solution n'était pas de transformer le Lycée en prison à ciel ouvert " ... Un travail de recherche sur les thèses de Campbell et Callaway, afin d'étoffer ses arguments par quelques références indiscutables, allait sans doute être nécessaire ... Tant de choses à faire, et si peu de temps pour l'accomplir !

Un bruit étouffé se fit alors entendre à la porte du laboratoire ; quoi ENCORE !? Le monde avait-il décidé de le harceler, ou bien était-il juste maudit ? Hmm, mauvaise question. Grommelant dans sa barbe de huit jours, l'illustre chercheur, ou plutôt le Cherche-Heure qui n'avait pas vu un rasoir depuis des lustres, se dirigea vers la porte de son antre, à laquelle tambourinait désormais que ce les bruits étouffés de ses cris identifiaient comme un homme mur affolé. Mauvais, ça.

Le Professeur ouvrit un à un les sept, verrous, sécurités et autres serrures qui maintenaient sa demeure hermétiquement close à toute intrusion, pour l'entrouvrir sur la figure rougie par l'essoufflement, et dégoulinant de sueur, d'un surveillant du Lycée.
- Monsieur Delare !? C'est bien vous !? Votre assistante, elle ...
- Quoi, mon assistante !? Parlez, je suis pressé !
- Elle est devenue folle, et massacre quiconque reste dans son champ de vision, dans la salle commune ! Venez vite !
- Chryss ? Que lui avez-vous fait, pour l'énerver ainsi ? Bah, peu importe, je vais essayer de l’apaiser ...
Le front barré de rides d'inquiétude, les lèvres pincées et une nouvelle énergie l'animant soudain, Lucien suivit son bien angoissé guide, jusqu'à retrouver sa protégée, méconnaissable, au beau milieu d'un véritable carnage. A l'épicentre de ce qui ressemblait aux dégâts opérés par une tornade, alors que d'infortunées personnes opéraient un repli stratégique pour échapper à sa furie, l'Alchimiste se démenait pour lutter contre des dizaines d'ennemis invisibles ...
- ... Chryss ? Chryss, tu m'entends ? Tu me reconnais ? C'est moi, ton Docteur ... viens, calme toi ...

Chrys était complètement perdue, égarée dans un cauchemars dont elle ne parvenait pas à se sortir, apeurée et en même temps animée d'une furie sans précédent. Elle était en danger, elle devait à tout prix se protéger. Son regard fou, regard illuminé d'or et de magie pure, allait d'un élève à l'autre, puis du sol au plafond, comme si elle cherchait quelque chose, ou alors comme si elle cherchait quelle cible attaquer en premier.

Du sol au plafond il y en avait partout. La salle dans laquelle elle se trouvait n'était plus du tout blanche et carrelée, c'était une grotte, une grotte sombre et glauque, peuplée de centaines de chauves souris, de zombies, d'araignées, de toutes ces créatures immondes qui avaient toujours inspiré une peur étrange à Chryss, une peur enfantine et irraisonnée parfois. Le sol grouillait de ces bestioles immondes, le plafond fourmillait d'un amas d'ailes froissées et qui semblaient absorber la lumière, bientôt, la seule source de lumière dans tout la pièce devint les yeux de Chryss, illuminés de rage et de peur mêlées, ses pieds cherchant en vain un appui stable sur le sol qui semblait lentement se dérober sous elle tandis que les bruissements et grincements et autres bruits rebutants émit par les bestioles l'entourant prenaient de l'ampleur, dominaient son ouïe, perturbaient ses sens

L'assistante mis soudain les mains sur ses oreilles, comme assourdie par un bruit insupportable et un gémissement de douleur s'échappa de ses lèvres. Un grondement sourd s'éleva de sa poitrine, tandis que des paroles indistinctes et sifflantes émanaient de ses lèvres tout juste entrouvertes. Elle semblait avoir complètement fondu un fusible.

Chryséléphantine, Chryséléphantine, Chryséléphantine, Chryséléphantine, Chryséléphantine, inlassablement ce mot répété comme une malédiction ou un charme pour se protéger de l’obscurité qui se rapprochait inexorablement d'elle, se refermant comme un macabre cercueil... Quand soudainement un halo de lumière incroyablement puissant perça les ténèbres, entourant une silhouette que Chryss connaissait mieux que n'importe laquelle.

L'assistante releva soudain la tête vers le professeur, un sourire d'illuminée peint sur son visage et s'élança vers lui sans mesurer sa force actuelle, en pleine Illumination, pour se jeter dans ses bras, l'enlacer et s'écrier en français d'une voix débordante de joie...

- Maman !

Des rires discrets s'élevèrent un peu partout autour d'eux, et Chrys renversa inévitablement Doc', avant de le fixer d'un air de psychopathe échappée d'un asi... Oh, wait.

Sa mère adorée venait de la sauver des ténèbres ! elle se releva et regarda autour d'elle. Sa maison ! Son chez-elle ! Là, la cheminée ! Et là, leur majordome ! Elle bondit de joie et se mit à chanter une comptine enfantine et joyeuse, en français toujours, sa langue natale, et en dansant au milieu de son salon, tournoyant sur elle même comme entraînée par des forces surnaturelles...

