Dehvi : Fils. Tu t'es comporté comme le dernier des trous du cul.

Le louveteau au fond d'Adam baissa les oreilles, en signe de soumission. Ses deux jambes étaient surélevée pour faciliter la circulation du sang. Ses tibias, toujours en état de cicatrisation, mettraient deux bonnes semaines à revenir à la normale. Il avait beau être lycan, un saut d'une dizaine de mètres de haut n'avait pas épargné son état de santé. Du tout. Il avait craint un moment de perdre de sa souplesse. Dehvi l'avait tout de suite rassuré. Il n'avait pas de risque de finir raide comme un bâton, mais il souffrirait comme un diable quelques temps lorsqu'il se servirait trop fort de ses gambettes.

Autrement dit, plus de fourrure pendant deux semaines. C'allait être un supplice.

Dehvi : Mais sinon, tu l'as tronchée ?

Le loup manqua de laisser tomber le combiné du téléphone, et jeta un regard incroyablement coupable vers l'infirmière qui venait lui apporter ses anti-douleur. Une dose de cheval, pour un loup.

Adam : Je... quoi ? Enfin, non...

Dehvi poussa un soupir si profond qu'Adam sentit son regard moralisateur jusque dans le plus profond de sa moelle épinière. Dieux ! Il était adulte, mais respectait toujours autant son alpha. S'il l'avait écouté, il aurait sauté sur Vika pour faire des petits. Une femme aussi forte ne pouvait donner naissance qu'à des battants. Mais bien heureusement pour lui -et pour elle- il avait un minimum de savoir vivre.

Adam : Contrairement à toi, je séduis les femmes avant de leur sauter dessus !
Dehvi : Tu ne connaitras jamais le plaisir d'une relation à sens unique où tu domines, alors.
Adam : De là d'où je viens on appelle ça un viol ! Espèce de pervers !
Dehvi : Oh la plupart font non avec la tête et oui avec la ch...

Le loup éloigna le combiné de son oreille et surprit le regard inquisiteur de l'infirmière. Il avala son cachet en quatrième vitesse et grogna.

Adam : Bref. J'ai combattu dans l'arène, défendu l'honneur de Becka, et maintenant on me fuit encore plus qu'avant. Pas parce que je suis imposant mais parce qu'ils savent que je peux leur casser la gueule au premier regard de travers.
Dehvi : Mon petit louveteau a enfin des ennemis. Il était temps.
Adam : Je ne comprends pas...
Dehvi : Si tu es puissant, tu attires la jalousie. Si tu attires la jalousie, tu te fais des ennemis. Il serait vraiment temps de fonder ta meute, espèce d'infirme de l'autorité !
Adam : ... Je t'emmerde.
Dehvi : Je te le fais pas dire ! T'es encore plus maladroit en autorité que tu l'étais en sexe quand t'étais puceau ! Et c'est pas peu dire ! Tu sais que Trudana se marre encore quand elle me raconte comme tu as....
Adam : J'AI. COMPRIS.

Cette fois l'infirmière se rua dans sa direction. Il avala rapidement deux nouveaux cachets et se força à avoir l'air très aimable de quelqu'un qui a juste parlé un peu trop fort. En réalité, le loup bouillonnait.

Dehvi : Enfin, fils. Je veux pas te paraître ingrat, mais ma boutique va pas se tenir toute seule.
Adam : C'est quoi cette fois ?
Dehvi : Une pizzeria. Tu serais surpris de voir à quel point ces jap' adorent les trucs qui viennent d'ailleurs. Ça cartonne, et vu que t'es plus là pour faire hurler une midinette à la pleine lune, je pourrai sans doute m'installer définitivement.
Adam : Dehvi ?
Dehvi : Oui, fils.
Adam : Rien, je trouve que ton vocabulaire a changé depuis... enfin, tu sais. Mais je t'aime bien comme ça.
Dehvi : Je vis avec mon temps que veux-tu ? Enfin, prend soin de toi. Que Maureen perdure en ton sein.
Adam : Et qu'elle vive en ton esprit.

Adam raccrocha une bonne fois pour toute, et plissa les lèvres. Dehvi n'avait fait qu'apporter des doutes. Des putain de doutes. Il devait parler de nouveau avec Vika. Dès qu'il serait remis sur pattes.