Chryss était au milieu d'un cercle de curieux et imprudents élèves, et tournait sur elle même en riant comme une bienheureuse. Plongée dans un délire profond, qui saurait pouvoir l'en sortir ?

A peine Lucien avait-il adressé la parole à sa jeune assistante que cette dernière se retourna vers lui, semblant rayonner de joie. Ah, bien, elle m'a reconnu ... mais pourquoi court-elle vers moi si vite ? D'habitude, elle essaye d'être si calme, lorsqu'elle est avec moi ... Elle ne va quand même pas ...
Cédant imperceptiblement à la panique, l'éminent professeur de physique rebroussa chemin a reculons, trop conscient de ce qu'il risquait fort de s'ensuivre.
- Oui, moi aussi je suis content de te revoiiiAAAHHHHRRG !
Et c’est ainsi que dans un craquement sourd, aussi douloureux à entendre qu'à voir subir, le frêle Professeur fut enlacé des bras par trop puissants de l'Alchimiste, qui le broya littéralement, avant de l'emporter dans une chute plaquée vers le sol, résonnant contre le carrelage de la vaste salle. L'examen médical ultérieur à cet incident ne releva pourtant que trois côtes cassées, deux vertèbres luxées et l'apparition d'une nouvelle phobie, celle des " TRUCS de plus de 50 kilos me chargeant " ; toujours est il qu'en cet instant, l’assistance eu un mouvement de recul, frappée d'horreur par ce qui ressemblait fort à un meurtre, tant ce pauvre Delare paraissait fragile. Il faut dire que voir un vieillard souffreteux se faire malmener ainsi avait quelque chose de choquant.

L'intéressé, pris en étau par la douleur comme par l'androïde dorée, tenta dans un ultime éclair de lucidité un simple mouvement d'autodéfense. Mais que peut-il bien lui passer par la tête !? Pourquoi m'attaquer ainsi sans raison, un sourire aux lèvres et un contentent non dissimulé se lisant sur ses traits ? Il fallait la faire revenir à la raison ! Heureusement, ce genre de mécanique possède toujours un bouton Reset ; encore fallait-il savoir où. Mais, pour avoir cotoyé Chrysséléphantine pendant de longues années, Lucien eu le réflexe, heureux ou malheureux, de crisper sa main sur la nuque de son agresseur ... À l'endroit précis de sa blessure, métallisée et sensible. Tout en poussant un râle d'agonie, grande chochotte qu'il était.

Sa mère était étonnamment légère par rapport à ce qu'elle se rappelait quand même. Mais ce n'était pas ça l'important ! Elle avait sa mère dans ses bras, elle tournoyait avec elle au milieu du salon, et elle profitait de chaque seconde. Elle chantonnait tout haut, respirant la joie de vivre, elle était parfaitement heureuse... Puis soudain, le monde se déchira. L'environnement autour d'elle se brisa, arraché comme par des griffes, laissant place à une aveuglante lumière, si intense que Chryss du fermer les yeux. Mais ce n'était pas le pire. Le pire c'est qu'un brûlure plus ardente que les flammes de l'enfer venait de se mettre à courir de sa jusque jusqu'à l'intérieur de sa tête.

Tout les matins, comme elle en a l'habitude, Chryss prend des calmants. Beaucoup, de calmants. Genre, très beaucoup. Sauf que lorsqu'elle faisait des crises de somnambulisme au matin... Elle n'avait pas le temps de les prendre. Alors, comme al douleur était en très grande partie psychosomatique, tant qu'elle ne se rappelait pas ne pas avoir prit ses cachets, ça allait plutôt à peu près. Mais qui c'est qui venait de poser le doigt sur l'exact endroit où commençait sa blessure ? C'est Lucien !... Alors après, il ne faut pas s'étonner d'avoir des problèmes.

Un râle d'agonie s'échappa des lèvres de Chryss qui lâcha immédiatement sa mère. Qui n'était plus sa mère. C'était un médecin, en blouse blanche. Un des médecins qu'elle avait foutu en l'air dans une de se nombreuses crises. Elle se recroquevilla au sol dans un grondement guttural des plus douloureux à entendre. Elle retenait autant qu'elle le pouvait le hurlement suraigu qui lui brûlait la gorge. Mais elle ne le pu pas longtemps. Mais, étrangement, ce ne fut pas un cri aigu qui sortit de sa bouche. Mais un hurlement déchirant. Le genre de bruit qui vous donne envie de vous arracher les oreilles avec les ongles, le genre de bruit qui vous tord le cœur, surtout quand vous êtes devant la personne qui hurle.

Chryss était roulée en boule sur le sol et hurlait. Elle hurlait à al mort, comme si elle suppliait la faucheuse de venir trancher le fil de sa vie qui l'étranglait. Elle se tordait de douleur, ses yeux déversaient des flots de larmes teintée d'une douce couleur d'or, elle se tenait la tête entre les mains comme si elle voulait l'écraser. Elle faisait peine à voir. Puis, après une bonne minute de hurlement, elle se mit à supplier. Elle regardait Doc', comme si c'était un ange, et lui hurlait de l'achever. De mettre fin à ses douleurs.

Seul l'ange pouvait le sauver. Oui, le docteur là, il avait deux grandes ailes noires et une faux. Il pouvait l'empêcher de souffrir. Par pitié. Par pitié faites que ça cesse.

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