Allongé sur son lit, Becka feuilletait un magazine. Calme comme à son habitude, il feignait de ne pas s'agacer de la musique celtique qu'Adam avait mise en fond sonore. Leur troisième colocataire était sorti, vaquant à ses occupations habituelles, laissant une grande place pour que le loup garou puisse faire ses exercices quotidiens. Au rythme des violons, Adam exécutait des chaînes d'abdominaux. Ses cheveux attachés en arrière, il fixait Becka, la mine boudeuse, qui s'interrompit soudain pour le fixer. Un regard qui lui glaça le sang.


Adam : Quelque chose ne va pas ?

Adam se redressa et s'étira avec langueur, provoquant un long soupir chez son ami élémentaire. Becka ne répondit cependant pas, et tourna la page de son magazine, se replongeant dans une lecture qui devait vraiment être passionnante pour qu'il n'en décroche pas.

Adam : C'est à cause de ce que je t'ai dit hier Becka ? Excuse-moi si je t'ai blessé, je voulais juste partager ça avec mon meilleur ami.

Le garçon aux cheveux bleus leva brusquement la tête, et fronça les sourcils. Il fixa l'orbite vide du lycanthrope et demanda de sa toute petite voix:

Becka : Cette Vika, est-ce que tu l'aimes ?

Le loup-garou fronça le nez et fit craquer ses phallanges.

Adam : Quelle drôle de question... je... je n'en sais rien.

Becka : Est-ce que quand elle te regarde, tu te sens bien ?

Adam : Pas... exactement.

Becka : Est-ce que ton coeur accélère à l'idée de la voir ? Est-ce que tu penses à elle jour et nuit ?

Adam : Oui mais... c'est normal ça Becka, je la vois tous les jours.

Becka : Moi tu me vois tous les jours et pourtant tu n'accueilles pas ma visite comme un comprimé de viagra.

Adam devint cramoisi, et tira machinalement son tshirt vers le bas pour cacher son embarras. Il n'aimait pas les accusations de Becka mais devait reconnaître qu'il avait diablement raison. Est-ce que c'était uniquement ça ? Désirer Vika au point d'en avoir mal ? Non, il y avait... autre chose.

Adam : Je... c'est parce que je ne suis pas attiré par les garçons Becka. Je te l'ai déjà dit.

Becka : Permet-moi d'en douter. Tu flirts avec une fille plus forte qu'un rhinocéros en rut, experte en arts martiaux, et capable de te mettre au tapis. Adam je ne crois pas que tu recherches la douceur maternelle dans cette métamorphe aviaire.

Adam : Je te trouve bien amer. Becka. Je sais que ça te blesse, je comprends que ça le fasse. Mais j'essaye juste de comprendre. Pendant les vacances d'été... j'ai eu du temps à tuer, à la pizzeria. Et j'ai cru crever plusieurs fois tellement j'avais mal... là !

Becka : Tu n'avais qu'à demander à Dehvi de t'offrir un substitut. Ou tu aurais pu m'appeler.

Adam : Je ne veux pas te considérer comme ça... tu n'es pas un serpillière émotionnelle, et les femmes ne sont pas des sacs à... euh. Des plans éphémères.

Becka : D'accord, alors dis-moi pourquoi tu as changé d'avis, subitement ?

Adam : Je savais que Vika... ne serait pas d'accord. Enfin je veux dire, je suppose qu'elle n'est pas aussi ouverte que peut l'être mon père, ou moi-même. Je... je l'ai gênée et déçue en lui parlant de choses sexuelles. Je ne veux pas qu'elle me tourne le dos parce qu'elle apprend une coucherie avec une fille sans importance.

Becka : Tu ne prends pas autant de précautions avec moi quand tu me parles de tes petits problèmes... nocturnes.

Adam : Becka. Tu es mon meilleur ami. Je n'essaye pas de te séduire. Je sais que je te blesse, je sais que tu me détesteras pour ça. Et je sais aussi que je fais le bon choix. Ne te flagelle pas. Je te protégerai comme un frère, pas comme un amant.

Becka : Si tu ressens tout ça Adam, arrête de te poser la question.

Adam : Quelle question ?

Becka : Mais quel grand benêt !

Le loup de Maureen cessa l'exercice, tourna son regard outré vers son meilleur ami, et grogna. La douceur de l'élémentaire revint telle une vague, apaisant le loup. Elle balaya sa colère, la fit refluer, et détendit son corps. Becka lui faisait du bien par sa seule présence... mais pas comme il l'aurait espéré.

Adam : Eclaire-moi, s'il te plait.

Becka : Adam. Je ne sais pas comment te dire ça sans te faire du mal mais...

Adam : S'il te plait.

Becka : Tu es amoureux, bougre d'imbécile.

Pwet

Pwet

Indubitablement, Adam était nerveux. Ses muscles tressautaient, ses jambes étaient agitées de spasmes nerveux, et son regard encore dilaté par la situation des heures précédentes fixait des points aléatoires. Mais par dessus tout, il avait mal, incroyablement mal. Ses gencives étaient pleines d'éclats de bois que Becka avait ôtés un par un. Il n'avait pu s'éterniser à l'infirmerie. Il avait dû partir, le plus vite possible. Il s'était enfui, comme un voleur, pour ne pas affronter une nouvelle fois Vika. Ou plutôt ce petit corps brisé qui avait réveillé des instincts animaux qu'il croyait éteints en partie.

S'il avait laissé parler la bête, il l'aurait mordue jusqu'à la douce agonie, espérant qu'elle Change. C'était un miracle qu'il ait réussi à se contenir. Dehvi l'avait préparé à bien des choses, il l'avait gardé de bien des dangers, dont lui-même, mais pas celui, dévorant, de faire de l'être de son coeur sa compagne au sens lycan du terme.

A cette pensée, il claqua sa mâchoire si près de son compagnon de chambre qu'il cessa de nettoyer ses plaies, et le toisa avec un air exaspéré. Becka, en pyjama, le fixait avec un regard à la fois craintif et dur. Comme une mère apprenant que son gamin avait tué quelqu'un. Adam lui avait raconté, sous l'eau glaciale de la douche qu'il s'était offerte, ce qu'il avait fait, dans les grandes lignes. Et tout ce qu'avait retenu l'élémentaire se résumait à trois points. Il avait tué trois personnes. Il s'était blessé comme un crétin. Il avait sauvé Vika.

Et ça, tout l'alcool à 90° du monde ne pouvait l'effacer. Il patientait donc sagement, maintenant que ses plaies étaient bandées pour ne pas s'infecter pendant le processus de guérison. De la même manière qu'il avait serré les dents pour rebriser les os de son index et son majeur pour leur permettre de se ressouder correctement. De la même manière qu'il avait supporté qu'on lui lave les cheveux trois fois de suite.

Adam était comme un gamin, et bien heureux que Becka soit si proche de lui, mais surtout un garçon. Son instinct de dominant avait brusquement refait surface ce soir-là, et si une femelle était passée à porté de main... pire. Si Vika s'était présentée à nouveau, il aurait pu la tuer, ou pire, la prendre sans autre forme de procès.

Non, ce n'était pas un violeur, ça n'avait jamais été un violeur. Mais son tempérament finirait par se voir un moment ou l'autre. Dehvi le verrait, indubitablement. Et alors, ils se battraient. Pour asseoir leur puissance mutuelle sur une petite meute qu'eux seuls comprenaient. Alors ils se battraient pour faire valoir leurs droits. Dehvi pour garder sa position. Adam pour en acquérir une.

Il devait se calmer, se détendre.

Il avait sauvé Vika.

Il avait décapité quelqu'un. De la seule force de ses griffes.

Et pendant ce combat pas une fois il n'avait compté sur ses yeux. Son flair et ses mains avaient été ses seules armes.

Il avait sauvé Vika.

Il avait dévoré la gorge de quelqu'un.

Et pendant qu'il sombrait dans la folie meurtrière qu'il n'avait pas connue depuis des lustres, rien ni personne n'avait guidé ses actes. Il avait été dominant, puissant, à 100% maître de lui-même.

Et le pire ? C'était qu'il avait aimé ça.

Pwet